S’il est un lieu mythique en France pour la pêche de la carpe c’est bien le Lac du Diable. Cette notoriété est bien entendu fondée sur la difficulté d’y rencontrer cette gentille dame. Combien de pêcheurs y ont fait naufrage en tentant de capturer leur rêve à grandes écailles ? Combien de temps y ont-ils passé dans l’attente de cette touche si rare et si précieuse ?
Pour ceux qui ont réussi à y faire pêche, ils reconnaissent bien volontiers une part de chance dans cette réussite, et gardent un souvenir souvent ému du combat que leur livra cette lutteuse infatigable.
Si pour les pêcheurs, il est facile de décrire leurs envies, leurs rêves et leurs résultats en matière de pêche à la carpe, il est pour moi très difficile de décrire mon attirance magnétique envers ce farouche poisson, il serait peut-être plus facile de parler de défi plutôt que de tentative de leur tirer le portrait.
Doutes et intérêts
Paradoxalement, la carpe est un animal très curieux tout en étant très peureux et prudent, un peu comme un jeune chat dont la curiosité surpasse ses peurs, tout en restant prêt à bondir hors de portée du danger potentiel.
Une carpe sous l’eau c’est ça. Un mélange de doutes et d’intérêts partagé entre l’homme et le poisson.
Dans le lac du Salagou, il n’est malheureusement pas facile de pouvoir plonger avec elles, la faute à la tramontane qui trouble l’eau, la rendant rouge et terne, impraticable pour le commun des curieux de l’onde.
Lorsque les conditions sont propices à cette pratique (eau à 25°, 3 à 5m de visibilité), chacun peut observer en été ces fantastiques fishs.
Smiley assuré
Il faut nager en douceur et en silence et surtout rester immobile de longues minutes en surface (la position de l’œuf est la plus facile) avec un masque et un tuba, non loin des zones où elles dorment en surface (je passe sur toutes les mesures de sécurité inhérentes à la baignade en plein soleil, pas question de faire ça après un apéro en plein cagnard).
Elles viendront à vous, aussi sûr que l’eau vous rafraîchira, vous en profiterez à chaque seconde, la compagnie de grands poissons qui nagent aussi bien que des loutres (la puissance en plus) est un spectacle euphorisant, smiley assuré à la sortie de l’eau, de retour sur la ruffe rouge brûlante.
Avec l’expérience acquise on peut voir ces poissons du fond de l’eau. Tournant dans un même sens, on peut alors admirer un banc de 50 carpes dans le contrejour, certains poissons pouvant alors passer très près de vous au point que vous ne puissiez voir qu’un rideau d’écailles.
D’autres carpes dorment sur le fond, il faut alors jouer à cache-cache avec les herbiers pour approcher un des poissons les plus affûté qui soit.
Parfois un simple gargouillis de ventre suffit à faire fuir une carpe, entraînant d’un seul coup tout le banc à grands coups claquants de caudales surpuissantes (le bruit sous l’eau est très surprenant).
Trublions virevoltants
Parfois le cœur serré, j’observe une grande dame avec un long nylon et un gros plomb qui lui déforment la bouche, le corps tordu de fatigue à traîner ce fardeau artificiel, en d’autres funestes occasions j’ai dû achever des poissons à l’agonie. C’est comme ça. Par respect je ne laisse jamais un animal souffrir inutilement. Passons.
L’enthousiasme du banc de carpes curieux a parfois ses débordements. Certaines vont me suivre lorsque je cherche à faire la photo d’un brocheton, semant la désolation visuelle dans de petits tourbillons d’herbiers et de limon arrachés par leur célérité delphinesque. Elles ont la capacité à foutre le bordel «pour parler cru». Combien de mes approches ont été gâchées par ces trublions virevoltants allant même à bousculer sandres et silures endormis.
La carpe joue à se faire peur. Elle s’approche, s’enfuit à toute vitesse et reviens sur moi, me démontrant au passage que je ne suis qu’un boulet dans cet élément.
De tous les poissons d’eau douce présents dans le Lac du Diable, la carpe est la plus «à l’aise» dans cet élément. Elle nage mieux que les autres, elle vit en banc, elle est grande et puissante, elle saute en plus ! Le Salagou lui appartient.
Cette citoyenne Salagousienne qui attire l’œil et la canne mérite tout le respect de son grand âge.