Pêche du silure : comprendre la machine de prédation
C’est en observant des scènes filmées en aquarium que l’on prend conscience de la mécanique éclair d’une attaque de silure. A l’affût, le silure fascine par son impassibilité totale. Et ce, juste avant de porter son attaque foudroyante. La proie a très peu de chance d’en réchapper…
Il est rarissime d’observer de très près une chasse de silure dans la nature. Même les meilleurs spécialistes de la plongée en apnée ne parviennent pas à filmer des attaques. C’est ainsi qu’a germé l’idée de reconstituer son habitat dans un aquarium géant. Pour réaliser les prises de vue de la vidéo « Attaques de silures » sur Youtube, nous avions mis en place un nourrissage méthodique avec Cédric, chaque semaine.
Il fallait disposer des proies dans un aquarium de plus de 1000 litres, filmer le nourrissage et attendre… que le silure ait de nouveau faim pour renouveler l’opération. Ce fut donc un travail de longue haleine, échelonné sur environ 6 mois. Certaines attaques n’étaient pas exploitables en vidéo. Il fallait donc accepter une quantité de déchets dans les rushs, et faire preuve d’un travail patient sur le long terme pour pouvoir bénéficier de bonnes « actions de chasse ». Suite à cette expérience, nous avons bénéficié d’une mine d’informations. Ces dernières venaient contrarier ou parfois confirmer les supputations que nous autres pêcheurs échafaudions inévitablement ! L’observation en milieu clos aide à comprendre le scénario d’une attaque dans 8 mètres d’eau, au fond de la Saône, de la Seine ou du Rhin. Et elle nous donne des indices sur la manière dont on pourrait mieux pêcher.
Indices pour pêcher le silure
Plantons le décor de ces observations. Son habitat naturel a été reproduit le plus fidèlement possible dans la limite de la capacité de ce très grand aquarium, avec du bois mort, des caches, du gravier comme sur un fond de rivière. Dès l’introduction dans son nouveau milieu, il apparaît assez clairement que le silure est un poisson qui alterne placidité et agressivité. Il ne supporte guère la concurrence, qu’elle soit alimentaire ou territoriale. Dès lors qu’un second sujet est introduit dans le bac, il apparaît que Silurus Glanis s’organise selon une hiérarchie de groupe, dictée par la force et la taille. Le plus gros prend le poste qui lui semble le plus confortable. Le plus petit en trouve un autre et/ou se cale sous son congénère, à ses risques et périls. Régulièrement, un rapport de force s’établit et une explication s’impose entre le dominant et le dominé. Si la hiérarchie est remise en cause, il n’en demeure pas moins que la loi de la taille semble l’emporter systématiquement. Capable d’une grande sociabilité et de danses majestueuses avec son congénère, le silure partage beaucoup de choses mais pas son repas. Les observations du plongeur Damien Modrak, au fond du Rhône, confirment l’agressivité dès lors qu’il y a concurrence alimentaire…
A l’heure des repas… Nous étions en général entre 2 (Cédric et moi-même) et 6 personnes (des curieux passionnés), à assister aux nourrissages dans un local. La plupart du temps, nous avions un sursaut lors de l’attaque. Nous étions comme touchés par une petite décharge électrique, à la vue de l’engamage ultra rapide. Puis… passé le temps de l’effroi, nous parlions à chaud, sur chaque fait stupéfiant de l’attaque :
« Tu as vu, il a avalé son barbillon en même temps ! »
« La souche a carrément bougé pendant l’attaque… »
« Il s’est cogné contre la vitre en aspirant !»
Seul le slow motion permet d’observer correctement une attaque de silure
L’expérience était grisante. Ce qui nous a d’abord frappé, c’est la rapidité des attaques. Si bien qu’à la limite… parfois, bien modestement, on pouvait dire qu’on avait rien vu du tout ! C’est assez surprenant. C’est à croire que le silure attaque et engame un peu trop vite pour l’œil humain. En effet, il a fallu observer une attaque en appliquant un très grand ralenti sur la table de montage vidéo pour bien comprendre la mécanique de prédation. C’est à travers ces vues en « slow motion » que l’on décompose enfin le mouvement qui pourrait se résumer en ces quelques phases :
1/ Position de la pierre, immobilité, en affût sur un poste clef
2/ Attaque éclair sous la forme d’une aspiration, gueule béante
3/ Fermeture de la mâchoire pour agripper fermement l’éventuel repas fuyard
4/ Remise en équilibre du corps
5/ Mouvement de mâchoires pour diriger la proie vers les dents pharyngiennes
6/ Retour au tapis ; au sol, en position d’ingérer
La technique de chasse du silure est assez spectaculaire. Avant d’engloutir sa proie, il la déroute très violemment. Sa gueule de grande dimension est un gouffre capable d’aspirer des dizaines de litres d’eau. Une publication soviétique ancienne -de l’auteur Brujenko- démontrait qu’un silure de 60 kilos aspire un volume de 30 litres d’eau en une attaque. Cette « dépression » ou ce « courant aspirant » font ressortir une impressionnante quantité d’eau par les ouïes. La proie reste totalement prisonnière de ses solides mâchoires. Nous avons pu constater un « temps de survie » d’environ une minute pour une proie lambda introduite dans le bac. Et toujours le même scénario : une proie saisie et des micro-dents -implantées par milliers- qui la dirigent vers l’intérieur de la gueule. Et dans les secondes qui suivent une attaque, le prédateur se repositionne, sur le poste d’affût.
Un menu diversifié
Nous avons fourni une grande variété de proies aux silures captifs de l’aquarium. Quelques invertébrés, car nous pouvions en récolter par centaines, dans une mare située non loin. Ils étaient avalés en un clin d’œil. On ne pouvait pas vraiment parler de chasse mais plutôt d’aspiration nonchalante, en guise d’amuse-gueule. Les silures ont également montré de l’intérêt pour tous les poissons fournis : tanches, carassins, gardons, rotengles. Il met à son menu les vers de terre qu’on lui offre. Mais dès lors qu’ils sont suspendus à une ligne et un hameçon, c’est une autre histoire…
Le silure est beaucoup plus tactile et délicat que son physique ne le laisse penser. La vidéo en dit long sur sa faculté à dépiauter une grappe de vers, un à un, avec une finesse à peine croyable. Il faut voir cette expérience surréaliste pour la croire. Cela confirme exactement ce que l’on ressent quand on pêche « fil à la main » sous le bateau. Sous cette gueule de gros pataud se cachent des méthodes de tatillon. C’est vraiment le poisson de tous les paradoxes… Ce mastodonte est doté d’une intelligence remarquable comme on peut le voir dans la vidéo « Refus de silure et chapardage de vers ». Sur une des scènes, le poisson recrache la proposition qui lui est faite. Tout porte à croire que le contact du fer de l’hameçon lui provoque une réaction épidermique. Il est mis en alerte et détecte le piège. Tout est dit…
Des comportements très particuliers révélés en aquarium
Les expériences ont montré s’il était besoin que le silure est un prédateur opportuniste, capable d’ingérer toutes sortes de poissons, et mettant facilement au menu des grenouilles, serpents et invertébrés aquatiques, de très petits poissons. Un seul animal amphibie lui a opposé une forme de résistance : l’écrevisse. Attardons-nous sur quelques autres spectacles étonnant qui se passent derrière la vitre…
Un jour alors que nous donnions une proie aux deux silures de l’aquarium, suite à une coupure de courant, le bac des silures s’est éteint. Curieusement, dans la seconde, les silures se sont littéralement décollés du sol et se sont mis en patrouille dans tout le bac. Puis à la suite de tests réguliers, nous avons mis en évidence un très fort déclenchement de son activité en mode nuit. C’est instantané comme on peut le voir dans la vidéo « Comportement du silure ». Son cerveau semble programmé pour se mettre en chasse à la tombée du jour. C’est à méditer pour nos pêches journalières. Les fosses ultra pêchées ne sont-elles pas alors plus des aires de repos pleines de silures apathiques que des lieux de chasses ?
Ce poisson est un authentique sonar à moustache
De par sa morphologie avec une mâchoire inférieure proéminente, le silure présente une habileté certaine pour chasser vers le haut. Il a une forte tendance à aller capturer des proies à la surface de l’eau. Nous avons constaté à maintes reprises un positionnement quasiment en « I », autrement dit en position verticale, avec moustache vers l’avant, signe de position agressive. Il analyse son repas à distance grâce à son système sensoriel complexe. En effet, tout mouvement dans l’eau, que ce soit un coup de clonk, un coup de nageoire, une vibration, une onde, une turbulence est automatiquement détecté par l’oreille interne de Silurus Glanis. S’il a été de bon ton pendant des décennies d’écrire dans les magazines de pêche « qu’on ne savait pas grand-chose sur ce mystérieux poisson », c’est différent aujourd’hui. On sait pas mal de choses sur son comportement et sur son anatomie, et précisément que la transmission « sonore » est relayée et amplifiée par la vessie natatoire du silure, qui agit comme une caisse de résonance. En fonction des ondes reçues, le silure identifie la nature du bruit. Dans la foulée des plus amples informations olfactives et chimiques lui sont apportées par ses barbillons supérieurs. C’est ainsi que, doté de tout son arsenal de détection, le silure est un animal capable de rivaliser avec des sonars ultra perfectionnés. Ce poisson « high-tech » entend un gobage de gardons sous 8 mètres d’eau et détermine la nature d’un poisson par les simples turbulences de sa nage.
Le silure perçoit comme personne et analyse tout dans les moindres détails
Un coup de clonk, qui dans la pratique de la pêche reproduit un violent claquage de poisson en surface, n’est ni plus ni moins qu’un coup dans l’eau. Cette agitation effraie la majorité des poissons d’eau douce. C’est l’inverse pour le silure. Ce dernier possède les réflexes d’un super prédateur qui réagit « positivement» à ce qu’il considère comme une opportunité alimentaire. Ainsi le silure se dirige vers la source du bruit. Mais il s’adapte… peut apprendre vite et désapprendre ! Les pêcheurs de silures confirmés constatent un coté inhibiteur du clonk sur des secteurs de rivières trop « martelés». De surcroît, en observation face à l’aquarium, il est apparu évident que le silure se méfie des lignes, des plombs, des bouchons et hameçons. Dès lors qu’une proie lui est proposée de manière « suspendue » discrètement par un fil, il l’analyse longuement et la refuse une fois sur deux. Lorsqu’on lui présente un montage classique complet, il n’attaque presque jamais.
En guise de conclusion, et pour élargir le spectre de cet article, essayons d’appréhender ce poisson dans son milieu. De fait, c’est un poisson très « clivant ». On l’apprécie ou on le conspue. C’est une aubaine ou une malédiction selon le point de vue que l’on a décidé de défendre. C’est le poisson de tous les excès. Si bien que chacun analyse différemment le spectacle observé dans l’aquarium. Certains parleront du silure comme d’un puit sans fond, à même d’avaler le tout venant de la rivière ou d’aspirer des quantités de poisson très importante, d’autres y verront la preuve d’un poisson doté d’une intelligence particulière.
Même les ultra-passionnés du silure sont parfois aveuglés par une vision simpliste de leur sport et de leur poisson favori. Les plus gros silures atteindront probablement -pour les records- 2,80m pour 140 kilos sur le territoire français alors que jusqu’à présent, et notamment, jusqu’aux années 1980, prendre un poisson du mètre -toutes espèces confondues- relevait d’un exploit en France. Ce bouleversement de nos écosystèmes aquatiques ne doit pas se résumer à une lutte des «pro» et des «anti». D’un point de vue halieutique, le silure est une aubaine et une grande curiosité. C’est un poisson de sport comme aucun pêcheur n’en rêvait il y a 30 ans. Mais avec tout le recul nécessaire, il faut admettre qu’en étang ou en petite rivière, il est souvent mal vu et peu adapté.
Ainsi, il ne s’agit pas de faire de l’expansion du silure une histoire idéalisée, ni idéologisée. Le super prédateur pose des soucis dans les biotopes restreints et divise les pêcheurs. Les montées de silures sur des oiseaux comme sur cette vidéo « Face à face avec un cygne » montrent que ce poisson s’intéresse à tout ce qui bouge ou presque.
Espérant au moins que nos observations auront pu apporter des informations à toutes les personnes qui s’intéressent à ce poisson et que cela leur apporte un plus dans leurs techniques de pêche au silure.
Pour info, le triton palmé que vous lui donnez à 45″ dans la 3ème vidéo (appelé « menu fretin ») est une espèce protégée, dont il faut une autorisation pour la capturer et la détenir. Quant à la détruire, c’est formellement interdit. Et s’il s’agit des « invertébrés » que vous pouviez trouver par centaines dans la mare d’à côté, sachez que ce sont des vertébrés !