Comme tout le monde le sait l’automne est une saison exceptionnelle pour la pêche car les poissons se nourrissent fortement à l’approche de l’hiver. Mathias et moi avons un peu de temps libre en ce mois d’octobre, il est temps d’aller voir si les gros poissons sont en activité.
L’automne est là. Mat et moi n’avons pas beaucoup pêché cet été et nous n’avons qu’une envie, c’est d’aller croiser le fer avec dame carpe. Le camion est déjà chargé, il n’y a plus qu’à. Nous envisageons d’aller pêcher en fleuve mais les pluies récentes ont gonflé les cours d’eau. Ce n’est que parti remise, et nous nous dirigeons vers un lac où nagent de beaux poissons. Un seul objectif bien sûr, les attraper !
Round 1
Lorsque nous arrivons sur le lac le poste convoité est libre. L’installation est fastidieuse et gourmande en énergie, mais le poste est parfait pour une fois nous ne camperons pas à 100 mètres de nos cannes ! Avec notre pote Rémy nous discutons de la stratégie et affinons les différents axes de pêche. Nous décidons de pêcher loin, très loin, trop loin peut-être. L’essentiel des montages sera placé entre 200 et 300 mètres du bord. Il faut dire que tous les signes d’activité que nous avons vus jusqu’à présent sont vraiment éloignés de la berge. La nuit est doucement en train de tomber lorsque tous les montages sont en place. Deux heures plus tard, premier départ ! Mathias est seul pour sortir cette miroir de 18 kilos, on peut dire que ça commence plutôt pas mal! C’est un joli poisson, tout en longueur et à la force stupéfiante. Mat mettra plus d’un quart d’heure pour remonter cette furie. À cette distance, tous les combats se font en bateau, il est trop risqué de ramener un poisson du bord lorsque l’on pêche aussi loin, le moindre obstacle et c’est la décroche assurée. À peine la canne replacée que celle d’à côté démarre. Les premières 36 heures sont folles. Nous faisons beaucoup de poissons, des combats magnifiques, mais les monstres que nous sommes venus chercher ne sont pas encore là. Lors de la seconde journée, les choses changent. Nous prenons deux poissons de 20 kilos coup sur coup. C’est une « dynamique de grosse » me dit Matt aussi excité que moi à l’idée de ce qui nous attend. Mais contrairement à ce que l’on aurait pu penser cet élan frénétique se stoppe aussi vite qu’il a commencé. Difficile à expliquer. La moyenne des poids redescend et le rythme des départs s’accélère. La quatrième nuit nous sortons sept poissons, tous calibrés entre 15 et 18 kilos. Il manque un tout petit quelque chose pour que cette session se transforme en véritable carton.
Quoi qu’il en soit nous passons un vrai bon moment, il fait beau, nous sommes installés comme des rois. Nous rencontrons beaucoup de gens sympas, l’ambiance est chaleureuse par ici. Mais au bout de cinq jours, nous décidons de plier bagage. Les très grosses ne sont pas au rendez-vous et nous pensons savoir pourquoi. Il est plus sage de rentrer et de revenir dans quelques jours. Le terrain est préparé, nous aborderons le lac d’une manière différente la prochaine fois.
Round 2
Dix jours plus tard nous revoilà au bord du lac, prêt à en découdre. Selon nous toutes les conditions sont réunies pour réussir une belle pêche. Inutile de dire que la motivation est optimale. Dans cette optique nous décidons de changer de poste. Le second poste ne ressemble en rien au premier, il est comment dire… sale, dégueulasse serait le mot juste. Nous remplissons en quelques minutes deux sacs-poubelle de déchets en tous genres. Le pire est le nombre impressionnant de canettes en verre éclatées au sol, c’est tout simplement hallucinant! Nous prenons le temps de tout ramasser, histoire de ne pas nous couper les pieds à un moment ou à un autre. Outre ces prestations cinq étoiles, ce poste a au moins l’avantage de nous permettre de raccourcir la distance de pêche. C’est le premier paramètre que nous souhaitons modifier lors de cette seconde session. Nous allons rapprocher sensiblement nos montages. La zone que l’on désire exploiter est relativement uniforme et il n’est pas nécessaire de pêcher à des distances trop importantes. De plus, les allées et venues en bateau pour replacer les montages dérangent les poissons. En pêchant moins loin, le temps passé sur l’eau diminue, les nuisances sonores aussi. Toujours dans un souci de discrétion nos lignes sont écartées au maximum. Chaque montage est séparé par une distance de 40 mètres minimum et pêche à des distances comprises entre 100 et 150 mètres.
Lors de cette seconde session nous décidons également de modifier notre stratégie d’amorçage. Le but est d’essayer au maximum de cibler les gros poissons. Dans cette optique il faut essayer de ne pas déclencher une suractivité chez les petits poissons. Nous décidons d’amorcer au spot, de manière assez légère. Trois ou quatre poignées de billes sur chaque montage suffiront amplement. Les cannes placées en bordure pêcheront au maïs ou à la tiger. On ne sait jamais, s’il y a une petite koï qui passe! En amorçant de la sorte nous espérons toucher un banc de gros poissons qui ne sera pas effrayé par une activité excessive de petites carpes.
Moment de vérité
Tout est en place à la tombée de la nuit, il n’y a plus qu’à attendre. Nous montons l’abri, frontale allumée, impatients de savoir ce que cette première soirée nous réserve. Le temps est lourd et les températures élevées, malgré l’avancement de la saison… Les conditions environnementales sont là. J’espère que notre stratégie va fonctionner. Surtout, il ne faut pas que les détecteurs s’emballent trop cette première soirée.
Visiblement la stratégie semble efficace. Le lendemain matin, nous n’avons fait qu’une touche dans la nuit et une au lever du jour. Ce sont une commune et une miroir d’environ 13 kg. C’est loin de l’activité que nous avons connu la fois dernière. Maintenant, il faut espérer qu’un gros poisson rencontre nos appâts, mais dans pas trop longtemps de préférence, car nous n’avons que trois nuits pour cette session. Vers 11 heures Mathias fait un départ sur une des cannes du milieu. Nous montons immédiatement dans le bateau pour combattre ce poisson qui a déjà pris 10 ou 20 mètres de fil. Quel combat ! Au bout de 10 minutes à l’aplomb nous ne l’avons toujours pas aperçu. Seules quelques bulles et remous trahissent sa présence sous la surface. Lorsque le poisson se livre nous comprenons tout de suite que c’est une belle carpe. Le peson nous donnera raison, cette carpe brune, tout en longueur, pèse 23 kg. Après quelques photos la belle retourne dans son élément laissant derrière elle deux frangins heureux. La canne est replacée en bonne et due forme. L’excitation monte d’autant que le ciel se charge de plus en plus. L’arrivée d’une grosse dépression rime souvent avec la prise de carpes record.
La délivrance
La journée file à toute vitesse. Nous prenons un poisson dans l’après-midi, une miroir d’environ 15 kilos sur la même canne qui a produit la grosse miroir du matin. Nous faisons attention à ne pas trop réamorcer. Nous diminuons encore les quantités d’amorçage, pas plus de deux poignées de bouillettes sont dispersées sur chaque montage. Les cannes qui n’ont pas déroulé lors de la première nuit sont replacées sur des spots différents. En particulier, je recule la canne de gauche d’une vingtaine de mètres… ce détail aura vraiment son importance.
C’est croque-monsieur au repas ce soir, la spécialité de Mathias. Depuis nos nombreuses années de pêche il n’a cessé de perfectionner la composition et la cuisson de ces fabuleux sandwichs. Des plus classiques aux assortiments les plus farfelus, Mat a presque tout essayé pour en arriver aujourd’hui à une maîtrise parfaite de l’art des croque-monsieur ! Ce soir ce sera du basique (jambon, saucisson, mozza) cuit à la poêle. Les tranches de pain sont grillées avec du gruyère râpé. Personnellement, je préfère la cuisson au feu de bois, mais ici, discrétion oblige, il est impossible d’allumer un petit feu. Quel régal! Un petit œuf au plat par dessus et c’est le paradis ! Le repas est tout juste terminé quand ma canne de gauche démarre à fond. Le swinger est collé à la canne, ça siffle fort ! Quelques coups de rame et nous sommes au-dessus du poisson. Ça n’a pas l’air très lourd et la carpe monte rapidement en surface à une dizaine de mètres du bateau. La nuit est noire, le ciel très chargé, une sorte de brume sature le ciel d’humidité et nous empêche de distinguer le poisson. La carpe replonge pour refaire surface devant l’épuisette que Mat a déjà en main. Cette fois-ci nous voyons le poisson très nettement grâce à nos frontales. Nous la reconnaissons tout de suite, c’est la carpe que nous sommes venus chercher : un monstre. Une fois dans l’épuisette je vois le poing de Mathias se serrer à la manière d’un joueur de foot qui vient de marquer en coupe du monde ! Nos cris sont sourds, étouffés, mais l’accolade entre frangins est intense. De retour sur le bord, nous prenons encore plus la mesure de ce qu’il y a au fond du filet. Impossible de soulever la carpe directement, il faut d’abord la mettre dans notre « civière » pour ne pas l’abîmer. La pesée s’organise. Quel bœuf ! C’est fou d’avoir ça sur le tapis. Le verdict est sans appel : 31,1 kg ! Nous mettons ce poisson dans notre sac de conservation spéciale « bœuf » que nous réservons à chaque gros poisson que nous attrapons de nuit. C’est un sac surdimensionné que nous avons depuis de nombreuses années et qui permet aux carpes de ne pas se sentir à l’étroit. L’objectif est plus qu’atteint. Après une telle capture, il est impossible de s’endormir. Nous surveillons tour à tour cette géante qui fait légèrement bouger la corde du sac dès que l’un de nous deux s’approche. J’adore ces moments, sur le bed chair où l’on réfléchit à ce qui vient de se passer. Tous les sens sont en éveil, le moindre bip produit une puissante décharge d’adrénaline qui fait battre le cœur à tout rompre. Nous discutons pendant plusieurs heures des conditions de cette capture pour ajuster notre pêche du lendemain. Le matin nous réussissons à dormir deux ou trois petites heures avant d’être réveillés par une commune de 16 kg. Nous attendons 10 heures du matin pour faire les photos et vidéo de notre captive. Le ciel s’est légèrement découvert en ce début de matinée et nous essayons d’attraper un peu de lumière et de faire briller cette géante sous les faibles rayons du soleil. Cette carpe est extrêmement massive et donc très dure à porter. La séance photo se passe à merveille grâce à de jeunes locaux qui nous aident pour changer d’appareil ou pour filmer. La belle repart. Nous la regardons s’éloigner non sans émotion. Quelques minutes plus tard, côte à côte sur nos level, nous regardons le cœur léger ce lac qui nous a tant donné.
Incroyable !
Il nous reste moins de 24 heures de pêche après avoir relâché la big. Galvanisés par cette dernière capture, nous replaçons tous les montages au millimètre, et quelques repères sont de nouveau déplacés pour optimiser notre pêche. Quand on voit que l’on est dans une dynamique comme celle-ci je peux vous assurer que l’on s’applique au maximum à chaque dépose et à chaque repérage. Pour cette dernière nuit nous désirons exploiter une nouvelle zone où, la veille, nous avons entendu quelques poissons sauter, ça a du bon parfois de ne pas dormir. Nous avons d’ailleurs amorcé immédiatement cet endroit pour habituer les poissons à nos appâts. L’après-midi est calme. Nous avons le temps de transférer les photos sur l’ordi et d’admirer les deux blocs que nous venons d’attraper. Il fait beau maintenant, le soleil brille, le lac est lisse. Nous pouvons observer de temps à autre quelques poissons trahissant leur présence en surface. À la tombée de la nuit, tout s’accélère. Mat fait un run au crépuscule. Le combat est épique et il finit par sortir une commune d’une quinzaine de kilos. Nous la relâchons immédiatement. Puis c’est une petite miroir de 8 kg qui visite le tapis. Vers minuit Mat fait un troisième départ sur un nouveau spot amorcé de manière un peu plus large. C’est reparti pour un rodéo d’une quinzaine de minutes. C’est une miroir, une grosse miroir. Je tends le bras au maximum pour glisser cette carpe dans l’épuisette. Dans un dernier effort, le poisson donne un coup de queue pour s’échapper mais rien n’y fait. Lorsque nous regardons dans le filet, nous voyons que ce poisson est énorme. La joie est immense. Un jeune local nous a rejoints et assiste à la pesée. L’aiguille du peson ne s’arrête plus, c’est 25.2 kg de bonheur qui bougent sur le tapis. Ça, c’est une session d’anthologie ! Le « sac à bœuf » est une nouvelle fois mis à contribution. Le lendemain, nous avons de la chance, le soleil est radieux pour faire les photos de ce poisson magnifique. Mat se baigne avec la carpe avant de la libérer. Nous avons un profond sentiment de devoir accompli au moment où Mathias lâche la queue du poisson pour la laisser repartir vers les profondeurs.
C’est la fin
Malheureusement, la session se termine déjà. Il faut rentrer. Cependant, au moment de plier le matériel nous paraît bizarrement moins lourd que d’habitude. Les résultats de cette pêche sont au-delà de nos espérances. Que demander de mieux, nous avons attrapé les deux poissons que nous étions venus chercher. À la maison quand on y repense, on se souvient de toutes les sessions qu’elles soient réussies ou non. C’est d’ailleurs cela qui fait progresser, analyser et discuter de ses réussites et de ses échecs. Mais cette session gardera toujours une petite saveur particulière !