Il y a quelques semaines, le petit monde de la compétition carnassiers s’est enflammé. Entre indignations, approximations et procès d’intention, il était temps de publier un article fondé sur les explications recueillies auprès des deux arbitres présents et sur le cadre réglementaire qui régit ce type d’épreuve. L’objectif est double : restituer précisément ce qui s’est passé et expliquer pourquoi, en compétition, un détail matériel peut produire une décision lourde de conséquences… et les polémiques qui s’en suivent.
Les faits, tels qu’ils ressortent du compte rendu de décision arbitrale
L’épreuve en cause est un rendez-vous majeur du calendrier national : les Championnats de France de pêche en Float Tube, disputés dans le cadre de la Lowrance Master Cup. Le contexte sportif et partenarial compte : l’événement porte le nom d’un sponsor technique majeur, Lowrance. Plusieurs compétiteurs clés sont liés à des marques de premier plan. Le représentant des compétiteurs au sein du comité d’arbitrage, Vincent Lopez, est pro-staff Lowrance et VMC/Rapala, tout comme le compétiteur incriminé, Mathieu Jeannot. Tous deux ont d’ailleurs été partenaires en 2024 sur le Live Fishing Challenge, sous les couleurs de Mercury. Ce tissu de relations nourrit parfois des lectures hâtives ; il impose surtout une rigueur procédurale sans faille.
Selon les arbitres interrogés, l’affaire naît d’un signalement visant l’utilisation de poils naturels sur un montage ou leurre employé par Mathieu Jeannot. La séquence décrite est classique et cadrée : réception du signalement par l’arbitrage, contrôle matériel, recueil des explications du compétiteur, concertation des arbitres pour statuer. La vérification a confirmé la présence d’un élément en poils naturels. A ce moment-là, le compétiteur ne conteste pas avoir utilisé le leurre en question. Il estime en revanche que celui-ci est autorisé par le règlement d’après les arbitres.
Pour cette édition, aucune dérogation concernant les poils naturels n’a été annoncée au briefing. On se souvient qu’une tolérance avait été accordée l’an dernier lors des Championnats du monde 2024, au briefing, mais qu’elle ne figurait pas dans la version écrite du règlement. Cette tolérance internationale peut avoir laissé chez certains une attente de reconduction. Or, seule compte la règle de l’épreuve du jour : à défaut de dérogation explicitement briefée, l’interdiction s’applique pleinement.
Après examen, et consultation du comité d’arbitrage qui a été unanime, la décision des arbitres qualifie l’infraction au regard des textes et du briefing, motive la sanction par l’exigence d’équité sportive et en déroule les effets concrets sur le classement, qu’il s’agisse d’annulation de prises, de retrait de points, de déclassement ou de disqualification selon le barème prévu. Rien, après discussion avec les arbitres, ne suggère de légèreté : les arbitres confrontent des faits matériellement constatés à des règles opposables, puis décident dans ce cadre.
L’unanimité de la décision et la procédure stricte suivie vont à l’encontre d’une lecture biaisée par les affinités de marque ou l’historique de binôme. On peut débattre de la règle elle-même, on peut souhaiter l’amender ; on ne peut pas reprocher à l’arbitrage d’appliquer autre chose que la règle du jour.
« Ce sont des décisions très difficiles à prendre. C’est pour cela que nous avons un règlement et un process de prise de décision clair et cadré. La mission d’un arbitre officiel c’est d’assurer l’équité sportive entre tous les compétiteurs. Sur ce cas précis, l’ensemble des procédures ont été scrupuleusement suivies, nous avons même contacté le patron de VMC afin de nous faire confirmer que des fibres naturelles étaient bien présentes sur le leurre en question. On comprend bien sûr que cette décision suscite de la déception pour le pêcheur visé et son entourage, pour autant, nous avons rempli notre mission. »
Jacky Hodbert – Arbitre FFPS
Le cadre des règles : pourquoi et comment on tranche en compétition
Pour comprendre pourquoi un détail comme la nature de fibres ou de poils sur un leurre entraîne une sanction, il faut sortir du réflexe de la pêche de loisir. La compétition, qui plus est une compétition qui va désigner un champion de France, repose sur un cadre normatif strict qui garantit l’égalité des chances, la comparabilité des performances et la sécurité. Ce cadre ne tolère pas l’à-peu-près. Un titre de Champion de France, associé à des enjeux d’image et parfois financiers, ne se joue pas avec des règles élastiques.
Le statut du briefing est crucial. En compétition, le briefing fait partie du règlement : ce qui y est précisé, ajusté ou interdit devient opposable. Ce mécanisme harmonise l’interprétation des textes, élimine les zones grises, s’adapte aux conditions locales et oblige chaque compétiteur à écouter, questionner et intégrer, à chaque édition, ce qui change. Une tolérance accordée un jour sur une autre compétition n’ouvre pas un droit permanent. Sauf annonce explicite, elle cesse.
La règle des poils naturels s’inscrit, en France, dans une continuité avec l’esprit FIPSED des dernières années : interdiction par défaut, sauf dérogation claire. La confusion actuelle tient en partie à la tolérance annoncée au briefing des Championnats du monde 2024 : beaucoup ont pris l’habitude, ou ont pensé que cette tolérance serait reconduite partout. Ce n’est pas le cas. Sur les Championnats de France en question, aucune dérogation n’a été briefée ; l’interdiction valait donc pleinement.
Ce rigorisme apparent n’est pas un caprice. On se souvient de la Salmo Trek 2024, où un binôme pressenti pour la victoire a été disqualifié pour quinze minutes de retard au bivouac. Ou encore le carton rouge d’une équipe à la MFC 2024 pour avoir reçu de l’aide d’un cadreur. La sévérité n’est pas une punition morale : c’est la condition d’un cadre prévisible et égalitaire. Lorsque l’on commence à tordre le sablier pour les uns, on déglingue l’effort de tous les autres.
La posture de la FFPS Carnassiers et la question de la communication
Sollicitée, la FFPS Carnassiers a choisi la réserve : pas de commentaire public sur la décision arbitrale. On n’attend pas de la Fédération française de football qu’elle justifie une décision d’arbitre en finale de Coupe de France ; on comprend qu’ici, la même philosophie prévaut. Cette posture vise à protéger l’autorité de l’arbitrage, à éviter que chaque cas devienne un débat médiatique sans fin et à préserver la sérénité des officiels.
Personnellement, je comprends que ce silence puisse frustrer, notamment chez les pêcheurs de loisir moins familiers du rôle des briefings et de la hiérarchie des normes. C’est précisément la raison d’être de cet article : non pas « refaire le match », mais expliquer comment et pourquoi la décision a été rendue, selon les règles en vigueur ce jour-là.
Il reste un chantier très concret : la traçabilité. Mettre noir sur blanc les annonces du briefing, conserver un enregistrement, formaliser la prise de connaissance, continuer d’harmoniser la version écrite avec les usages internationaux comme c’est déjà le cas. Moins il y a d’ambiguïté a posteriori, moins les réseaux sociaux font office de tribunal.
PRECISIONS APPORTEES PAR LA FFPS Carnassier
Conformément aux principes généraux applicables à l’ensemble des disciplines sportives, il est rappelé que les décisions arbitrales sont souveraines, définitives et ne peuvent faire l’objet d’aucune contestation. Les règlements de la FFPS Carnassier disposent expressément de cette règle, laquelle s’impose à tous les compétiteurs.
À titre de comparaison, dans le domaine du football, un carton rouge infligé par l’arbitre ne peut être annulé ou remis en cause par le joueur sanctionné, ni par les instances compétentes, et ce, quand bien même cette décision pourrait avoir des incidences sportives, médiatiques ou économiques importantes. En revanche, il appartient aux organes disciplinaires régulièrement saisis d’apprécier, dans un second temps, les suites à donner à une telle décision et de prononcer, le cas échéant, les sanctions prévues par les règlements (avertissement, suspension temporaire ou définitive, etc.).
Il est en outre rappelé qu’en procédant à son inscription à une compétition, chaque participant accepte sans réserve l’ensemble des dispositions réglementaires applicables. Cette inscription vaut reconnaissance expresse et préalable de sa parfaite connaissance desdits règlements et de son engagement à les respecter strictement.
Conclusion
Cette affaire, partie d’un leurre comportant des poils naturels, rappelle une évidence que l’on dit trop peu : en compétition, le détail est la règle et la règle est l’équité. Les arbitres décrivent une procédure méthodique, des vérifications matérielles et une décision unanime rendue dans le cadre opposable du jour. J’assume ici un jugement personnel : malgré les proximités de sponsors et un passé de binôme avec Mathieu Jeannot, Vincent Lopez a tenu sa position de représentant des compétiteurs avec probité. On peut contester la règle, on peut vouloir la faire évoluer ; on ne peut pas exiger d’un arbitre qu’il applique une quelconque tolérance.
Pour apaiser durablement le milieu, il faut investir dans la clarté : des textes cohérents, des briefings documentés, une pédagogie continue et des restitutions sobres mais précises des décisions importantes. La compétition y gagnera en sérénité. Et les titres de Champion de France conserveront la valeur que compétiteurs, organisateurs, partenaires et publics sont en droit d’attendre.