Bientôt 15 ans qu’émergent les grandes lignes de la pêche au silure que nous connaissons. L’essor d’un matériel de plus en plus adapté ainsi que la présence du silure dans la quasi-totalité de l’hexagone a considérablement changé la donne. La pêche de ce poisson trouve de plus en plus d’adeptes. Des pêcheurs provenant de tous horizons, beaucoup du monde de la carpe, du carnassier avec des profils plus ou moins confirmés mais énormément de pêcheurs novices souhaitant se mesurer à ces géants. Car ne nous leurrons pas, les idées fausses sur la présumé résistance légendaire du silure ne datent pas d’hier. Des idées fausses véhiculées alors que la promotion de ce poisson bat son plein sur les réseaux sociaux et fait de plus en plus d’adeptes, qui ne se posent pas vraiment la question de « comment manipuler ces poissons ? » Alors qu’advient-il réellement lorsque ces poissons disparaissent de notre champ visuel propulsés par les mains du passionné dans les eaux troubles ?
Cette communauté hétéroclite qui découvre l’espèce et ses mœurs, et qui bien souvent grâce à l’aide des tutos web commence l’aventure sur les chapeaux de roue avec la capture de spécimens âgés dépassant les 2m30. Tout cela est génial et contribue à faire évoluer les choses positivement, mais un point moins connu et plus sombre découle de cet engouement depuis quelques années. Les mortalités et mutilations involontaires sur les gros silures ont explosé. Un phénomène lié en grande partie aux manipulations et aux erreurs de pêches qui autrefois passaient inaperçues sur la poignée de pêcheurs composant les premières générations de siluristes. Une minorité de pêcheurs qui jouissaient d’un cheptel piscicole en plein boom mais qui maintenant s’essouffle.
Depuis peu les mentalités évoluent et on voit apparaître des débats houleux aux sujets des bâches, des pêches estivales, de l’encordage et il convient de répondre à ces interrogations. Comme cela a été salutaire pour la carpe à ses débuts, instaurer pourquoi pas un code éthique pour sauvegarder les cheptels fragiles de gros individus de plus en plus pêchés. Rappelons que ces gros poissons sont un facteur clé dans l’autorégulation de l’espèce en plus d’être de magnifiques poissons de sport. Ne donnons pas du grain à moudre à nos détracteurs.
Avant de rentrer dans le vif du sujet, je perçois déjà l’agacement de certains lecteurs et à juste titre « m#€% alors pourquoi devrais-je prendre toute ces précautions alors que la pêche commerciale et les braconniers détruisent impunément des cheptels entiers, ce n’est pas quelques minutes en plein soleil dans le bateau qui vont détruire la population de silures du coin ! ». Et bien concernant les vieux poissons, détrompez-vous… En aparté je ne peux qu’encourager les passionnés à investir le tissu associatif et à s’impliquer sur le terrain car les choses ne vont pas fort pour le silure avec les programmes de régulations et commercialisations de l’espèce à grande échelle au profit de la pêche professionnelle.
Pour revenir au sujet, le couteau d’un anti-silure tue aussi aisément que les manipulations agressives d’un passionné dans du gravier brulant en plein mois d’août. Cela s’est malheureusement illustré sur certains tronçons médiatisés de rivières sur lesquelles les cheptels en gros individus ont fondu comme neige au soleil, victimes été après été des mauvais traitements infligés par les pêcheurs no-kill eux même. Avant de rentrer dans les « codes à respecter » il convient d’en comprendre les raisons en parlant biologie/chimie du poisson.
Oxygène pour le silure
Côté chimie dans les grandes lignes la majorité des poissons puisent leur énergie à travers les échanges gazeux qu’ils réalisent en absorbant l’oxygène dissous dans l’eau grâce leurs filaments branchiaux. Ce taux d’oxygène dépend majoritairement de la température de l’eau. Lorsque cette température est basse, 16°C ce taux est élevé et inversement lorsque cette température est haute.
A 20°C ce taux devient de plus en plus faible. Pour donner un ordre d’idées une eau à
12°C donne 14mg/litre d’oxygène dissous alors qu’une eau à 28°C (température régulièrement atteinte les mois estivaux) donne un taux de 7mg/litre soit moitié moins d’oxygène. Un stade à partir duquel beaucoup de poissons rentrent en tropisme respiratoire durant la journée en cherchant les places les mieux oxygénées. Il convient d’être très respectueux avec eux si on les pêche durant ces phases.
C’est grosso modo ce qu’il se passe pour nos partenaires de jeu lorsqu’ils sont montés dans un bateau ou échoués sur une berge sèche en pleine période estivale après un combat. Il y a des solutions pour réaliser des clichés dans l’eau par transparence sans mettre la vie du poisson en danger durant ces moments. Autre phénomène lui aussi chimique propre à tous les êtres vivants, la création d’acide lactique dans les muscles suite à un effort intense dans un milieu pauvre en oxygène. Le silure y est très sensible, particulièrement les individus âgés lorsqu’elle est couplé au stress prolongé des séances photos/manipulations, entrainant parfois la tétanie partielle du poisson ne pouvant plus ventiler et se mouvoir normalement.
C’est le cas bien souvent des poissons que l’on voit malheureusement sur certaines stories/reels des réseaux sociaux, la bouche grande ouverte, fortement décolorés, l’œil dans le vague, sans aucun signe de mouvement branchial d’oxygénation ces poissons bien souvent « ont passé le cap » pour être relâchés correctement et ils finissent par mourir sur le fond loin des regards. Leur cadavre réapparaîtra quelques jours voire semaines plus tard en aval coincé dans un obstacle.
Une couche protectrice
Abordons également le problème houleux du mucus : à quoi sert-il ? Lui aussi a un rôle souvent oublié qui est clé dans les échanges gazeux mais sa fonction première est la protection du poisson des attaques bactériennes et des infections fongiques ainsi que des pollutions diverses. Une fois enlevé la peau du poisson est « nue » particulièrement celle du silure qui n’est pas pourvu d’écailles et qui suite à une abrasion sur un sol ou une bâche sèche (même tarif) puise dans ses ressources pour refaire ses protections, entrainant un amaigrissement important et dans les cas extrêmes lorsque les eaux sont chaudes et cyanosées des infections mycosiques fatales.
Attention aux points de pression
Un autre point rarement évoqué le phénomène des « points de pression » lors des manipulations. En effet la majorité des poissons se déplace exclusivement dans l’eau, leur corps n’est pas soumis aux mêmes contraintes de gravité que nous autres pauvres bipèdes. Leurs organes, leurs squelettes ne sont pas faits pour supporter les contraintes terrestres une fois sortis de l’élément liquide.
Ce phénomène est accentué chez les gros poissons du fait de leur poids tel que le silure qui supporte très mal certains types de manipulations de levage par la mâchoire, les ouïes, le ventre… J’en ai moi-même fait la triste expérience durant mes jeunes années en voulant copier les poses de certains clichés au rendu spectaculaire qui s’avéraient complètement destructrices pour l’ossature et les organes internes des poissons. Une raison qui m’a d’ailleurs poussé à développer mon propre style de photo/manipulation notamment par transparence dans l’eau ou focalisant sur des détails anatomiques. Un style qui allie beauté et respect et qui n’enlève rien au gigantisme de la capture.
Comment manipuler les gros silures ?
D’une manière générale vous l’avez compris les gros silures sont fragiles et doivent le moins possible être sortis et manipulés hors de l’eau du fait de leur poids. Alors comment faire pour réaliser de beaux clichés sans virer dans l’extrémisme le plus total diront certains. Nous allons également y répondre à travers quelques conseils simples de manipulations tirés des enseignements cités plus hauts. Ces conseils s’appliquent principalement aux gros sujets (plus de 2m).
1er point : Manipule le plus possible ton poisson dans l’eau !
En particulier de juin à août durant les heures chaudes les poissons passent en mode « survie oxygénation » (comme expliqué plus haut). La baignade n’est alors pas une option pour le pêcheur car pour le poisson passer d’une eau à 25°C à une bâche ou un sol même humide chauffé à 40°C par le soleil… c’est le choc thermique assuré.
Certains préconisent d’ailleurs l’encordage une dizaine de minutes après le combat avant la séance photo aquatique. Une méthode qui fonctionne très bien à partir du moment où le silure n’est pas sorti de l’eau durant la phase capture et encordement. Le poisson sera placé alors dans une zone de préférence avec du courant et profonde. Rappelons que le silure est poïkilotherme, il ne peut réguler sa température corporelle qui varie en fonction du milieu dans lequel il évolue. Important : lorsque la photo/manipulation dans l’eau n’est pas possible, essaye de faire reposer la totalité du corps du silure sur une surface plane sans aspérités importantes pour repartir son poids et ainsi éviter les points de pressions.
2eme point : Ne multiplie pas les séances photos/manipulation lorsque ton poisson est dans le rouge.
En effet beaucoup ne surveillent pas les signes vitaux de leur poisson lors des photos/vidéos hors de l’eau. Pourtant ces indications visuelles en disent long. Si le poisson ne ventile plus (mouvement de va et vient vertical de sa mâchoire inferieur), qu’il commence à décolorer fortement, s’il ne contracte plus son corps ni ne bouge ses barbillons sensoriels (en avant ou arrière) lorsque tu tapotes sa mâchoire supérieure, il est temps de t’inquiéter pour sa survie ! Il a sans doute « passé le cap » pour être relâché avec une chance de survie raisonnable. La plupart du temps dans ces cas-là le poisson restera figé sans réaction, gueule béante. Il ne nagera pas correctement une fois placé dans l’eau et basculera lentement sur le dos si le pêcheur ne le maintient plus. Il est souvent trop tard pour lui, même avec la meilleure volonté du monde en le tirant dans les veines d’eau plus froide. Son sort est scellé. Il aurait pu en être autrement en écourtant la séance photo/vidéo de quelques minutes ou tout simplement en se concentrant sur un seul type de clichés.
Un moyen simple d’ailleurs de reconnaître un poisson avec de forte chance de survie : le laisser de lui-même repartir statique, sans le pousser depuis la berge. S’il est alerte, qu’il tente de vous mordre ou nage énergiquement soyez certains que vous le recroiserez prochainement !
3ème point : Ne traine/soulève jamais un gros silure exclusivement par sa mâchoire inférieure ou par ses ouïes.
Pour commencer il existe des « zones adaptées » pour échouer un silure sans risque traumatique telles que les plages herbeuses et sablonneuses. Ces spots « caviars » au ras de l’eau sont plus ou moins présents selon les profils des rivières et ils doivent être mémorisés car il vaut mieux dériver quelques minutes avec le silure encordé dans l’eau plutôt que le hisser sur la berge abrupte qui se présente en face de vous lors de la capture.
Lorsque la manipulation est inévitable, il faut toujours prendre 2 appuis lors de la levée/montée d’un silure et de préférence s’y prendre à deux. La prise la plus stable est une main agrippant la mâchoire l’autre la pectorale. Les dénuquages et autres traumatismes sont l’une des causes premières de mortalité. Il existe maintenant des brancards de levé spécial silure qui sont parfait pour les pêcheurs qui veulent réaliser des clichés sur des berges hautes (déconseillé tout de même pour les gros individus). Attention en revanche que ces sacs présentent des fermetures latérales solides sous peine de voir le silure s’écraser en contrebas.
Récemment sur le marché des brancards proposent une double utilisation sac de conservation/levé, fuyez les un maximum ! De nombreux spécimens sont morts dans ces produits mal étudiés ne pouvant ventiler correctement.
A éviter également, tirer son silure sur la berge par la corde d’encordage. Cette corde n’a pas cette fonction, vous risquez d’endommager gravement l’ouïe. Là encore aidez-vous des pectorales qui sont un point d’appuis sûr dans la mesure où vous n’exercez pas une pression trop forte car elles peuvent tout de même casser.
4ème point : Tu n’encorderas le silure que si nécessaire
En effet l’encordement présente toujours un risque traumatique ou d’hémorragie pour l’ouïe (si on touche l’arc branchial) lorsqu’il est réalisé dans la précipitation ou par une personne inexpérimentée ne bénéficiant pas du bon matériel. Il est également dangereux lorsque le poisson est placé dans des zones où l’eau est dormante et peu profonde. En effet le manque d’oxygène et les sédiments limoneux abondants soulevés par les mouvements statiques du poisson peuvent entraîner la mort du sujet en se fixant sur les filaments branchiaux. Il est également à proscrire si le poisson a été victime d’une blessure/saignement sur un arc branchial car en se débattant la corde viendra systématiquement réouvrir la plaie.
5ème et dernier point : Arrose sans modération et même quand cela paraît bon dans le doute arrose encore !
La modération est à oublier en matière d’humidification pour le silure en effet contrairement à la carpe pourtant plus résistante, il ne bénéficie d’aucun cradle frais plein d’eau ou tapis de réception humide molletonné pour le protéger lors des manipulations. C’est pourquoi il faut compenser cela en inondant littéralement la zone d’échouage (à l’aide d’un seau pliable ou à la main) dans un premier temps pour abaisser la température du sol et dans un second temps pour permettre de favoriser la glissade du poisson sur la bâche humide évitant la fameuse abrasion et les contraintes de pression sur le poisson qui vous remerciera, tout comme vos lombaires.
Il existe aussi un moyen qui vous exempte de bâche c’est l’échouage sur des zones de shallow très peu profondes (quelques centimètres d’eau). Clairement ce sont les zones parfaites elles permettent de réaliser des photos magnifiques, les poissons ne glissent pas et le mucus et la température corporelle du poisson est maintenu !
Du respect et de l’éthique
En résumé il convient plus que jamais de concilier et véhiculer respect/éthique dans la manipulation des gros silures dont la biologie est méconnue d’une grande majorité de la communauté des pêcheurs récréatifs. Des pêcheurs pratiquent pour beaucoup le No kill mais cette pratique peut perdre très vite tout son sens lorsque sur une journée de pêche estivale plusieurs spécimens passant les 2m40 peuvent être capturés/jour et tués involontairement dans la foulée à cause d’une méconnaissance et parfois avouons-le un manque de soin dans la manipulation.
« Le silure si on l’aime on le respecte jusqu’au bout ! »
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Pourquoi et comment la pêche s’est-elle égarée ? En 300 000 ans d’humanité, on a toujours pêché pour manger et c’est clair que ça blesse, que ça fait mal et que ça tue … La dernière version d’homo sapiens pêche … pour pêcher. Mais ça tient difficilement debout dans les grands milieux. L’homme est toujours omnivore et tue toujours -ou fait tuer le plus souvent- plantes et animaux pour vivre. Mais qu’il blesse des animaux POUR LE FUN, comme le chat joue avec la souris ne saurait être une voie de sa grandeur. Même mon chat, à la fin, il la bouffe, la petite bête. Et il ne publie pas de photo en pied de matou triomphant.
L’homme gavé ne veut pas écailler, nettoyer, cuisiner … Il veut juste continuer à prendre de plus gros poissons avec du meilleur matériel pour le relâcher pour continuer à prendre etc, etc,. L’homme abouti tuerait et préparerait sa prise, il ne retournerait pas faire chier les poissons tant qu’il n’a pas terminé ses provisions. On se rapprocherait ainsi à nouveau de la pêche paysanne et vivrière d’il y a un gros demi-siècle, où les riverains pêchaient quelques fois par an, avec leurs moyens les plus efficaces dont ils disposaient et aux moments les plus favorables, puis retournaient élever leurs troupeaux et cultiver leurs champs.
NB. La relâche est bien sûr nécessaire pour une espèce en voie de disparition.
Je partage complètement votre avis. Le principe même de la pêche « sportive » et du « no kill » provient du business de la pêche, où l’argent est roi, avec la complicité des fédérations et des aappma.
La preservation de l’environnement n’est qu’un prétexte. La pêche est ainsi passée d’activité nourricière à un loisir commercial. Il me semble que dans je ne sais plus quel pays, il est interdit de relâcher un poisson. Tu le pêches, tu le manges. Je trouve cela très cohérent, et je serais personnellement favorable à cette pratique. Je suis pêcheur, évidemment. Je sortirais probablement moins de poissons, j’aurais probablement une approche différente…