Peu d’endroits échappant de nos jours à la surpêche, les carpes ont appris à se méfier des appâts exogènes que leur présentent les pêcheurs. Mais bien d’autres facteurs peuvent expliquer les capots subis… Un début de réflexion sur l’amorçage, sur la présentation des lignes ou encore sur sa pratique en général s’impose.
Quand la carpe se sent en danger…
Les vidéos type « underwater » montrent constamment des carpes sous pression, qui prennent et recrachent bouillettes et esches au grand dam du pêcheur. Si les poissons filmés et leurs comportements ne reflètent pas toujours les conditions rencontrées au quotidien, si ces films « publicitaires » sont essentiellement destinés à nous leurrer et à nous inciter à acheter des produits présentés, il est primordial d’éviter de stresser les carpes évoluant à proximité de ses bas de lignes et sur sa zone de pêche en général. Les pêcheurs accordent une grande importance à la discrétion et l’aspect mécanique des montages employés mais négligent trop souvent l’aspect tactique de leur approche ou encore leur zone de bivouac. Alors, doit-on privilégier l’attractivité ou miser sur la discrétion ? Est-il judicieux d’amonceler des kilos de particules autour de l’esche fatidique quand une seule bouillette dans un petit périmètre est parfois plus prenante ? Autant de questions et de situations qui n’ont pas de réponse unique mais qui méritent pourtant qu’on s’y arrête un peu.
Amorcer ou pas autour de ses montages?
Il est difficile d’avoir des certitudes quant à la nécessité de présenter des tâches de nourriture plus ou moins importantes à proximité de l’appât au cheveu. Les conditions ne sont pas les mêmes en fonction des sessions ; elles peuvent même évoluer rapidement en cours de pêche… Mais mes dernières expériences m’ont amené à constater que je touchais davantage de poissons sans avoir recours aux matériaux solubles, et souvent les plus gros ! On peut difficilement prétendre que le PVA marque chimiquement la zone après dissolution car trop d’éléments accélèrent sa dispersion, aussi bien le courant existant que les nuisibles à la recherche d’une nourriture facile. Par contre, pour peu que les lieux fréquentés connaissent une certaine pression de pêche, les carpes se méfieront davantage d’un chapelet de billes parfumées confectionné à l’aide d’un matériau soluble que d’une bouillette trouvée parmi d’autres sans qu’absolument rien ne les différencie, ou même qu’un appât utilisé en single…
Une anecdote que m’a racontée dernièrement mon ami Marco illustre parfaitement ces propos : se trouvant de passage au bord d’une gravière bien connue de région, il apprend que deux carpistes allemands viennent de capturer le fish record du plan d’eau à 34+, en pleine journée et quelques heures après s’être installés. Une bouillette en single présentée sur un spot prometteur a suffi à conduire cette carpe de toute beauté à l’épuisette, alors que des dizaines de pêcheurs la traque depuis des mois. On peut penser que le hasard fait bien les choses, mais repenser les options choisies pour aborder un plan d’eau peut aussi s’avérer judicieux…
Des techniques d’amorçage en question
Parmi une liste pléthorique de paramètres reconnus pour influencer l’appétit des poissons, on peut penser que l’amorçage occupe une place prépondérante dans la réussite d’une session. Et ça tombe d’autant mieux puisque cet élément dépend entièrement du pêcheur…
Sans vouloir revenir sur la pertinence de l’amorçage préalable, qu’il soit un ALT ou un « bennage » au sens propre du terme, il est primordial de réfléchir au positionnement des esches par rapport à la masse de nourriture exogène introduite dans un périmètre plus ou moins important. Si certains ne jurent que par des appâts boostés que je préfère personnellement utiliser en single ou face à des poissons peu éduqués, la tendance actuelle préconise des bouillettes d’eschage et d’amorçage identiques ou tout juste équilibrées et montées en bonhomme de neige à l’hameçon. Dans ce cas précis, il est inutile d’alerter les carpes en leur présentant une bouchée inhabituelle.
Comme la pêche n’est pas une science exacte, il existe des cas dans lesquels différencier l’esche et l’amorçage est payant. Un appât totalement différent de l’amorçage peut s’avérer judicieux, notamment quand rien ne semble fonctionner. De la même manière, il y a des moments de boulimie durant lesquels le rythme des départs est proportionnel à la quantité de nourriture déversée autour de ses montages, des moments trop rares où l’on trouve les paquets de bouillettes trop petits !
Le camouflage de la ligne : oui mais…
Les carpistes ont très vite compris l’importance de soustraire les lignes à leur détection par les poissons, qu’elle soit visuelle ou tactile… En effet, comme tous les animaux sauvages, la carpe a développé des caractéristiques physiologiques lui permettant d’évoluer en sécurité relative dans son milieu naturel. La pression de pêche contribue fortement à amplifier la méfiance innée des poissons. Entendre ses détecteurs bipper parce que des carpes ont touché un corps de ligne ou voir dans une eau limpide une carpe fuir un spot de pêche après avoir détecté des cordes à linge lui barrant le passage n’est jamais très bon signe.
Peu nombreux sont les carpistes utilisant des montages grossiers et le temps des scoubidous en guise d’anti-emmêleurs est révolu. On peut considérer que toutes les marques proposent des matériels dignes de confiance et fonctionnels pour réduire la détection des lignes par les poissons : back lead, tresses gainées ou non, hameçons, plombs et autres matériaux divers… Pour résumer, on peut dire que les fils de type fluorocabone ainsi que certaines tresses camouflées permettent de soustraire la ligne à la vue des carpes, alors que des matériaux comme le lead core, le tungsten et diverses plombées permettent un plaquage du fil idéal quand la nature des fonds l’autorise. La pêche fils détendus ou avec des corps de ligne ayant une densité supérieure à l’eau n’est toujours possible à cause des obstacles. Il convient avant tout de s’assurer de pouvoir amener dans de bonnes conditions les carpes à l’épuisette, sans risque exagéré de casse. La sécurité des poissons impose parfois de délaisser certains postes ou certains matériaux dits indétectables, mais surtout trop fragiles… Les nombreux articles parus dans la presse halieutique exposent les tenants et les aboutissants des divers montages : avoir dans sa boîte de pêche de quoi réaliser les deux à trois montages de base suffit et permet de parer à la plupart des situations, sans pour autant tomber dans la paranoïa en croyant que la carpe détecte tous les pièges.
Le placement des lignes
Le placement des lignes est un élément rarement pris en compte par les pêcheurs. Un bon repérage des zones de nourrissage des poissons, des trajets qu’ils empruntent régulièrement ou encore la connaissance de leurs habitudes en un lieu précis sont des atouts indéniables, mais l’axe selon lequel une ligne est tendue mérite d’être étudié afin que les poissons trouvent les éléments de l’amorçage ainsi que l’appât esché avant de pouvoir détecter le piège du montage.
Sauf dans quelques cas bien particuliers, ce n’est un hasard les pêcheurs de rivière orientent généralement leurs cannes vers l’aval, parce que les poissons des eaux courantes se nourrissent principalement face au courant, en remontant vers l’amont. Pour schématiser, le placement des cannes face aux trajets que suivent les carpes en quête de nourriture réduit considérablement les risques de détection des lignes. De la même façon, en eau calme, l’exploitation d’un spot évident peut donner des résultats très différents en fonction de l’axe selon lequel on le pêche. Il suffit parfois de déplacer son campement et les supports des cannes pour que les touches s’enchaînent. Je garde toujours en mémoire la leçon de pêche que m’a donnée mon ami Thierry sur un lac d’origine glaciaire que nous pêchions activement il y a quelques années. Compte tenu d’une topographie particulière avec des fonds couverts d’une vase stérile et une profondeur moyenne de vingt mètres, seules les extrêmes bordures constituées d’éboulis abruptes y sont productives. Nous avions pour habitude de tendre nos lignes sur la rive opposée, soit à environ 300 mètres : ce n’est pas un problème quand on pique régulièrement des carpes, mais les touches se sont faites plus rares avec la pression de pêche. Thierry a trouvé la solution en s’installant sur des postes inhabituels qui lui permettaient de déposer ses montages sur le chemin des carpes, face à leurs déplacements habituels, sans avoir à barrer le lac de cordes à linges pouvant effrayer les poissons. Il est parfois inutile de surcharger un poste de cannes, une ou deux lignes savamment placées peuvent parfaitement faire le job.
Pour toutes ces raisons, je m’étonne encore de voir le nombre de carpistes utilisant un rod pod alors que des piques séparées permettent de mieux répartir ses cannes, tout en réduisant l’angle avec la ligne pour améliorer la détection des touches.
Et si on parlait installation du carpiste ?
Difficile de parler de zone de sécurité pour les carpes sans parler de l’installation du pêcheur ! La discrétion et le camouflage sont des maîtres mots de notre pratique, tant pour se cacher (je n’incite pas à la pêche hors secteur, quoi que…) que pour ne pas effrayer les poissons de la zone. Certains postes exigus impose de se poser à l’arrache sur le peu de berge disponible et de pêcher en « direct live », le talon des cannes à la sortie du biwi. Mais comment expliquer que certains hésitent à décaler les piques d’une petite dizaine de mètres de chaque côté de l’abri afin de gagner en discrétion ! Tous les bruits extérieurs et les lumières intempestives qui alerteraient des poissons en vadrouille sont à éviter. Personnellement, je vais à la pêche pour avant tout essayer de capturer des carpes. Dans ma quête de tranquillité, je fuis les lieux très ou trop pêchés et préfère vivre en ermite dans mon coin, bien qu’un café partagé avec des collègues ne me rebute pas. Mais les côtelettes au feu de bois, le rosé qui va avec et l’agitation sur les berges en pleine nuit m’incitent à changer de coin. C’est là toute la différence entre le camping et la traque de la carpe.
Privilégier l’aspect mécanique des montages plutôt que leur camouflage
Hormis sur des eaux limpides et en pleine journée, on peut légitimement s’interroger sur l’utilité de vouloir rendre ses montages invisibles. Je doute qu’une carpe puisse distinguer de nuit ou dans des profondeurs importantes les matériaux employés si les bas de lignes sont correctement présentés te plaqués au fond pour échapper aux barbillons des poissons. Utiliser des montages discrets et adaptés peut sauver la mise dans certaines conditions, mais un montage basique fait normalement bien l’affaire.
Du soluble pour améliorer la présentation des montages
J’utilise personnellement de moins en moins de matériaux solubles pour amorcer autour de mes montages. Je reserve leur utilisation à des cas bien précis, notamment pour améliorer la présentation des bas de ligne et face à des poissons naïfs. Un stringer de quelques bouillettes quand je dois « fouetter » fort, un filet soluble quand les profondeurs sont importantes ou encore un sac soluble contenant un montage à déposer dans les herbiers réduisent considérablement les risques d’emmêlement.
J’ai pris beaucoup de plaisir à lire ce texte, simple, vrai, efficace, je partage évidement pas mal des points abordés par l’auteur.
Cdlt