La pêche de la carpe, la pêche en général même oserai-je dire, a ceci de passionnant qu’elle offre une diversité d’approches à qui se sent curieux de garnir son trousseau de clefs lui permettant de débloquer une situation et faire du poisson. Dans le milieu de la pêche de la carpe, s’il est une facette qui enflamme parfois les débats, c’est bien la pêche de bourrin dite « frein bloqué ».
Pour pratiquer régulièrement ce genre de pêche depuis maintenant plus d’une dizaine d’années, je vais tenter d’expliquer ce qui, à mon échelle, constitue la base de cette pêche et les erreurs à ne pas commettre. Je ne suis pas le seul à pratiquer de la sorte, loin de là, mais pour ceux qui veulent s’y essayer il y a quelques règles de base à ne pas négliger.
Qu’entend-on par « Frein Bloqué » ?
Tout d’abord et aussi bizarre que ça puisse paraître, il semble essentiel de définir ce qu’est une pêche dite frein bloqué. Combien de fois ai-je lu ou entendu des lamentations « le frein était bloqué elle a quand même déroulé ». Non !
Dans ces cas-là, le frein du moulinet n’était pas bloqué au sens propre. Serré plus que d’accoutumée très certainement, mais pas bloqué.
Faites un test avec un peson que vous attachez entre un point fixe et votre corps de ligne et voyez jusqu’à quel point vous pensez raisonnablement aller en bloquant le frein par rapport à vos habitudes. Vous serez surpris.
Par frein bloqué, j’entends que la carpe ne peut et ne doit pas prendre de fil à la touche. La différence est immense et le matériel sera irrémédiablement mis à rude épreuve.
Le choix du poste et du spot, un point essentiel
Comme vous vous en doutez, cette approche s’applique principalement sur des pêches en force, à proximité d’obstacles. Je n’ai pas dit DANS les obstacles. Quand j’ai besoin de brider en force un poisson, je fais en sorte de toujours avoir une marge de manœuvre. Même avec toutes les précautions du monde, une erreur est possible et une distance de sûreté est indispensable. Je ne pêche pas pour faire de la touche, mais pour sortir des poissons qui repartiront dans leur élément dans les meilleures conditions. Quand je choisis un poste, je le fais toujours en prenant en compte ces paramètres.
Avant de savoir si je peux placer un montage, je vais observer si la configuration du poste me permet ou non de placer une canne et idéalement sortir un poisson. Pour ce genre d’approche, je privilégie donc une zone à proximité d’une tenue ou tout obstacle qui sera visité par du poisson.
Le cas d’école d’une pêche de bordure sera une trouée le long de la ripisylve permettant de discrètement placer montage et épuisette à portée de main. Cette zone se devra d’être au mieux une zone d’alimentation ou de passage, ou par défaut à proximité d’une tenue abritant des poissons qui en sortiraient ponctuellement pour s’alimenter. Il faut bien repérer les zones à gauche et à droite du poste pour anticiper tout mouvement de poisson pendant le combat ; une paire de lunettes polarisantes sera votre meilleur allié !
L’ergonomie du poste nécessitera également un bon repérage. En effet, sur une pêche aussi particulière, le rapport de force avec le poisson est souvent décuplé, et il est nécessaire d’être sûr de ses appuis sur la berge pour ne pas se faire déséquilibrer pendant le combat. Au-delà de la topographie et des pièges sous la surface, le repérage sera essentiel pour bien choisir l’angle d’attaque du poste. Ce paramètre est très important surtout sur des pêches de bordure.
L’angle de la canne sur la berge et celui de l’entrée de la bannière dans l’eau sont deux facteurs qui auront des conséquences sur la détection de la touche. Sur une pêche frein bloqué où la réactivité est la clef, ce sont parfois de précieuses secondes que l’on peut perdre. De plus, vous constaterez que selon l’angle de la bannière, le poisson ne prendra pas forcément la même direction au moment de la touche et donc de sa fuite. Un poisson tire en général du côté opposé à la traction à laquelle il est soumis. Changer un angle de traction par rapport à un obstacle par exemple peut le perturber au moment de la touche, ce qui sera autant de secondes gagnées pour prendre l’ascendant lors du combat.
Lorsque je pêche à proximité d’obstacles dans une pêche frein bloqué qui nécessite une dépose en bateau, je prends encore plus de précautions sur tous ces paramètres. Plus on sera éloigné du poisson, plus les risques seront grands il ne faut pas l’oublier. Mes choix de postes tiendront encore plus compte des déplacements latéraux que le poisson est susceptible de faire, et je ferai en sorte de pouvoir être stable sur la berge pour brider un poisson qui souhaite entrer dans un obstacle. Une fois le poisson éloigné de l’obstacle et seulement à ce moment-là, je monterai dans le bateau pour partir le combattre si nécessaire. Je me permettrai alors de desserrer le frein pour terminer le combat plus sereinement. Il m’est déjà arrivé de perdre des poissons du fait de mon empressement à monter dans le bateau, je n’avais alors plus les appuis nécessaires pour brider, l’inertie du bateau ruinant mes efforts. Ce sont des erreurs que j’évite de commettre désormais.
Du matériel sans compromis, taillé pour la rudesse et ancré au sol
Niveau matériel, pas de longs discours, il faut du matériel qui tienne le choc et qui permette de brider efficacement les poissons. Vous devez avoir une confiance aveugle dans vos cannes et surtout bien connaître leur comportement durant un combat pour savoir ce que vous pouvez leur infliger. Je ne suis pas un adepte des changements compulsifs de matériel, privilégiant la robustesse et la longévité au strass et aux effets de mode.
Je possède des cannes de 9 pieds qui, malgré leur souplesse, possèdent une grande réserve de puissance une fois en compression. Il s’agit des « légendaires » Shimano Beast Master, série AX en 50-100g. Ceux qui ont la chance d’en posséder savent de quoi je parle et ont souvent du mal à s’en séparer.
Niveau moulinet, il est indispensable d’avoir un outil robuste et adapté. Il doit être costaud, avec un frein réellement solide et une bonne récupération pour récupérer la bannière en cas de touche à distance. Après des années à essayer d’user les increvables Daïwa Emblem Pro 5000, j’ai opté pour des Shimano Ultegra 5500 xtd qui, avec leurs 105cm de récupération et leurs 15 Kg de puissance de frein sont de véritables bêtes de somme pour ce genre de pêche. Mes bobines sont garnies de tresse avec une tête de ligne en nylon de 0.70mm minimum pour résister à l’abrasion en cas d’imprévu.
Je mets systématiquement un plomb ou un caillou lourd en guise de lest, pour être certain que le piquage soit efficace à la touche. Cet armement se termine par un bas de ligne combiné que j’utilise dans la quasi-totalité de mes pêches. Un fluorocarbone de 0.70mm associé à une tresse en 45 lbs et un hameçon fort de fer composent mon bas de ligne.
Niveau hameçon, là aussi pas de compromis ni d’essais hasardeux. Mes hameçons sont des taille 1 pointe droite avec une ouverture qui permet à la touche de se piquer proprement sans déchirer la gueule des poissons ni s’ouvrir à la traction. Comme à mon habitude, je suis conscient que mes montages peuvent paraître grossiers mais j’ai totalement confiance en eux.
La mécanique des montages doit être adaptée pour que le piquage soit optimal.
Je ne suis pas fan des rod pod dans des situations de pêche frein bloqué, mais quand la configuration l’impose, je fais en sorte de l’arrimer au sol et éviter un basculement fatal… Dès que je le peux, je privilégie les piques individuels. C’est alors bien plus efficace de correctement positionner la canne, l’alignement de la bannière pour détecter les touches n’en est que meilleur. Le seul luxe que je m’autorise quand le courant le permet est de laisser un peu de mou pour que le swinger ait un mouvement d’indication plus ample au moment de la touche.
Pour maintenir l’arrière de la canne, j’opte pour plusieurs solutions selon le milieu. Un pique arrière avec un support de canne qui bloque le talon aura ma préférence quand je peux planter profondément le support. Si le sol est trop dur ou trop caillouteux, j’opte pour les sardines de biwy que je fais passer dans une boucle de cordelette ligaturée à mon talon.
Sur les barrages où planter un pique arrière relève de l’utopie, j’opte alors pour un gros caillou que je pose à l’arrière de la canne.
Dans tous les cas, il est essentiel encore une fois que le pique avant soit bien planté et ne puisse ni basculer ni pivoter à la touche, ce qui pourrait avoir comme conséquence une canne qui termine dans l’eau… J’ai testé et, même si j’ai récupéré mes cannes lors de ces moments de solitude, ce n’est jamais agréable.
De la touche à la mise à l’épuisette, une main de fer dans un gant de velours
Les combats frein bloqué sont en règle générale assez courts. Quand le pêcheur est assez réactif, le rapport de force sur une pêche du bord en bordure peut être réduit du moment que le poisson est ferré assez vite. Une prise de contact rapide va déstabiliser le poisson qui, désorienté, peut-être retourné et donner l’avantage au pêcheur. Généralement, ce rapport de force dure quelques secondes et c’est dans ce laps de temps que peut se jouer l’issue du combat. C’est pour ça que tout doit être prêt sur la berge dans l’éventualité d’une touche. Au moment où la canne va se retrouver à angle droit, tout doit avoir été minutieusement pensé.
En action de pêche, mon level chair est alors le plus près possible de ma canne pour être réactif au moindre mouvement de scion. La seule concession que je fais est de légèrement détendre ma bannière pour qu’à la touche, le mouvement du hanger autorise plus d’un bip à la touche.
L’épuisette doit être accessible directement pour ne pas avoir à se déplacer pour la récupérer. Ça semble évident à première vue, mais combien de fois l’épuisette est-elle en retrait, posée contre un abri ou autre. Sur une touche frein bloqué et durant le combat qui s’en suit, le pêcheur ne doit être focalisé que par le combat et ne surtout pas se retrouver parasité par une épuisette inaccessible.
Si je dois entrer dans l’eau, là encore pas de caprices, je passerai la journée en waders s’il le faut mais je ne m’offrirai jamais le luxe d’avoir les waders à proximité pour les enfiler durant le combat. C’est un moment d’instabilité sur la berge qui peut coûter un poisson et je m’y refuse.
Idéalement, j’aime pratiquer ce genre de pêche de jour. De nuit, le temps de réaction est plus long et, s’il est possible de pratiquer cette approche, les erreurs ne pardonneront pas.
Si vous n’avez jamais pratiqué ce genre de pêche, je vous conseille de vous forger une première expérience de jour afin d’acquérir les bons réflexes et les automatiques quand vous êtes bien réveillés.
Rien n’est figé, l’adaptation est la clef…
Je sais que cette approche ne fait pas l’unanimité. Souvent dévoyée, elle ne pardonne pas les erreurs. Les quelques pistes que j’ai résumées vous permettront de mieux appréhender cette technique. La finalité reste pour moi la même, capturer un poisson sans aller au-delà du raisonnable pour la sécurité et la santé de ce dernier.