La pêche au silure en Loire est vaste et nous nous intéresserons ici au bassin de la Loire moyenne du bec d’Allier au bec de Vienne à l’amont de Saumur dont je pêche les 350 km depuis plus de 40 ans, hiver comme été. Les courants sont violents car la pente est forte pour un grand fleuve, de 25 à 50 cm par kilomètre, à comparer avec la Seine avec ses 7 cm.
La Loire, un fleuve vivant
Un peu d’histoire est nécessaire pour comprendre « ma » Loire, avec ses conséquences sur la pêche. Elle a connu très tôt des aménagements pour favoriser la navigation, mais il ne reste que des vestiges de ces ouvrages abandonnés au milieu du XIX ème siècle, autant de postes pour les silures. La protection des populations riveraines dans la partie aval du cours est assurée par des digues, mais son débit n’est pas régulé par de grands barrages comme les autres fleuves français, seul celui de Villerest soutenant le débit en période d’étiage pour le fonctionnement des centrales nucléaires. De nombreux îlots et bancs de sable ou de gravier parsèment le lit majeur du fleuve qui n’est plus navigable, la profondeur et la largeur du lit mineur variant considérablement d’une année et d’une saison à l’autre. Sa dynamique est plus proche de celle d’un torrent que d’un grand fleuve, en se perdant en de multiples bras de quelques dizaines de centimètres de profondeur en période d’étiage, où le baigneur ne perd que rarement pied. Mais elle devient un fleuve tumultueux en période de crue où son débit peut être multiplié par 300, avec des montées pouvant atteindre 7 mètres. Ces particularités génèrent une très forte biodiversité, mais ne peuvent que déconcerter le pêcheur qui découvre le fleuve, même et surtout s’il est aguerri sur d’autres eaux.
Le silure de Loire
Le silure est décrit partout comme un poisson d’eaux profondes, calmes et turbides avec une activité plutôt nocturne : son développement en Loire démontre sa capacité d’adaptation, tous ces a priori étant à oublier pour aborder sa pêche ici. Son apparition date des années 1980 où les premiers spécimens ont été pris par des pêcheurs de sandres, souvent à l’aval des centrales nucléaires. Je n’oublierai jamais mon premier silure pris en plein midi du mois d’août 1985 dans un raide en cherchant le sandre au poisson mort-manié, même s’il n’était que de taille modeste (86 cm correspondant à un poisson 3 à 4 ans) ! Toujours en recherchant le sandre dont la population était très importante à l’époque, les prises occasionnelles se sont multipliées les années suivantes, avec des poissons de plus en plus gros… et des casses retentissantes. J’ai troqué mon matériel à sandre pour des équipements plus adaptés à la recherche spécifique du silure en 1995, avec la prise de mon premier « 2 mètres » en 2000. La population était en pleine explosion à cette époque, et j’ai pu améliorer mon record de quelques centimètres chaque année pour atteindre 2m54 cette année. Depuis 2010, la population semble stabilisée, voire en régression, mais avec une pyramide des âges bien équilibrée. Quelques spécimens avoisinant les 2m60 ont été pris ; j’en ai vu par eau claire, et touché, mais toujours dans des postes scabreux où le combat s’est à chaque fois ponctué par une casse. Cette taille de 2m60 correspond sans doute au trophée ultime que peut espérer un pêcheur de silure en Loire moyenne (poisson de 30 à 40 ans, âge maximum généralement reconnu pour cette espèce). Mais la Loire inférieure entre Saumur et Angers avec ses fosses plus nombreuses et profondes recèle peut-être des spécimens encore plus grands ?
Le développement d’une population avec de si gros poissons dans un fleuve aussi peu profond et ses courants violents a de quoi surprendre. On commence à parler de fosse quand on perd pied et les très grands fonds ne dépassent qu’exceptionnellement 4 m ! Mais la Loire connait en saison estivale des remontées massives de mulets (muges) à la chair riche comme tous les poissons de mer dont les silures sont de gros consommateurs. Outre les contenus stomacaux, j’en ai été le spectateur à de nombreuses reprises avec des silures qui allaient jusqu’à s’échouer sur des plages de sable à leur poursuite, ou de véritables curées dans des bancs de mulets piégés dans des cuvettes d’eau.
La pêche du silure en Loire au fil des saisons
On peut pêcher le silure toute l’année avec de réelles chances de succès, en s’adaptant aux conditions du moment avec différentes techniques de pêche au silure.
En début de printemps, les eaux restent généralement hautes et les silures reprennent une activité intense pour récupérer des forces après l’hiver. C’est une excellente période, mais avec de fortes contraintes liées à la réglementation interdisant la pêche au vif et au leurre. Il reste la pêche aux vers au posé, et surtout au toc version lourde en laissant évoluer au fil du courant une grappe de vers « entre le mort et le vif ». Dès que la température s’élève, la fraie approche et toute autre activité cesse. L’ouverture de la pêche aux carnassiers est souvent très décevante à ce titre, sauf si les eaux sont encore froides. Cette période de fraie dure une quinzaine de jours en conditions favorables, mais parfois beaucoup plus si les températures font le « yoyo », entraînant la mort de gros géniteurs que l’on voit dériver au fil de l’eau ou s’échouer en bordure. Dès la fraie terminée, les silures entrent en frénésie alimentaire, d’autant plus que cela correspond à l’arrivée des mulets. Après les crues de l’hiver qui ont gommé les culs de grève, uniformisé les fonds et déplacé les obstacles, la Loire se reforme. C’est l’époque du power fishing où il faut battre beaucoup de terrain pour découvrir les nouveaux secteurs porteurs, quelques lancers sur un poste étant suffisants pour savoir s’il est occupé. Les poissons sont dans un triste état, couverts de morsures et de blessures, mais très vigoureux. Ils se refont très rapidement une santé en une quinzaine de jours pour l’arrivée de l’été.
En début d’été, les eaux baissent progressivement, et la Loire dévoile son nouveau visage, souvent très différent de l’année précédente. Les silures sont dispersés sur les secteurs porteurs de l’année, où le moindre poste est à prospecter méthodiquement. La Loire est alors généralement très généreuse, avec de très grosses prises. Au fur et à mesure de la baisse des eaux, les poissons gagnent leurs postes en plein courant tout en restant aussi agressifs. Si le lever du jour et la tombée de la nuit sont des moments privilégiés en plein été, la journée peut réserver bien des surprises. J’ai pris ainsi des poissons trophées en plein midi par de chaudes journées d’été, en plein courant dans guère plus d’un mètre d’eau : émotions garanties, le poisson montant en surface dès le ferrage avant d’engager un combat musclé dans les courants. Quand les nuits commencent à fraîchir, les eaux filtrées par les corbicules (palourdes d’eau douce) s’éclaircissent au point d’en devenir translucides et dévoiler les fonds jusqu’à 2 à 3 m de profondeur. Jusqu’alors dispersés, les poissons se regroupent en « boules » organisées, la tête dans les obstacles ou en plein courant. En se laissant dériver au fil de l’eau, la Loire apparaît vide sur des kilomètres alors que les poissons sont concentrés sur quelques secteurs, toutes espèces confondues. C’est l’occasion de faire le point sur la densité de la population de silures qui n’est finalement pas si forte que çà, et de repérer les plus gros sujets…et les albinos. Il est aussi possible de découvrir quelques postes porteurs qui nous avaient échappés lors des prospections du printemps. J’aime beaucoup plonger pour nager avec les silures et leurs amies les carpes, qui se montrent peu farouches à cette époque. Mais pour les faire mordre, c’est une toute autre affaire ! Les leurres sont systématiquement ignorés, voire les font fuir en dispersant la boule. Seule la dérive d’un vif ou d’un poisson mort à peine lestés à proximité de la boule repérée auparavant peut décider un silure à attaquer, parfois un des plus gros. Cette pêche à vue est passionnante, mais oh combien difficile car on n’a guère droit qu’à 2 ou 3 lancers…
Avec l’automne, les premières pluies troublent et font monter les eaux. Les silures se dispersent et retrouvent leurs postes habituels. Les mulets dévalent et les silures se gavent. La pêche est excellente, sauf si les eaux sont chargées d’algues dérivantes ou lors de la chute des feuilles. En insistant dans les secteurs où ont été repérés les plus gros poissons, la « chance » de prendre ces poissons trophées au meilleur de leur forme est élevée.
Avec l’arrivée du froid de l’hiver, les poissons se regroupent de nouveau dans des postes de confort à l’abri, mais jamais loin, des courants. Leur activité alimentaire diminue, mais il reste toujours possible de déclencher leur agressivité en insistant sur leurs postes. J’ai remarqué à plusieurs reprises que les temps de neige provoquaient un regain d’activité. Mais comme engourdis par le froid, leur défense est alors bien molle. Les grandes crues d’hiver sont des moments privilégiés à ne pas rater. Chassés de leurs postes par la violence du courant, ils gagnent les amortis de bordure et les culs d’îles et festoient de tout ce qui leur passe à portée de gueule. Même tumultueuse en surface, la zone de friction entre les deux courants au cul des îles forme une marche sur le fond où s’alignent les silures, les plus gros en tête. C’est dans ses pieds qu’on peut prendre les premiers poissons, à condition de ne pas les avoir dérangés en les touchant avec le fil ou le leurre. Les jerkbaits excellent dans cet exercice, en commençant par des lancers très courts de part et d’autre de cette ligne de jonction pour que le leurre arrive naturellement devant la gueule du poisson. Les silures reculant progressivement dans le courant, il est possible de prendre ainsi plusieurs poissons en allongeant progressivement les lancers, puis en laissant dériver le leurre en surface avant d’entamer la récupération. Les poissons se gavent très rapidement comme l’atteste leur ventre rebondi, et leur digestion est lente dans ces eaux froides : il faut être là au bon moment !
Merci Pascal pour cet article qui donne envie de profiter des silures ligériens!
Super article comme les autres disponibles sur le site d’ailleurs ! Merci de partager ces connaissances!!