Après le sandre dans les années 1960, le silure dans les années 1980, un nouveau carnassier connait une explosion démographique en Loire depuis 2010 : l’aspe (Aspius aspius), cyprinidé venu d’Europe centrale et orientale et bien installé dans le Rhin et ses affluents depuis une quarantaine d’années.
Colonisation de l’aspe dans la Loire
C’est en mai 2006 que j’ai pris mon premier aspe de Loire à la tombée d’un cul de grève, en pêchant le silure dans la région de Tours. Treuillé au bateau sur du matériel surdimensionné, j’ai pu admirer ce magnifique poisson que je ne connaissais que par des films. Son allure générale est celle d’un chevesne, mais avec des flancs nettement plus larges et des écailles argentées plus petites. Deux caractéristiques attirent immédiatement l’attention : sa large gueule à la mâchoire inférieure nettement prognathe et tournée vers le haut, indice d’un régime carnassier orienté vers la surface ; et sa nageoire caudale puissante aux extrémités pointues témoignant de sa capacité à nager dans des courants violents. Mais que faisait là ce magnifique poisson de 75 cm pour 4,2 kg dont la présence n’avait jamais été constatée en Loire ? Trois ans plus tard, les pêcheurs de friture signalaient à plusieurs endroits la prise de poissons qu’ils ne connaissaient pas : c’était de jeunes aspes qui auraient pu être introduits accidentellement à l’occasion d’alevinages. Que son introduction soit naturelle par l’intermédiaire des canaux ou artificielle, l’aspe a trouvé dans la Loire et ses courants soutenus un biotope taillé à sa mesure. En une dizaine d’années, il a colonisé tout le fleuve et ses principaux affluents, témoignant d’une grande capacité de dispersion et d’une croissance rapide de l’ordre de 10 cm par an. Dans son habitat d’origine, il peut atteindre 1m20 pour une douzaine de kilos vers l’âge de 15 ans. La taille moyenne actuelle des prises se situe entre 60 et 70 cm dans les premiers secteurs où il s’est implanté, avec des spécimens de l’ordre du mètre : nul doute qu’il atteindra ici des tailles record !
Un poisson qui ne passe pas inaperçu !
Longtemps grégaires, ils chassent en meute provoquant d’impressionnantes gerbes d’eau comme certaines espèces marines telles les bonites. Lancés à la vitesse de l’éclair vers la surface, il n’est pas rare de les voir sortir de l’eau ou poursuivre leur proie en surface sur plusieurs mètres. Ces chasses sont ponctuées du bruit sourd des gueules qui se referment sur leur proie, perceptible à très longue distance quand le temps est calme. Ces manifestations très spectaculaires qui font parfois éclater la surface de l’eau sur de grandes surfaces cessent aussi vite qu’elles apparaissent, après quelques minutes ou parfois beaucoup plus longtemps. Ces chasses sont très mobiles et se terminent parfois dans quelques centimètres d’eau près de la berge. Leur observation est très riche d’enseignements : elle permet de localiser les poissons et de se faire une idée de la population sur un secteur de pêche. Elle fournit également bien des enseignements sur le comportement des poissons dont l’activité est épisodique mais intense, violente et d’une grande rapidité. Ce sont le plus souvent de petits poissons de surface comme les ablettes qui subissent ces assauts, parfois même des bancs d’alevins. Mais il n’est pas rare de voir des poissons plus gros se faire pourchasser.
Les plus gros sujets (à partir de 80 cm) adoptent un tout autre comportement. Ils deviennent solitaires et fidèles à un poste. Leurs chasses sont beaucoup plus discrètes, uniquement trahies par le bruit sourd, isolé, localisé et périodique d’une gueule qui se referme sur sa proie.
Une pêche de mouvement…
Où pêcher l’aspe : partout… et nulle part ! D’une grande mobilité, il peut déserter brutalement un secteur pour réapparaitre quelques centaines de mètres plus loin. Il n’y a pas véritablement de postes à aspes, mais il affectionne particulièrement les secteurs où alternent les rapides et les amortis. On le recherche en priorité dans les courants soutenus, mais il peut aussi faire des raids dans les calmes pour y chasser. En absence de chasses permettant de les localiser, l’amont et l’aval des radiers, des piles de ponts, des épis ou tout autre obstacle provoquant des turbulences dans les courants sont à prospecter en priorité. Les bordures, les secteurs rocheux sont souvent porteurs, même dans très peu d’eau. Et on peut aussi les trouver sur des secteurs sableux, surtout à proximité de culs de grève. Dans tous les cas, une pêche amont ou plein travers permet de maîtriser les courants au mieux.
Inutile d’insister longuement sur un secteur : s’ils sont présents et actifs, les premiers lancers seront gratifiés d’une touche ou d’un suivi, parfois même dès l’impact du leurre en surface. Sinon, mieux vaut changer rapidement de zone, même si l’on sait qu’ils sont là ! Ils sont peut-être beaucoup plus actifs ailleurs. La pêche en bateau, float tube ou kayak offre beaucoup plus de mobilité que celle du bord et permet de « battre du terrain » en dérive. Mais dès qu’on a trouvé des poissons actifs, il faut s’arrêter sur zone sans trop s’en approcher car les aspes sont très craintifs.
Sur les secteurs peu pêchés, les touches vont s’enchainer rapidement et la frénésie gagne le pêcheur comme les poissons. Cela peut durer quelques minutes comme une heure ou plus, il faut en profiter : des séries de plus d’une dizaine de poissons sont possibles, mais il faut changer de secteur dès que les touches s’espacent ou cessent brutalement, quitte à y revenir quelques heures plus tard. Dans les zones où la pression de pêche est plus forte, les poissons sont éduqués et il ne faut guère espérer plus de 2 ou 3 prises quand on a trouvé un banc.
La pêche des plus gros poissons relève d’une toute autre approche. Une fois repéré, il faut prendre le temps de l’observer. Où chasse-t-il exactement ? A quelle fréquence, certains sont de véritables métronomes. Et quand vous estimez que c’est le moment, lancez votre leurre aussi précisément que possible. Et si rien ne se passe après quelques lancers, passez votre chemin pour y revenir quelques heures plus tard ou les jours suivants : vous serez récompensé tôt ou tard.
Des attaques foudroyantes…
Pour pêcher l’aspe, il faut oublier la pêche des autres carnassiers : quel que soit le leurre, il doit être ramené très rapidement en linéaire dans les couches d’eau superficielles ou en surface. Tout au plus peut on imprimer quelques animations comme des twichs ou des jerks, mais sans jamais marquer d’arrêt. La pêche aux leurres de surface est à ce titre celle qui offre le plus d’émotions.
[box type= »success » align= »aligncenter » class= » » width= » »]Lire aussi >>> Pêcher l’aspe aux leurres en finesse[/box]
Deux types de comportements distincts peuvent être observés. Une vague se lève derrière votre leurre et le suit, un poisson est intéressé. Par eau claire, on peut d’ailleurs observer que c’est souvent une bande de quelques poissons qui suit. Dans le meilleur des cas, le leurre est attaqué du bout de la gueule après quelques mètres. Mais l’aspe se contente souvent d’un coup de boule gueule fermée avant de disparaître dans des remous impressionnants. Il n’est pas rare de voir le leurre projeté à plusieurs mètres dans la violence de l’attaque : décharge d’adrénaline garantie, mais c’est bien un refus qu’on vient d’enregistrer ! Dans d’autres cas, le leurre est suivi jusque dans vos pieds ou au bateau, le poisson faisant demi-tour dès qu’il vous aperçoit. Une accélération de la récupération permet quelquefois de décider un aspe dans une attaque foudroyante quand il ne reste plus que quelques mètres de bannière. Il s’agit probablement de réflexes d’agression plus que d’un comportement alimentaire. L’action est souvent de courte durée, les suivis cessant dès que vous êtes repéré ou que le poisson s’accoutume au passage du leurre. Il faut alors changer de leurre, mais cela reste souvent sans résultat.
L’autre type de comportement est encore plus spectaculaire, et correspond probablement à une activité alimentaire. Il intervient souvent dès l’impact du leurre à la surface ou dans les premiers mètres de la récupération. L’aspe surgit comme une fusée pour contourner le leurre et l’engloutir par le travers ou par devant. Parfois emporté dans sa fougue, il s’élance hors de l’eau pour retomber dessus ! Et s’il manque sa proie, il n’est pas rare de le voir réattaquer le leurre qui poursuit sa course, ou dès le lancer suivant. Dans tous les cas, on entend distinctement le bruit sourd des mâchoires qui se referment.
Les comportements sont certainement les mêmes sur les poissons nageurs, mais on perd l’aspect visuel si spectaculaire des attaques en surface.
… Suivies d’un combat puissant dans les courants
Dès qu’il se sent piqué, l’aspe secoue violemment la tête et engage un long rush dans le courant. Le frein doit être réglé particulièrement doux pour éviter la casse ou le décrochage à ce stade. Même piqué en bordure d’obstacles comme des bois noyés, il ne cherche pas à s’y réfugier. Alors qu’un chevesne se laisse alors ramener sans grande résistance, l’aspe va se caler dans le courant en mettant tout son corps en opposition. Il faudra alors durcir le frein pour le déséquilibrer et le ramener progressivement. Mais attention aux derniers rushs à votre approche… C’est un combat violent à conduire tout en douceur. Un gros poisson peut vous prendre vraiment beaucoup de fil quand il prend le courant, avec un risque élevé de casse sur ligne fine quand on ne peut pas le suivre.
Attention aussi à ses contorsions à la fin du combat ! En cherchant à le prendre en main, on se retrouve tôt ou tard avec un hameçon piqué dans les doigts. Mieux vaut éviter le fishgrip qui déchire trop facilement sa gueule fragile. L’utilisation d’une épuisette à mailles plastifiées est la meilleure solution. A défaut, le poisson peut être échoué quand on pêche du bord sur une berge en pente douce.
Le lingot d’argent est à vos pieds : attention, c’est un poisson fragile qui perd facilement ses écailles et peut même s’assommer sur un parterre agressif. Tout doit alors aller vite, guère plus d’une minute hors de l’eau : décrochage, photographie des plus belles prises et remise à l’eau après réoxygénation. En procédant ainsi, on préserve toutes ses chances de survie : de nombreuses prises de poissons portant des marques d’hameçons, parfois à peine cicatrisées, en témoignent.