L’automne est de loin la meilleure période pour prendre un très gros loup en Méditerranée. Ces lunkers ont souvent un comportement particulier, sont plutôt solitaires et nécessitent une remise en question permanente de la part du pêcheur. D’ailleurs, ce n’est peut-être pas un hasard si ce sont toujours les mêmes pêcheurs qui en prennent régulièrement…
Le loup est avec la daurade royale l’espèce piscicole la plus convoitée en Méditerranée. A cela, plusieurs raisons : d’une part ses qualités gustatives qui fait de ce poisson la cible privilégiée des fins gourmets, et d’autre part ses aptitudes à déjouer nos stratagèmes pour le capturer qui en font une espèce unique en son genre. Avec ce poisson, on a toujours l’impression de ne rien savoir, d’apprendre en permanence. La seule façon de faire face à ce constat est de changer de leurre régulièrement, d’innover, de varier ses angles d’approches, de se remettre sans cesse en question.
Connaître le poisson
Pour comprendre un tant soit peu notre poisson, il faut le connaître un minimum : le loup (Dicentrarchus labrax) est un poisson qui peut atteindre plus de 90 cm de long, voire plus. A Sète, un des plus gros spécimens capturés mesurait 92,5 cm pour 11 kg ! Cependant la taille moyenne des captures se situe bien en deçà et tourne généralement entre une livre et un kilogramme. On peut considérer qu’un loup de 3 kg constitue déjà une belle prise, tandis qu’à partir de 70 cm (soit environ 4/5 kg) et au-delà on a affaire à un poisson exceptionnel. Ces poissons sont généralement nommés lunkers, lunker étant à l’origine un terme utilisé par les pêcheurs américains pour désigner un très gros black bass. Les pêcheurs aux leurres capables de prendre de tels poissons quasiment tous les ans ne sont pas nombreux sur la côte méditerranéenne. Intéressons-nous maintenant à la morphologie de ce poisson : le loup a un corps allongé, ovoïde et possède deux nageoires dorsales bien distinctes : la première, vers la tête, est dotée de rayons épineux dont il faut se méfier lorsqu’on le saisit. Sa nageoire caudale est échancrée. Au niveau de l’opercule se trouve une tache noire avec de grosses épines lui permettant de faire face à ses prédateurs. Le loup a les flancs argentés avec le dos plus sombre et la ligne latérale est bien marquée, mais sa robe s’adapte au milieu où il vit. Ainsi, en côte rocheuse, un poisson capturé alors qu’il était à l’affût à l’ombre d’un rocher sera quasiment noir, tandis qu’un poisson de lagune pris dans un herbier sera vert ! Les variations peuvent changer énormément et les différentes robes arborées par notre ami nous donnent déjà une idée de ses capacités d’adaptation. Ce poisson est un chasseur qui se nourrit de petits poissons, de crustacés mais aussi de coquillages et de céphalopodes. Nous avons affaire à un grand opportuniste. Plutôt solitaire à l’âge adulte, il vit en petits groupes à l’état juvénile.
Fuir la foule
Je suis toujours stupéfait de voir le nombre de pêcheurs agrégés autour des embouchures durant l’automne. Certes, ce sont des zones qui concentrent le poisson, je ne dirai jamais le contraire. Cependant, quand on voit le « cirque » qui s’y déroule, on se demande un peu comment un loup pourrait se faire leurrer : certains pataugent dans l’eau sur les zones de chasse, d’autres envoient des missiles de 50 ou 100 g à répétition… Si on y réfléchit un peu, le ratio nombre de pêcheurs et heures de pêche par rapport au nombre de poissons capturés sur ces zones est finalement très peu élevé. Il arrive d’y prendre un très gros poisson, parfois de tomber sur un moment de frénésie où les poissons se gavent sur ces zones, mais c’est quand même très rare. Bref, personnellement je préfère toujours me décaler de quelques centaines de mètres pour être tranquille. Il y a certainement moins de poissons, mais ces derniers sont tranquilles. Et un lunker aime la tranquillité avant tout ! A ce propos, parlons un peu de cette fameuse pression de pêche : elle peut être réellement rédhibitoire dans cette pêche des gros spécimens. Je ne connais aucun poisson qui ne s’éduque aussi rapidement qu’un loup ! Il est par exemple préférable de pêcher un secteur peu poissonneux mais vierge de toute activité halieutique qu’un secteur très poissonneux mais où les pêcheurs sont les uns contre les autres comme nous venons de le voir. Vos chances de captures seront bien plus élevées dans le premier cas que dans le second, même s’il y a beaucoup moins de poissons. Ceci explique aussi le fait que certains pêcheurs ne pratiquent cette pêche que par mer agitée où les poissons feront plus d’erreurs et seront un peu moins sensibles à une forte fréquentation. Cependant, il est tout à fait possible de prendre du loup, et du gros par d’autres conditions de mer, mais dans ce cas, il faudra être particulièrement discret ! Un copain à qui j’expliquais ça quelques années en arrière et qui avait du mal à l’entendre, me rappelle désormais régulièrement en me racontant ses pêches de loups par mer peu agitée voire très peu agitée. Il pêche de nuit avec des leurres discrets et de taille modeste (Jib 90 SP ou Flash Minnow 95) et enchaîne les sorties réussies, photos à l’appui. Pourtant, à l’époque, il ne lui serait même pas venu à l’esprit de tenter sa chance dans ces conditions. Cibler les gros poissons, c’est aussi savoir utiliser les leurres à l’opposé de la « mode » du moment. Vous observez que vos collègues délaissent les leurres à bavette, pêchez donc avec ! Les leurres de surface sont peu employés sur vos secteurs de pêche ? Profitez-en pour surprendre les poissons en surface ! Vous avez un leurre fétiche ? Changez-en ! Obligez-vous à pêcher régulièrement avec d’autres modèles, ceci vous permettra d’élargir votre panel et de vous sauver le jour où le « leurre miracle » ne marche plus. Car ça arrivera.
Les bonnes conditions
Afin de gagner du temps dans vos recherches, et d’essayer d’être au bon endroit au bon moment, voici quelques observations qui ont tendance à se vérifier. Même si ce n’est pas tout le temps et que je n’en ferai pas de règles.
Un changement météorologique peut obliger le loup à changer de poste mais aussi parfois de comportement alimentaire. Pour espérer réussir par tous les temps, le pêcheur doit, lui aussi, faire évoluer son approche et ses techniques en fonction des conditions du moment. Il doit tenir compte de paramètres très variés : couverture nuageuse, ensoleillement, températures élevées, températures basses, gel fréquent, eaux froides ou plus chaudes, pression atmosphérique… Tous ces paramètres peuvent paraître anodins mais ils sont en fait essentiels : privilégier des leurres de surface aux teints clairs par temps couvert, plutôt naturels ou transparents par grand soleil, pêcher lentement par eau froide, animer son leurre fréquemment quand l’eau est encore chaude, privilégier les leurres à bavette aux intersaisons, etc. Ces choix, ou adaptations aux conditions vont vous permettre de tirer toute la quintessence de vos leurres, de votre matériel. J’ai mis beaucoup de temps à comprendre par exemple qu’un leurre à bavette du type Flashminnow ou Saruna était plus efficace que n’importe quel autre leurre au moment où l’eau perd quelques degrés en novembre. Ne comptez pas sur moi pour en faire une règle non plus, mais c’est désormais avec un leurre de ce type que je démarre une session de pêche nocturne à cette époque de l’année. Le vent est aussi un facteur essentiel : il joue notamment sur la température de l’eau et le taux d’oxygène dissous (en provoquant des vagues). Or le loup adore les zones oxygénées et brassées par le vent. Le vent est donc un des facteurs météo clef pour le poisson dont il règle en partie l’activité alimentaire. De plus, il influe énormément sur le fonctionnement des écosystèmes aquatiques. En étang salin, un grand classique est de pêcher la berge battue par le vent… A un détail près : la plupart des pêcheurs vont se mettre au bord de l’eau, debout sur la berge et lancer le plus loin possible. Erreur ! Les poissons sont là, dans vos pieds parfois dans trente centimètres d’eau et pas forcément les plus petits ! L’approche à adopter est donc de lancer en retrait de la berge ou alors en parallèle à cette dernière afin de tenter de leurrer les poissons présents sur les cinq premiers mètres d’eau avant qu’ils ne vous aient repéré. Lorsque vous arriverez « dessus » en marchant, il sera déjà trop tard. Cette observation, je l’ai aussi faite à mes dépens avant de comprendre les erreurs que je commettais. Une parade peut aussi consister à pêcher dans l’eau en wading en évoluant à 50/60 mètres du bord parallèlement à la berge. On lance son leurre sur la berge, ou tout près et ainsi on couvre les premiers mètres d’eau sans avoir été détecté par le poisson. Autre avantage de la technique : à 50 mètres du bord, on ne marche pas sur des coquillages comme c’est le cas au bord, mais généralement dans la vase ou sur du sable : on n’en est que plus discret !
Les bons leurres
En plage et embouchures, plus la mer bouge, plus les leurres à bavette seront efficients. Idem pour la couleur de l’eau d’une embouchure : une eau chargée favorisera les résultats d’un leurre à bavette (bruit, action, vibrations) face à la discrétion d’un leurre souple. Et il ne faut pas hésiter à utiliser de gros modèles ! Par contre, une embouchure qui coule peu et avec une eau très claire vous permettra de tirer toute la quintessence des leurres souples, mais aussi de petits leurres durs discrets (8 ou 9 cm) qui ramenés en linéaire lentement sont également capables de faire craquer un loup en maraude. Comme vous le voyez, tout est logique. Il suffit seulement de se donner le temps d’observer un tant soit peu ce qui se passe, plutôt que de se mettre à pêcher plein de certitudes sans s’intéresser à l’environnement du poisson. En côte rocheuse, il est aussi tentant de ne plus pêcher qu’avec des leurres souples : c’est plus facile. Lancer et ramener un leurre souple en linéaire ou en traction est ce qui est le plus simple en présence de vent violent, comme c’est le cas en côte rocheuse quand les conditions sont bonnes pour traquer ce poisson. Pourtant, les leurres de surface et les leurres à bavette y sont redoutables à condition de pouvoir supporter le vent, les vagues et la fatigue accumulée lors d’une sortie. Ces aléas gênent considérablement le pêcheur dans le maniement du leurre, notamment d’un leurre de surface. Sur ce type de poste, je serais bien incapable de définir si un leurre souple est supérieur ou pas à un leurre dur. Ça dépend des jours bien souvent, sans que l’on puisse forcément l’expliquer, même si une explication existe certainement. C’est en tout cas sur des leurres durs que j’ai pris absolument tous les lunkers que j’ai eu la chance de toucher en côte rocheuse, et je ne pense pas que ce soit un hasard. Dans les canaux entre étangs et graus entre mer et étangs, en pêche de nuit, il semble que les leurres souples permettent quand même de toucher plus de gros poissons. Ils sont naturellement plus adaptés à cette pêche assez lente, près du fond. Toutefois, en présence de chasses en surface, un changement de grammage sera nécessaire bien souvent pour avoir un leurre efficace dans cette situation.
Vous le voyez, la recherche de ces gros poissons demande une approche spécifique, une grande capacité d’observation et d’adaptation ! Mais elle demande surtout d’envisager les choses différemment des autres pêcheurs. C’est certainement là qu’est la clé : se démarquer, non seulement au niveau des leurres utilisés, des postes pêchés, mais aussi de la faculté à déterminer la tenue des gros poissons en fonction des conditions. Il ne restera alors plus qu’à faire preuve de patience et de self-control lors du combat…