La pêche du silure en Loire Moyenne : ce qu’il faut savoir (Partie 2)

Pêche au silure en Loire
Silure de 2,5m au dos bossu, caractéristiques de plus gros poissons.

Après avoir présenté dans le numéro précédent la Loire, sa colonisation par le silure et son comportement au fil des saisons, voici quelques conseils pour aborder cette pêche si particulière. Tous mes amis à qui j’ai fait découvrir cette pêche, qu’ils soient pêcheurs de silures dans des fleuves plus sages et plus profonds comme le Rhône ou la Seine, ou encore adeptes de pêches exotiques, ont véritablement été bluffés par la pêche du silure au leurre dans ces conditions.

Pêcher les courants

L’expérience acquise dans les autres fleuves conduit à chercher en priorité les profonds, les amortis et les coulées alanguies. Ces postes sont rares, très disséminés et surpêchés. Les poissons qui y séjournent sont le plus souvent en phase de repos et guère enclins à s’intéresser à un leurre. La pêche au vif, à la calée, en dérive ou à la bouée y sont plus efficaces. Il est important de connaître ces fosses, mais c’est dans leur voisinage qu’on trouvera les poissons actifs : courants d’entrée ou de sortie de fosse, obstacles noyés comme les arbres morts ou les vestiges des ouvrages construits pour la navigation. Et bien d’autres postes sont porteurs, qu’on a tendance à négliger. Les silures, même (et surtout) les plus gros peuvent être postés dans une cuvette au milieu d’un radier, derrière une roche, une branche ou un simple pieu dans un goulet au plus fort du courant, devant le seuil à l’amont des ponts. Les « culs de grève » méritent une attention toute spéciale : il s’agit de langues de sable en mouvement qui avancent progressivement et se terminent en pente raide de quelques centimètres à plus d’un mètre de hauteur sur une zone plus profonde, la mouille. Les culs de grève superficiels sont facilement repérables au changement de couleur de l’eau et aux turbulences qu’ils provoquent. Mais il en existe de plus profonds que seul un vent d’ouest (vent de galerne) permet de repérer par un changement de l’aspect de surface de l’eau. Leur recherche est le principal intérêt de l’échosondeur quand on pêche en bateau. Ces culs de grèves sont de véritables « aimants » à silures, et à carnassiers en général. Ils n’occupent généralement qu’une partie du fleuve, et c’est à la limite avec le courant puissant qui les longe qu’on trouvera les plus gros poissons.

Dans ces postes, un leurre correctement présenté est le plus souvent saisi pleine gueule dès les premiers lancers. Mais certains jours, le silure se contente d’un « coup de boule » gueule fermée, voire d’un coup de queue en se retournant. Dans tous les cas, la touche et le combat sont d’une rare violence, sans commune mesure avec les poissons piqués dans une eau calme et profonde. S’il secoue frénétiquement la tête dès qu’il se sent piqué, c’est un petit poisson. S’il reste sans réaction quelques secondes avant de réagir, attention, c’est plus gros. Et si la masse commence à remonter lentement mais surement le courant, c’est un tout gros qui finira par dévaler en puissance à la recherche d’obstacles : le combat sera long et la partie jamais gagnée. Enfin, si le poisson part comme une fusée droit devant lui en vous arrachant plusieurs dizaines de mètres de fil, il est piqué par la queue après avoir giflé le leurre et ne vous offrira plus guère de résistance à l’issue de ce rush… s’il n’a pas rejoint un obstacle.

Des leurres bien présentés, ni trop gros, ni trop lourds

Il est essentiel de bien analyser un poste avant les premiers lancers qui seront déterminants. Au mieux, un leurre mal présenté ne prendra rien. Au pire, il mettra les poissons en éveil ou les fera fuir. Vous avez repéré un poste potentiel : attaquez ce poste par l’amont, en le peignant progressivement vers l’aval ; et commencez par pêcher à mi-eau avant de tutoyer le fond. Les leurres trop lourds qui grattent le fond et s’arrêtent dans le courant quand on cesse de les animer ont plus de chances de harponner le silure que de déclencher son attaque !

 

Les silures pêchés dans les courants attaquent plus par agressivité que pour se nourrir. Comme plusieurs de mes amis, j’ai remarqué que les leurres de taille modeste (8 à 15 cm) sont plus preneurs que ceux généralement proposés dans les gammes silure. Tous les types de leurres peuvent être efficaces, mais certains ont des résultats constants. Voici à titre indicatif ma panoplie :

Ces leurres ne sont pas conçus pour des pêches aussi fortes, et doivent obligatoirement être renforcés : remplacement des anneaux brisés par des 120 livres et des hameçons par des plus puissants (type Owner ST 66), et renforcement de l’armature même du leurre pour certains.

Les leurres souples de 12 à 15 cm prennent le relai dans les eaux moins courantes, avec les shads (type shad GT de Delalande) ou les virgules (type King ou Sandra de Delalande). Tous mes leurres souples sont fixés sur une monture de type Drachkovitch équipée d’un hameçon type Owner ST66 en N° 2 à 1/0, avec des chevrotines de 10 à 30 grammes. Quelques montures de type Drachkovich pour poissons morts d’une quinzaine de centimètres complètent cette panoplie pour les pêches difficiles par eau claire. Bien d’autres leurres encombrent mes boites, mais sans guère en sortir… Curieusement, les leurres bruiteurs sont généralement décevants. La couleur importe peu, même si j’ai une petite préférence pour les couleurs fluo par eaux teintées, tout particulièrement le jaune chartreuse.

Pour faire face à toutes les situations.

Un matériel puissant

Même si un matériel léger permet occasionnellement de maîtriser un silure en cherchant un autre poisson comme le sandre ou l’aspe, il faut viser beaucoup plus puissant pour s’attaquer aux géants de l’espèce. Côté canne et moulinet, le matériel destiné à la pêche du thon rouge sur les chasses récemment apparu sur le marché est parfaitement adapté à nos pêches : avec un scion souple pour lancer des leurres légers, une grande puissance au talon et une longueur de 2m20 à 2m40 pour le bateau, jusqu’à 2m70 pour le bord.

Pour la tresse, je n’ai fait que monter en puissance depuis mes débuts pour finir en 80 livres, sans être à l’abri de casses (2 à 3 par an). Difficile d’éviter les frottements dans des eaux aussi peu profondes et souvent encombrées ! Un bas de ligne très résistant à l’abrasion est indispensable pour résister aux râpes du silure et à ses contorsions lors du combat. Le fluorocarbone dans les diamètres adaptés (80/100 èmes) ayant tendance à trop brider la nage des leurres, j’utilise une tresse de 100 livres minimum (Kryston Ton-up 85 livres, mais en fait beaucoup plus résistant).

Le leurre est fixé au bas de ligne par une agrafe pour pouvoir en changer rapidement, fabrication maison en corde à piano 100/100ème faute de trouver l’équivalent dans le commerce.

 

Un avantage considérable : le bateau

De nombreux postes sont pêchables du bord, mais la prise d’un grand silure dans ces conditions reste très aléatoire. Il ne faut guère espérer le stopper dans son élan quand il dévale le courant, et éviter les obstacles qui s’amoncellent sur les bordures ! Tout est plus facile en bateau : optimisation du placement pour attaquer un poste, dérive pour suivre le poisson et même un coup de moteur pour s’écarter d’un obstacle. Un poisson réfugié dans un obstacle comme un arbre noyé n’est d’ailleurs plus forcément perdu : en arrêtant de tirer (frein desserré ou pick-up ouvert), il se cale le nez dans l’obstacle. S’il a pris beaucoup de fil, ou que le courant est très violent, la seule solution consiste à essayer de rattraper la tresse derrière l’obstacle avec une deuxième canne, la couper pour la rattacher à la ligne et continuer le combat. Dans peu d’eau, on peut se mettre à l’eau pour « détricoter » la tresse de l’obstacle. Cela ne marche pas à chaque fois, mais m’a permis de sauver quelques uns de mes plus beaux poissons !

Mais l’usage d’un bateau en Loire est bien compliqué, même avec un fond plat ! Les mises à l’eau sont rares et la navigation est difficile quand il faut franchir de longs radiers en tirant le bateau entre deux secteurs de pêche par eau basse. La plupart des moteurs y perdent leur ailette d’embase et la « consommation » d’hélices est importante (au moins une par an en ce qui me concerne).

2,54m pour ce grand bossu

Gérer la pression de pêche

Les silures s’éduquent rapidement, d’autant que beaucoup de gros poissons ont déjà été piqués. Ils restent en poste, mais sont beaucoup plus méfiants, et vont même jusqu’à abandonner durablement certains postes surpêchés. Il faut donc prospecter chaque secteur sans a priori à la recherche des meilleurs postes : même un tout petit poste peut abriter une belle population. Et quand on l’a trouvé, mieux vaut ne pas y revenir trop souvent (pas plus d’une fois par semaine) et ne pas insister trop longuement (rarement plus d’une douzaine de lancers).

Les 2 plus beaux poissons d’une série mémorable de 4 poissons dépassant les 2m.

Quel avenir pour le silure en Loire moyenne ?

La Loire a trouvé avec le silure le grand prédateur qui lui faisait défaut. Sans doute devrait-on dire retrouvé car il était représenté en France au Quaternaire par une forme primitive ayant disparu lors des dernières glaciations. Il n’est d’ailleurs pas considéré par les scientifiques comme une espèce exotique, mais acclimatée. Sa colonisation a été particulièrement rapide, une trentaine d’années. Alors qu’on craignait une explosion de la population, elle semble maintenant stabilisée à un niveau probablement inférieur à ce qu’elle était il y a une dizaine d’années, avec des poissons dont la taille plafonne entre 2m60 et 2m70. Comme cela a été étudié sur le Rhône, c’est probablement le résultat d’une autorégulation de l’espèce, les grands sujets se nourrissant des plus petits.

. Les observations par eaux basses et cristallines permettent de constater que la population n’est pas si importante que certains le prétendent, avec dans ces conditions des concentrations localisées, mais aussi des kilomètres où il est totalement absent. Les études réalisées sur d’autres cours d’eau (Saône, Dordogne) montrent que ses impacts sur les autres espèces restent limités et qu’il ne menace pas les biocénoses aquatiques : il s’est approprié une niche écologique laissée vacante suite aux dernières glaciations.

Seules subsistent quelques interrogations sur sa prédation potentielle de saumons à proximité des passes aménagées au niveau des barrages, ce qui reste à confirmer. C’est donc une aubaine pour le pêcheur qui peut ainsi se mesurer dans nos eaux à un des géants d’eau douce. Il y a quelques dizaines d’années, alors que je pêchais le goujon à la jambière, jamais je n’aurais pu m’imaginer un jour avoir la chance de voir de tels poissons dans « ma » Loire…

Mais cette population reste très vulnérable en Loire moyenne du fait de sa concentration à certaines périodes de l’année. Menacée par la pêche aux engins, filets maillants et nasses géantes pouvant décimer très rapidement une population, notamment les plus gros individus.

Il est symptomatique de constater aujourd’hui que les secteurs les plus porteurs sont les lots non loués… La récente décision du Ministère de l’environnement de développer la pêche professionnelle en eau douce est à ce titre particulièrement inquiétante, et pas que pour le silure. Menacée aussi par certains pseudo-pêcheurs qu’on ne voit sur la Loire que par eaux basses et cristallines pour se livrer au cramotage dans les boules de silures pour la gloriole de prendre sans mérite les plus gros poissons, parfois même sous prétexte de détruire ces poissons victimes d’un délit de « sale gueule ».

 

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