Lors de nombreuses sessions à la recherche de truites en lacs de barrage, lacs d’altitude ou même vasques profondes de certaines rivières, j’ai pu constater la réactivité des salmonidés à un certain nombre d’animations. L’une d’elle qui à ma connaissance n’a jamais été vraiment mentionnée ni décrite pour la pêche au leurre des salmonidés ressemble étrangement à un type d’animation pratiqué en mer. C’est de ce parallèle qu’aujourd’hui j’en viens à décrire cette technique dite « de l’ascenseur » et comment l’exploiter sur la truite et les salmonidés.
Le principe de l’ascenseur
« L’ascenseur » est un type d’animation qui a donné son nom à une technique de pêche au leurre. La technique dite « de l’ascenseur » est bien connue des pêcheurs en mer, notamment des pêcheurs de lieu jaune. Il s’agit d’une pêche à la verticale depuis une embarcation, souvent pratiquée au jig métallique ou au leurre souple. Comme son nom l’indique, la technique de l’ascenseur consiste à prendre contact avec le fond avec le leurre et à lui faire remonter la couche d’eau vers la surface de manière plus ou moins régulière. C’est le caractère ascensionnel du leurre plutôt que son évolution dans le plan vertical qui définit la technique. On ne parle pas de technique de l’ascenseur pour un leurre qui évolue en descendant.
L’espèce ciblée est généralement le lieu jaune, présent en nombre sur certaines épaves profondes au large de la Bretagne et de la Normandie. Les lieus qui vivent proche du fond sont très réceptifs à ce type d’animations. Bien qu’ils évoluent généralement très proche du fond, la technique de l’ascenseur permet de déclencher des touches en pleine eau et c’est toute la force de cette animation.
C’est cette même logique et mécanique d’attaque qui nous intéresse pour la truite. Il y a quelques différences notables cependant : pour la truite, nous pratiquons du bord (pas d’échosondeur), les profondeurs en jeu sont beaucoup moins grandes et les poissons n’attaquent pas parce qu’ils sortent d’une zone où la pression de l’eau devient trop faible.
Ce dernier point est la grande différence entre le parallèle pêche en mer et truite. Car en effet, les lieus attaquent bien souvent un leurre au moment où il sort de la zone où la pression est supportable pour ce gadidé. Le lieu est très sensible au changement de pression. Et on sait que plus la hauteur d’eau est grande, plus la pression est élevée. Lorsqu’on remonte le leurre, la couche d’eau s’amincit et la pression diminue. Il faut imaginer un lieu suivre le leurre, remonter vers la surface donc, et l’attaquer au moment où la pression devient trop faible pour lui. Pour la truite c’est quand même bien différent.
L’origine de l’ascenseur sur la truite
Plusieurs points m’ont persuadé de l’efficacité de ce type d’animations sur les truites dans plusieurs milieux.
Le hasard tout d’abord ! En ayant des touches en remontant un leurre rapidement du fond après avoir gratté tout le long du lancer sans pour autant avoir de touche en faisant évoluer le leurre en pleine eau. J’ai eu plusieurs fois le cas avec des imitations de teignes en particulier. En grattant très lentement ou en faisant une dérive, rien ne se passait, pourtant je savais que les poissons étaient au fond. Quand je remontais la teigne pour relancer, j’obtenais des attaques, alors qu’une teigne qui remonte à la surface à fond, vous avouerez que ça n’a pas trop de sens…
En observant les poissons dans des eaux claires où de la même manière, j’ai eu beau gratter le fond méthodiquement ou faire évoluer proprement mon leurre proche du fond où je voyais les truites, et quand je remontais mon leurre pour relancer, je voyais les truites suivre voire attaquer !
Encore en lac, sur des poissons visiblement en chasse sous des bancs de petits poissons : au fond, pas de touche, dans la boule de poissonnets pas de touche, mais en revanche, en tractant du fond, des truites qui remontent rapidement pour tenter de se saisir du leurre !
Puis il y a eu le raisonnement par l’absurde, c’est-à-dire, « pourquoi n’ai-je pas de touche en faisant évoluer mon leurre en pleine eau ? » alors que quand « je remonte mon leurre et que je traverse la couche d’eau en partant du fond, j’arrive à obtenir des touches en pleine eau voire proche de la surface ».
Enfin, j’ai pu trouver paradoxalement assez récemment des leurres qui permettaient de pratiquer proprement ce type d’animations, notamment les casting jigs destinées à la truite pour les lacs de barrage.
J’ai donc naturellement testé ce type d’animations spécifiquement durant la dernière saison sur différents parcours.
Les zones et lieux d’application
Forcément, l’application de cette technique en eau douce ne se fait pas du tout sur les mêmes échelles qu’en mer où l’on pratique parfois jusqu’à 100m de fond ! En eau douce et pour la truite, la profondeur d’application de la technique varie d’une quinzaine de mètres à même deux mètres de profondeur.
Les zones que j’ai identifiées comme favorables pour tester l’ascenseur sont les lacs de barrage et les lacs de montagne où on a rapidement du fond même en pêchant du bord. Les falaises, blocs rocheux abrupts et autres structures ou reliefs verticaux se prêtent bien à cette méthode. Il n’est d’ailleurs pas forcément nécessaire de prospecter proche des structures et obstacles. En lançant et en laissant couler profond, il est possible d’appliquer la méthode en pleine eau.
En rivière, il est possible d’utiliser ce type d’animation dans les gorges, trous, vasques et gouffres creux et enclavés. Le courant s’y atténue souvent et il est d’ailleurs très difficile de faire évoluer proprement un leurre dans ces zones. La profondeur en jeu est finalement relativement faible, mais l’ascenseur y est très efficace.
Pourquoi est-ce efficace ?
Toute la subtilité de l’ascenseur repose sur son caractère très incitatif. Il ne permet pas seulement de trouver la profondeur où évoluent les truites mais surtout de déclencher des touches. En fait, il ne faut pas croire que l’ascenseur est efficace parce que le leurre, en traversant la colonne d’eau, en vient à croiser le chemin d’une truite en maraude. C’est plus « puissant » que cela. Le fait de remonter plus ou moins rapidement son leurre DECLENCHE des touches. C’est bien le leurre en ascension qui est à l’origine de la touche.
Il est difficile d’être certain de ce qui déclenche ces attaques mais à force de pratique et d’observations, il est possible de dresser une liste de quelques hypothèses.
En premier lieu, un leurre qui évolue lentement dans une couche d’eau donné sera plutôt imitatif. On joue sur le caractère alimentaire des salmonidés pour déclencher une touche. Or, une truite qui ne se nourri pas particulièrement activement ne sera pas intéressée par votre leurre, quand bien même il serait parfaitement présenté dans la couche d’eau où la truite évolue. Par contre, l’effet de fuite, de nage « forcée » et un leurre qui nage en remontant émet un certain nombre de stimuli, notamment visuels, qui n’ont plus rien d’imitatifs mais qui deviennent incitatifs. Et c’est le caractère carnassier, agressif, reflexe et du coup « inconscient » qui prend le dessus sur le caractère alimentaire de la truite.
On peut aussi supposer que la truite attaque une proie isolée très facilement identifiable. La truite et les salmonidés arrivent particulièrement bien à cibler leur attaque à vue. Elles ne se contentent pas d’éclater un banc de petits poissons puis d’isoler un individu comme le font la perche ou le sandre, elles ciblent directement un poisson du banc. Et on peut imaginer qu’un leurre remontant rapidement constitue le poisson égaré isolé du banc qu’elles vont privilégier de cibler. C ’est vraisemblablement le cas proche des bordures, où se concentrent généralement les bancs de fourrages. Les truites évoluent sous le banc et pour autant, elles attaquent en fait plus souvent le leurre qui remonte vers la surface que lorsqu’il évolue tout près d’elles pourtant en chasse…
A plus grande échelle de profondeur et seulement en lac, on peut imaginer aussi que ce n’est pas la pression de l’eau qui pousse les truites à attaquer le leurre qui leur échappe, mais plus une sorte d’inconfort. J’imagine que certaines truites, à l’aise dans une couche d’eau oxygénée et à bonne température (thermocline) décident d’attaquer le leurre qui leur échappe et qui gagne des zones inconfortables pour la truite.
On peut aussi faire le parallèle avec l’éclosion de larves d’insectes (émergentes) qui traversent la couche d’eau en la remontant et qui est un mécanisme d’évolution d’une proie assez habituelle pour la truite.
Peut-être plus incertain, on peut aussi imaginer qu’un leurre qui remonte vers la surface en évoluant relativement rapidement devient bien visible pour la truite qui n’hésite pas à attaquer cette proie immanquable qui aurait pu l’être au fond par plus faible luminosité.
Dernier point plutôt pragmatique, il arrive parfois sur certains spots courts que votre leurre ne travaille pas suffisamment longtemps pour qu’une truite qui déclenche un suivi n’attaque votre leurre. C’est le cas en rivière ou parfois, en passant votre leurre conventionnellement la truite se tourne, suit mais n’attaque pas. Alors qu’en ramenant verticalement sur peut-être plus de « distance », la truite arrive à boucler toute sa chaine d’actions jusqu’à attaquer votre leurre. Ce sont des configurations de poste assez rare mais je crois quand même à cette hypothèse.
Les leurres adaptés
Vous l’aurez compris, les leurres à utiliser en priorité pour pratiquer cette technique de l’ascenseur imiteront plutôt des poissons. On s’adresse avant tout à des poissons prédateurs qui peuvent être de belle taille et la forme, taille et masse des leurres adaptés correspond plus à celui d’un poisson que celui d’un insecte ou invertébré. Comme en mer, les jig métalliques et leurres souples sont très adaptés.
Dans le choix du leurre, j’ai deux nuances à proposer. La première consiste en l’emploi de leurres plutôt imitatifs qui traversent rapidement la couche d’eau et donc particulièrement adaptés aux zones profondes. Il s’agira des leurres souples type finesse ou encore des casting jig.
Une fois qu’on aura atteint le fond après avoir lancé, on pourra remonter le leurre en variant les animations : twitch, linéaire, accélérations, pauses courtes… et ce jusqu’à la surface, puis on relaisse couler au fond. Il faut être attentif à toutes les phases d’animations du leurre, même à la tombée. La touche peut intervenir à n’importe quel moment et il ne faut pas hésiter à continuer l’ascension du leurre même après un raté.
L’autre nuance réside dans l’emploi de certains leurres plus incitatifs qui tirent plus dans la ligne. Il s’agit des leurres souples type shad, des lames, lipless et poisson-nageurs coulants. En termes d’animation, on pourra se contenter d’un linéaire plus ou moins rapide qui est le plus efficace selon moi. En rivière, on pourra même réaliser ce type d’animation avec une cuillère tournante. A noter aussi que plus la hauteur d’eau sera faible et donc la distance de nage courte, plus votre leurre devra être nageant et incitatif.
Tous ces leurres ont en commun d’être coulants et pour descendre rapidement et le plus directement, ils devront être assez lourds et denses.
Les leurres souples auront une tête plombée dont la masse sera comprise entre 5 et 12 grammes. Les jig, lames et autre leurres durs auront un poids compris entre 7 et 20 grammes.
Un matériel spécifique ?
En adéquation avec l’emploi de leurres lourds et denses, ayant une forte inertie ou tirant beaucoup dans la ligne, je trouve judicieux d’opter pour une canne relativement puissante pour la truite. Une medium light ou medium me parait adaptée, avec une action de pointe marquée mais pas trop rapide. Les leurres tirants pas mal dans la ligne, une canne trop raide parasiterait les sensations et le confort. Un moulinet de ratio intermédiaire est un plus pour les mêmes raisons. Un haut ratio peut être utilisé mais à éviter pour du linéaire pur et du « treuillage », qui demanderont de compenser et de « pomper » avec une canne plus puissante et flouteront les sensations que l’on a de la perception du leurre.
Il me semble en revanche indispensable d’opter pour de la tresse et un bas de ligne en fluorocarbone plutôt que pour un nylon. La finesse de la tresse permet au leurre de couler plus vite et elle fend très bien l’eau. Cela permet d’être plus en direct avec le leurre et d’éviter un ventre gênant dans la bannière. La tresse offre la possibilité d’une meilleure perception des touches, notamment lors de la descente, qui restent fréquentes.
Vous l’aurez compris, la technique de l’ascenseur, nouvelle ou non, est une vraie carte à jouer dans les milieux creux pour déclencher des touches.
Une vraie astuce et une vraie méthode de prospection à tester en toute saison !