Le brochet est le poisson français qui semble le plus fasciner les pêcheurs depuis des dizaines d’années. Et forcément les plus gros poissons, les plus rares et les plus impressionnants sont toujours le sujet de conversation numéro 1. A ce propos en s’intéressant aux résultats des pêcheurs français, on s’aperçoit rapidement que certains confrères survolent largement et ont un album photo largement au-dessus de l’ordinaire.
Avec cette série d’interviews j’ai voulu recueillir les témoignages des plus grands spécialistes de la recherche de grands brochets en France, pour vérifier s’il y a des points communs dans leurs approches, et pour démontrer que l’on peut avoir des résultats bluffant même sans aller à l’étranger ou au lac Léman !
Vous avez surement vu cette vidéo d’un pêcheur au bord d’un lac combattant un immense brochet de 128cm, vue plus de 2 millions de fois à ce jour ! Voici dans ce numéro la contribution de ce pêcheur, Jérôme Kaïd, chasseur de grands brochets bien connu, surnommé le sorcier pour sa capacité hors norme à trouver les plus grands poissons !
1/ Peux-tu te présenter
Bonjour à tous ! Je m’appelle Jérome Kaïd, je vis dans les hautes alpes près du lac de Serre-Ponçon. Actuellement je travaille en tant que saisonnier (été et hiver) dans une collectivité comme cuisinier.
Concernant la pêche, inutile de vous dire qu’elle est aujourd’hui ma grande passion, mais plus particulièrement celle de la traque des grands brochets, à laquelle je dédie la plupart de mon temps libre.
J’ai bien sûr attaqué la pêche dès mon plus jeune âge en passant par toutes les techniques, mais deux en sont ressorties, tout simplement car j’ai été très vite attiré par les plus gros et puissants poissons d’eau douce ! J’ai tout d’abord pêché la carpe pendant 15 ans, une pêche qui m’a beaucoup apporté à tous les niveaux (recherche, technique, remise en cause, approche…) et qui m’a procuré des instants magiques et mémorables.
Puis, s’est installé une petite lassitude qui m’a beaucoup fait réfléchir, et tout naturellement je me suis tourné vers la pêche des grands brochets qui est aussi un des plus grands poissons d’eau douce. J’ai tout d’abord commencé par la pêche du bord et aujourd’hui je la pratique de plus en plus en bateau.
2/Comment en es-tu venu à te concentrer principalement sur la recherche des très grands brochets ?
Comme dit précédemment, la raison principale est que j’ai toujours été attiré par les grands poissons. Aujourd’hui, les grands brochets sont des prédateurs qui me fascinent pour plein de choses. Cette passion pour la recherche des grands brochets me dévore, raison pour laquelle j’y voue beaucoup d’énergie et tout simplement parce que j’aime ça !
3/ Quel est ton palmarès ?
Honnêtement, je ne suis pas quelqu’un qui aime afficher son palmarès, et je ne suis pas non plus quelqu’un qui aime les chiffres. Il m’arrive quelquefois de compter mais c’est très rare, je privilégie avant tout les émotions et les souvenirs que me laissent chaque géant !
Mais bon pour l’article je vais faire une exception et répondre à la question en donnant des chiffres approximatifs. Aujourd’hui, je dois avoir à peu près une petite dizaine de brochets de 120+ et approximativement entre 20 et 30 brochets de 110+.
4/ Quel est ton terrain de jeu favori pour traquer ces poissons ?
Mes terrains de jeu favoris sont les grands lacs alpins tout simplement car je vis à proximité et car ce sont pour moi des lieux qui recèlent le plus grand nombre de grands poissons ! Cependant le lac où je passe la plupart de mon temps est Serre-Ponçon car j’habite juste à côté.
5/ Combien de temps y consacres-tu par an, quelles saisons ?
J’y consacre la plupart de mon temps de libre, difficile de dire un nombre de jours sur une année, mais il y en a énormément.
6/ Quel est pour toi la meilleure période pour les géants ?
La meilleure saison pour moi reste le printemps/été car les poissons sont moins profonds et sont en pleine activité généralement ! Cependant l’automne peut réserver des surprises mais la pêche est plus compliquée car les poissons commencent peu à peu à rejoindre les grandes profondeurs.
7/ Quelles autres pêches pratiques tu, qu’y as-tu appris qui te sert pour les grands brochets ?
Aujourd’hui je pratique la pêche du brochet à 95% ! il m’arrive de pêcher quelquefois les grosses perches pour me libérer l’esprit un moment et réfléchir à mes prochaines stratégies. Et ça m’a aussi appris une chose : lorsque les perches sont en chasse sur des boules de vifs, cela créer du « bordel » sous l’eau et bien souvent les brochets à proximité se mêlent à la bataille. Dans ces cas-là, faut-il choisir les grosses perches ou gros brochets ?
8/ Quel type de leurres préfères-tu ?
Aujourd’hui, il existe des milliers de leurres sur le marché ! chacun a ses préférences ! Bien sûr j’ai les miennes. Pour n’en citer que 2, le tube Esox Toy chez TPS et le Shad Ripple de Berkley. L’Esox Toy car c’est un leurre qui déplace beaucoup d’eau sans faire de bruit et qui a une nage erratique qu’aucun autre leurre ne peut avoir, c’est aussi un leurre que l’on peut travailler dans la couche d’eau souhaitée sans jamais en sortir.
Le Ripple 20 cm est un shad que j’aime bien aussi car sa nage serrée et sa taille qui correspond bien souvent à la taille moyenne de notre fourrage en France en fait un leurre un peu passe partout aussi bien sur les poissons moyens que sur les géants.
Bien sûr il y a d’autres leurres que j’utilise et qui marchent, à chacun ses préférences !
Pour la plombée des leurres, concernant les shads, je les plombe plus ou moins selon la couche d’eau que je souhaite pêcher lorsque je suis en cranking et pour la pêche en traction je plombe plus ou moins selon si je veux une action planante ou une action plus agressive, encore une fois j’adapte selon l’humeur des poissons.
Concernant l’Esox Toy, la technique est un peu différente, c’est un leurre que l’on va travailler en traction en lui faisant traverser des couches d’eau, sa plombée ne se fait pas en fonction que l’on pêche profond ou non ! On le plombera plus ou moins selon si on veut que sa nage soit plus rapide ou plus planante dans la couche d’eau que l’on va choisir.
Pour le montage des leurres, cela fait quelques années que je me suis mis à les monter avec des têtes à visser avec un seul triple ! L’important est de placer celui-ci correctement, c’est à dire ne jamais dépasser le premier tiers en partant de la tête. Il est très rare que les brochets attaquent une proie à sa queue, lorsque cela arrive ce sont souvent de petits brochets qui s’attaquent à des leurres trop gros pour eux. Depuis que j’ai adopté ces montages, je n’ai pas remarqué plus de ratés ou plus de décroches que s’il y avait deux hameçons. J’ai même tendance à couper le simple sur les leurres prémontés. Il y a aussi un très gros avantage à ceci, c’est le fait qu’il est bien plus facile de décrocher le poisson correctement, un hameçon fera toujours moins de dégâts que deux lorsque le leurre est engamé.
9/ Quels combos utilises-tu ?
J’utilise la gamme « Meter over » de chez Hearty Rise. De la plus petite à la plus grande, ces cannes me conviennent parfaitement tant au niveau puissance et action qu’au niveau combat. Leur long talon permet un grand levier pour propulser les leurres à grande distance, une chose qui est à mon goût très appréciable.
Pour les moulins je possède du Daïwa et du Revo chez Abu Garcia avec des ratios différent selon si je pêche en traction ou en cranking. Le choix de mes moulins se fait surtout au niveau du confort dans la main avec une puissance de frein assez forte pour pouvoir contrer les plus grands brochets.
Concernant la tresse, j’utilise de la Powerpro depuis des années tout simplement pour son rapport qualité prix et parce qu’elle ne m’a jamais déçu ! Le diamètre que j’utilise va de 30 à 50lbs selon la canne et les leurres que je vais lancer, mais aussi pour la tenue du leurre dans les couches d’eau, une tresse de fort diamètre retiendra plus facilement le leurre dans les premières couches d’eau.
Cela fait plusieurs années que je n’utilise plus de “tête de discrétion” tout simplement parce que j’ai remarqué qu’en n’en mettant pas j’avais autant de résultats et de plus cela évite un point de faiblesse en plus sur la ligne avec le nœud ! Tout simplement un corps de ligne en tresse raccordé à un nylon ou fluoro de 90 centièmes.
10/ Quels accessoires te sont utiles spécifiques à cette pêche ?
Plusieurs accessoires me sont utiles pour cette pêche. Je voue une énorme importance à préserver la santé du poisson pour qu’il puisse repartir dans les meilleures conditions possibles ! Un tapis de réception mouillé avant la mesure pour éviter d’enlever le mucus au poisson (pensez avant tout à avoir les mains mouillées), une écope à proximité s’il n’est pas possible de décrocher le poisson dans l’épuisette afin de l’hydrater un maximum, une pince à long bec pour décrocher l’hameçon, une longue pince coupante très forte capable de couper les branches de triples les plus gros au cas où ils soient pris dans des endroits sensibles comme les ouïes par exemple. Pour moi chaque pêcheur de brochet devrait avoir ce matériel afin de préserver nos partenaires de jeu un maximum possible, et de plus, il est bien évident que plus la manipulation sera brève et plus le poisson aura des chances de survivre !
11/ Quelle technique, approche, stratégie, penses-tu est la meilleure pour cette pêche ?
J’utilise beaucoup mon sondeur qui me donne beaucoup d’informations qui ne sont pas visibles à l’œil nu ! Présence de fourrage, d’obstacles etc. mais aussi une cartographie pour être tout le temps placé à l’endroit où l’on veut sans sortir de la profondeur souhaitée, ainsi que d’identifier des hauts fonds ou d’autres zones intéressantes.
Que ce soit en linéaire ou en traction, et tout au long de l’année, je vais toujours chercher à pêcher le moins profond possible ! Bien sûr printemps/été la majorité des poissons que ce soit fourrage ou brochets se trouvent dans des faibles profondeurs en pleine activité, je vais donc m’orienter naturellement vers des zones moins profondes. De plus au printemps, les brochets vont systématiquement chercher les zones les moins profondes afin de frayer. Bien sûr je ne pêche jamais sur des zones de fraie lorsque les poissons y sont pour poser leurs œufs ! Le but étant de les intercepter avant qu’ils n’entrent dans leurs ébats et quand ils en sortent.
L’automne/hiver se pratiquera dans des zones plus profondes étant donné que le fourrage commence à descendre dans les profondeurs et forcément les prédateurs vont suivre. Il pourra tout de même toujours rester quelques sujets dans de faibles profondeurs qui se font dorer au soleil.
Après, dans cette pêche, il faut se dire une chose, c’est le mental et l’abnégation qui jouent ! Le principal maître mot pour moi c’est poncer, poncer, poncer ! Plus de temps votre leurre sera dans l’eau plus vous aurez de chance de leurrer un géant.
Evidemment il m’arrive de me tromper dans mes stratégies, des capots j’en mange beaucoup comme tout le monde, il faut savoir se remettre en question tout le temps et savoir tenter des choses, c’est aussi ça la pêche !
12/ Quels postes ou secteurs sont tes préférés ? Comment les abordes-tu ?
Je n’ai pas de postes préférés, je m’adapte selon le comportement des poissons. Je peux pêcher en pélagique comme en bordure plus ou moins profond, je fais en fonction de ce que m’indique l’échosondeur sur la tenue des poissons et je ponce sans relâche !
13/ Quelle est la conséquence de ces stratégies sur ton nombre de touches et d’éventuelles bredouilles, et comment gères-tu cela ?
Comme je l’ai dit précédemment, des capots j’en mange et il m’arrive de me tromper sur mes stratégies ! Avec des années d’expérience j’ai pu remarquer que certains postes étaient des postes à “gros”, mais les touches y sont plus rares, alors il est sûr que certaines fois je vais y pêcher même si je ne vois pas grand-chose au sondeur et cela engendre un très faible nombre de touches sur une journée, en gros dans ces conditions je dis presque que je pêche pour espérer UNE touche dans la journée ! Comment je gère cela ? J’ai envie de dire qu’il faut croire en ce que l’on fait et tôt ou tard ça paye ! Tout se passe dans la tête, cette recherche de grands poissons se joue au mental.
14/ Raconte-nous la prise de 2 poissons record qui t’ont marqué.
Alors commençons par un poisson de 131cm, que j’ai eu la chance de croiser une deuxième fois 1 mois plus tard à plus de 3 km de distance, et que je mesurerai à 130, celui-ci avait rétréci pour une raison que j’ignore (stress, vieillesse…). Mais j’ai plusieurs fois remarqué ce phénomène sur des poissons leurrés plusieurs fois ! J’espérai un jour en tant que pêcheur de grands brochets franchir cette barre des 130, et je peux vous dire que, quand cela se réalise, les sentiments, la joie… sont indescriptibles, je le souhaite à chaque pêcheur ! Ce poisson m’a apporté une joie et des souvenirs qui resteront gravés dans ma mémoire à jamais ! Les deux fois où j’ai leurré ce poisson, nous étions au milieu du printemps, je ponçais les bordures en sachant que les brochets navigueraient à la recherche de zones herbeuses pour y frayer. Serre-Poncon est un lac de barrage qui a un fort marnage, de ce fait l’herbe ne se trouve qu’en bordure lorsque le lac est plein c’est à dire début juin généralement, raison pour laquelle la période de fraie y est très décalée par rapport à d’autres lacs.
Pour mon deuxième plus gros poisson, je vais bien sûr parler de ce fameux géant de 128.5 cm leurré du bord et qui a fait le buzz sur la planète pêche à travers YouTube ! Les instants que m’a procuré ce géant sont à ce jour les meilleurs souvenirs de ma vie de pêcheur ! Pourquoi, je ne sais pas, peut-être parce qu’il a été mon tout premier vrai géant hors normes. Ce jour-là, tout était réuni pour que je vive une journée de rêve, entre potes, un qui a eu le réflexe de filmer, bref j’étais sur mon petit nuage et j’avoue avoir mis quelques jours pour m’en remettre tant tout est allé vite par la suite avec cette fameuse vidéo ! Nous étions encore une fois au milieu de printemps et je pêchais une fois de plus dans les premières couches d’eau à la recherche de poissons naviguant pour chercher les zones de fraie.
15/ Comment vois-tu cette traque à l’avenir en général ? Quelles eaux te semblent avoir du potentiel, quel matériels, techniques ? Toi, quel est ton projet à l’avenir pour cette pêche ?
Je ne suis pas devin, mais je remarque d’année en année que la traque des grands brochets devient de plus en plus difficile malheureusement, cela à cause de plusieurs choses. Il y a à mon goût un trop grand nombre de prélèvements sur ces poissons que ce soit par les pêcheurs pros ou les pêcheurs amateurs, des poissons qui ont de plus en plus de mal à se reproduire dans des milieux de plus en plus pollués et qui s’appauvrissent en végétation nécessaire pour la fraie ! Une grosse femelle prélevée et qui a une génétique permettant de produire de grands poissons ne pourra pas donner de futures progénitures qui deviendront par la suite des grands poissons si elle se retrouve dans un congélateur ! Il y a aussi le fait que cette pêche devient une mode, de plus en plus de monde la pratique, de ce fait cela créée une méfiance, il est de plus en plus difficile d’arriver à leurrer ces grands poissons, il faut savoir ruser et se creuser les méninges pour arriver à les séduire !
Mon projet à l’avenir est de continuer cette traque tant qu’elle me procure du plaisir, là est l’essentiel ! Le jour où j’en aurai marre, j’arrêterai, mais une chose est sûre ce n’est pas demain la veille…