Le brochet est le poisson français qui semble le plus fasciner les pêcheurs depuis des dizaines d’années. Et forcément les plus gros poissons, les plus rares et les plus impressionnants sont toujours le sujet de conversation numéro 1. A ce propos en s’intéressant aux résultats des pêcheurs français, on s’aperçoit rapidement que certains confrères survolent largement et ont un album photo bien au-dessus de l’ordinaire.
J’ai voulu recueillir les témoignages des plus grands spécialistes de la recherche de grands brochets en France, pour vérifier s’il y a des points communs dans leur approche, et pour démontrer que l’on peut avoir des résultats bluffant même sans aller à l’étranger ou au lac Léman ! Et si vous voulez savoir quels sont les plus gros brochets capturés en France, suivez le lien !
Pour ce numéro c’est un pêcheur exceptionnel par sa technique, et par ses résultats ! En effet il n’y a pas que le leurre et les lacs dans la vie, et ce pêcheur à la mouche a pourtant un palmarès qui rendrait jaloux 99% des pêcheurs aux leurres, en rivière pour la plupart qui plus est ! Comment fait-il ?
1/ Peux-tu te présenter stp.
Je m’appelle Marc Millieroux, j’ai 31 ans, et je vis en Charente Maritime. Issu du milieu aquacole, j’ai décidé il y a 2 ans de faire une reconversion professionnelle en tant que grimpeur-élagueur. Je pêche depuis tout gamin, coup, truite, carnassier, et carpe. Je me suis mis à la pêche à la mouche vers 12 ans et j’ai commencé la pêche du brochet à la mouche en 2009. Je pêche la truite et le brochet presqu’exclusivement à la mouche, ainsi que perche, black bass et sandre au leurre.
2/Comment en es-tu venu à te concentrer principalement sur la recherche des très grands brochets ?
C’était en janvier 2011, je venais de faire mon premier brochet de plus de 80 cm et à la mouche. J’ai toujours rêvé de faire un vrai gros, mais depuis ce jour je me documente sur ce poisson, sa vie, ses mœurs, techniques de pêche… Je m’inspire des techniques de pêche du brochet au leurre et tente de les transposer à la mouche. J’ai beaucoup observé les poissons lors de mes parties de pêches. J’ai la chance d’avoir des rivières aux eaux claires. Les gros poissons m’ont toujours fasciné. Je voulais donc réaliser ce rêve et le réaliser à la mouche.
3/ Quel est ton « palmarès » ?
J’ai capturé plus de 20 brochets au-dessus du mètre dont 5 de plus de 110. Le tout à la mouche. Le plus gros mesure 125 cm pour 16,5 kg. Un poisson sorti de mes rêves que j’ai revu l’année suivante suivre mon streamer. Peut-être y aura-t-il une deuxième rencontre avec ce géant un jour futur.
4/ Quel est ton terrain de jeu favori pour traquer ces poissons ?
Je traque beaucoup le brochet en rivière. Les étangs et les lacs sont trop peu nombreux par chez moi, ce sont bien souvent des carrières privées. Il n’y a aucun grand lac dans mon département, il faut donc faire pas mal de route pour trouver les premiers grands lacs. Que ce soit une rivière de première catégorie ou un fleuve, j’aime varier les spots. Depuis deux ans je pêche un peu plus régulièrement dansdes eaux closes. C’est très différent de la rivière. J’ai dû creuser, réfléchir différemment pour prendre les premiers gros poissons. J’y ai capturé plusieurs métrés sans atteindre la barre des 110, jusqu’à ce mois de juin dernier, où un magnifique brochet de 112 cm a fini dans mon épuisette. Cela me conforte sur le fait que je suis sur la bonne voie. En revanche je n’ai pas de résultat satisfaisant en grand lac. Cela s’explique sûrement par mon manque de pratique, puisque j’y pêche à peine une fois par an.
5/ Combien de temps y consacres-tu par an, quelles saisons ?
Je pêche bien moins qu’il y a quelques années, mais dans la mesure du possible je pêche une fois par semaine. Ça peut être une paire d’heures comme une journée entière. J’essaie de prendre un week-end complet par mois sur les meilleures périodes pour le brochet. J’en profite pour aller sur des étangs ou des petits lacs des départements voisins. L’été, je profite de cette période bien moins propice à la pêche des gros brochets, pour pêcher la truite et le black bass.
6/ Quel est pour toi la meilleure période pour les géants ?
Difficile de dire quelle période est la meilleure. Pour moi, ça commence après la fraie jusqu’à la mi-juin, puis de fin septembre à fin janvier. Le printemps, après la fraie, les grosses femelles ont besoin de se refaire la cerise. Les conditions climatiques sont idéales pour leurs activités. C’est aussi la période de reproduction de la plupart des poissons blancs, c’est une occasion que ces gros poissons ne manquent pas. À la fin de l’été, la chute des températures donne un regain d’activité chez les brochets. L’automne enchante les bords des cours d’eau par ses couleurs et les bancs de poissons commencent à se concentrer. J’ai quand même un faible pour les mois de décembre et janvier. Ce sont des mois très compliqués mentalement, car les touches sont très rares, mais les chances de croiser un poisson-trophée sont plus grandes, à condition d’avoir des températures plus clémentes depuis plusieurs jours.
7/ Quelles autres pêche pratiques tu, qu’y as-tu appris qui te sert pour les grands brochets ?
Je pêche le black bass, la perche et le sandre au leurre, mais plus principalement, après le brochet, la truite. Je traque cette dernière uniquement à la mouche et presque toujours en nymphe à vue. Je traque là aussi les grosses truites. La pêche à vue est très enrichissante. On en apprend beaucoup sur le poisson, mais aussi sur nos erreurs. Il est difficile de transposer la nymphe à vue à la pêche au streamer. Mais la maîtrise de la nymphe à vue demande une grande qualité sur la lecture de la rivière. Cela me permet de mieux imaginer les postes sous l’eau en lisant les courants de surface pour envisager où se posterait un brochet à l’affût. Mais surtout, cette pêche m’a forgé un mental. Elle m’a fait comprendre que les truites perdues, que ce soit dû à un refus, un ferrage raté, une décroche, ou une casse, sont des erreurs. Des erreurs de placement, de jugement, de négligence sur le matériel, de matériel mal adapté… De ce fait, à chaque échec j’analysais ce qu’il venait de se passer pour comprendre où était mon erreur afin de ne plus la reproduire. C’est vrai, il est plus facile de se réfugier dans la faute à pas de chance. Mais se remettre en question est une des clefs de la réussite dans la traque des poissons-trophées.
8/ Quel type de mouches (et non pas leurres comme les autres interviews) préfères-tu ?
J’utilise des streamers de 20 à plus de 35 cm. Mes streamers ne sont pas plombés, je leurs préfère le côté planant. Lorsque je veux apporter une nage en dents de scie, j’opte pour l’ajout d’un plomb ou d’un cône en tête. Que les streamers soient brillants ou mats, j’adapte leurs utilisations en fonction des conditions et des réactions des brochets. Je n’utilise quasiment pas les streamers de surface, popper, diver. Ces streamers font réagir les petits brochets plutôt que les gros. Ces dernières années, nous voyons une évolution plus importante dans l’ajout de matériaux, palettes, virgules… J’utilise avec un certain succès les wiggel tail, mais ce n’est pas systématique. Je n’utilise pas de rattel. J’ai testé une année et ça ne m’a pas convaincu. Pour ce qui est des couleurs, le sujet peut être long. Je préfère parler de teinte, claire et foncée que j’adopte suivant les conditions. Cependant, il faut parfois savoir aller à l’encontre des règles de base pour sortir son épingle du jeu.
9/ Quels combos utilises-tu ?
J’utilise deux tailles de cannes. 8 et 9 pieds. J’ai plusieurs 9 pieds que j’utilise lors de mes sorties de pêche en étang ou en lac. Elles me permettent de faire de longs lancers sans forcer, ce qui est important lorsque l’on veut couvrir du terrain toute une journée. J’en ai toujours au moins deux avec moi montées avec deux types de soie différentes pour changer la présentation de mon streamer suivant la configuration et les positions des brochets. J’utilise la 8 pieds en rivière. Sa taille légèrement inférieure apporte une meilleure précision à mes lancers. Très utile lorsque l’on veut envoyer le streamer dans de petites trouées. Je pêche également dans des rivières peu larges avec une forte ripisylve. Par endroit les branches retombantes des arbres réduisent considérablement la largeur de la rivière. Là encore, ces quelques centimètres en moins facilitent les lancers. J’utilise également 4 soies de taille 10 de densités différentes. Une flottante, une flottante pointe intermédiaire, une flottante pointe plongeante S3 et une flottante pointe plongeante S7. Elles me permettent de pêcher dans tous les cas de figure qui se présentent sur mes spots. Toutes ces soies ont un fuseau court, moins de 9 mètres. Cela permet d’envoyer la soie en un minimum de faux lancers. Elles ont une élasticité très faible pour un meilleur ferrage. Côté bas de ligne, il n’est pas utile de monter ces derniers aussi complexes que ceux utilisés pour la pêche de la truite. J’en utilise deux. Le premier que j’utilise principalement est à utiliser uniquement pour les pêches depuis une embarcation. Environ 1m20 de gros fluoro, personnellement du 80/100. Pour la simple et bonne raison que lors d’un combat avec un très gros il tentera de rentrer dans les obstacles. Le frottement de ce bas de ligne peut céder, c’est pourquoi j’utilise aussi gros. En pointe je finis par 40 cm de titane. Le deuxième est celui que j’utilise lors de mes rares pêches depuis le bord. Il est identique à ce dernier, je diminue simplement le diamètre du fluoro, 35-45/100, pour qu’en cas d’accroche avec le streamer dans un obstacle, ce soit le fluoro qui cède et non la soie. Si j’utilise le fluoro ce n’est pas pour son côté « discrétion », il est simplement moins élastique que le nylon à diamètre égal.
10/ Quels accessoires te sont utiles spécifiques à cette pêche ?
J’ai toujours avec moi une épuisette d’une belle ouverture. Elle n’est pas immense, mais c’est suffisant. Cela permet d’écourter le combat, mais aussi de garder le poisson dans l’eau après le combat. Une très grande pince, 20 cm de long ne suffit pas pour décrocher le streamer dans la gueule d’un géant. Un sac de conservation pour carpe. Je pêche souvent seul. Le temps de préparer tout le matériel utile qui suit la capture, décrocher, photographier, mesurer, voire peser si c’est vraiment gros, tout cela prend du temps. Il vaut mieux qu’il passe ce temps dans l’eau à reprendre son souffle. Un tapis de mesure, que je trempe dans l’eau avant de poser le brochet dessus. Un kit de secours, on n’est jamais à l’abri d’une blessure. Un appareil photo avec un sac étanche. Un peson. Une pierre à affûter, il est primordial que l’hameçon soit d’un piquant irréprochable. Ainsi que mon indispensable float tube. À la mouche il est plus difficile, voire impossible, de pêcher certains spots. Il me permet aussi lors d’une prise avec un gros sujet de le suivre facilement pour contourner les obstacles dans lesquels il aurait voulu me fausser compagnie.
11/ Quelle technique, approche, stratégie, penses-tu est la meilleure pour cette pêche ?
Là encore il est difficile pour moi de dire quelle est la meilleure technique. Pêcher lentement rapporte de gros poissons, c’est ce que l’on entend très souvent. Mais j’ai aussi fait de gros brochets sur des animations très rapides. Ma stratégie est de pêcher gros. Même si certains jours ce sont des streamers de taille moyenne, 20 cm, qui m’ont rapporté de gros brochets. J’utilise principalement des streamers de 25-35 cm. En rivière je n’insiste que très rarement. Je me laisse descendre et lance tous les 2-3 mètres. En étang, il m’arrive d’insister sur les zones de tenue. L’approche depuis une embarcation est importante. Il n’est pas impossible d’en faire depuis la berge, mais l’accès aux postes est plus facile depuis l’eau. Le plus important dans tout ça est de savoir s’adapter au moment, de connaitre ses coins et les habitudes des brochets suivant les saisons.
12/ Quels postes ou secteurs sont tes préférés ? Comment les abordes-tu ?
Je prends plaisir à le traquer dans n’importe quel spot. Mon préféré reste une pente, ni trop abrupte, ni trop douce, de bordure de rivière avec un banc de nénuphars pas trop dense. Faire évoluer son streamer au-dessus des nénuphars et voir attaquer un de ces géants est quelque chose d’impressionnant qui reste gravé. Je ne me place pas trop loin de la berge pour être précis sur mes lancers. Je lance mon streamer au plus près de la berge, sous les frondaisons. Généralement les attaques surviennent sur les premières animations.
13 / Quelle est la conséquence de ces stratégies sur ton nombre de touches et d’éventuelles bredouilles, et comment gères-tu cela ?
Avant de se lancer, il faut déterminer ce que vous voulez. Soit vous cherchez à faire du nombre, soit vous chercher le spécimen. Lorsque l’on décide de traquer les gros brochets, il faut s’attendre à ce que les capots soient très nombreux. C’est le choix que j’ai fait, par amour pour ces poissons plutôt rares, par passion pour cette pêche parfois ingrate, mais qui nous fait oublier tous les déboires lorsque le poisson tant recherché est dans le fond du filet. Ça vous forge un mental, car ce n’est plus de la pêche ludique, c’est une traque, un combat incertain qui certains jours ressemble à une partie de cache-cache avec une chimère. Il faut être prêt à tout moment, cela peut prendre plusieurs parties de pêche. Ne lâchez jamais, même quand tout espoir semble perdu.
14/ Raconte-nous la prise de 2 poissons record qui t’ont marqué.
Le premier est bien évidemment ce brochet de 1m25 pour 16,5 kg. C’était au début du mois de janvier 2018. La rivière était en crue, le vent soufflait fort, plus de 60 km/h. C’était une journée à une touche, je n’en ai eu qu’une et c’était la bonne. Le vent me faisait face, pas évident en float tube, ça m’agaçait pas mal. Le mental était mis à rude épreuve par ce vent, mais aussi par l’année 2017 où je n’ai capturé aucun brochet de plus de 90 cm en France. J’avais pu en capturer quelques-uns au leurre en Espagne lors de mes guidages. J’ai dû me ressaisir, me mettre un gros coup de pied au cul pour arrêter de pester contre le vent afin de rester concentré. Sans ça j’aurais peut-être loupé le ferrage, ou je ne sais quoi. Je ne le répéterai jamais assez, mais les points clefs sont ; mental et concentration. Le combat tenait plus du bras de fer qu’à un combat explosif. Les eaux de la rivière en crue étaient si teintées que je n’ai réalisé ce que je venais de combattre qu’une fois que j’ai voulu lever l’épuisette. J’ai eu peur de la casser, puis une fois posé sur l’herbe je me suis rendu compte de sa longueur. Un rêve venait de se réaliser. Ne lâchez jamais…
Pour le second je vais vous parler de mon deuxième plus gros, tout du moins pour la longueur. En août 2013, je pêchais perches et sandres au leurre du bord. En début de soirée, je suis tombé sur un brochet d’environ 95 cm rond comme une barrique posté en bordure dans un couloir de nénuphars. N’ayant pas ma canne à mouche avec moi, j’ai préféré le laisser. C’est en mi-septembre que je suis revenu sur les lieux en float tube avec ma canne à mouche. J’ai commencé loin en amont. Plusieurs heures se sont écoulées avant d’arriver sur ce banc de nénuphars. Je prospecte méticuleusement les nénuphars lorsque j’arrive dans le couloir où j’avais vu le brochet un mois plus tôt. Mon streamer tombe au ras de la bordure, je strip 3 fois quand je vois une énorme gueule s’emparer de mon streamer. Je compris immédiatement que ce n’est pas le même poisson que celui repéré auparavant. Le combat était puissant, le poisson rapide. Il a traversé le banc de nénuphars dans sa longueur, puis a fait demi-tour pour reprendre exactement le même chemin. Le combat en pleine eau a été court, mais explosif. Ce brochet mesurait 113 cm. Poste à gros poissons puisque l’année suivante j’ai fait suivre sur ce banc de nénuphars un brochet estimé à 105-110.
15/ Comment vois-tu cette traque à l’avenir en général ? Quelles eaux te semblent avoir du potentiel, quel matériels, techniques ? Toi, quel est ton projet à l’avenir pour cette pêche ?
La pêche du brochet à la mouche voit son nombre de pratiquants en pleine augmentation ces dernières années. Parallèlement à ça je constate aussi que bon nombre arrêtent au bout d’un an ou deux. Effet de mode, difficulté de la technique lorsque l’on n’a jamais pratiqué la pêche à la mouche, les raisons sont nombreuses. Mais pour certains, ça en devient une addiction. Car la pêche du brochet à la mouche n’a rien à envier à celle au leurre. Cette technique a déjà plusieurs brochets de plus de 120 à son actif en France. Le brochet à la mouche a le vent en poupe. Mais son futur reste incertain comme toutes les autres techniques. Car les problèmes viennent de la gestion piscicole, de la gestion des milieux aquatiques, de la gestion de l’eau, ainsi que de nombreuses sources de pollution qui affectent les populations de poissons et autres êtres vivants de ces milieux fragiles.
Les lacs abriteraient plus de gros poissons que les rivières. Peut-être est-ce dû au fait que la plupart des spécimens hunter les traquent en lacs que l’on pense ainsi. Quoi qu’il en soit, n’oublions pas que les rivières abritent elles aussi des géants. Il n’y a pas que les pays étrangers qui recèlent de gros brochets. La France a un très beau potentiel, mais la gestion ne concorde pas avec la protection du cheptel et des milieux aquatiques. Il n’est jamais trop tard, et nous pouvons voir que les AAPPMA et fédé sont de plus en plus nombreuses à aller dans le bon sens. Je prends pour exemple la mise en place d’une fenêtre de capture sur une rivière de mon département. En prenant les bonnes mesures, nous pourrions voir de belles populations de poissons en France.
Plusieurs choses me motivent pour traquer ces spécimens. Prendre un second poisson de plus de 120 cm. Prendre un poisson de plus de 130 cm, il n’est pas interdit de rêver. Mais j’ai aussi pour objectif, de capturer au moins un brochet de plus d’un mètre dans chaque pays qui abrite des brochets. J’imagine que ma vie sera certainement trop courte et que financièrement il sera compliqué de suivre. Mais c’est mon but lorsque j’ai la chance de partir pêcher à l’étranger.