Brochet record de 132cm : Quand la chance sourit au pêcheur audacieux

Par où commencer ? Il est très rare que je perde le contrôle de mes pensées, mais cela a pourtant été le cas durant la journée de cette capture. Pour simplifier on va commencer par le commencement, au moins chronologique. Je vous épargne mes débuts à 6 ans avec une gardonnette, pour démarrer naturellement le week-end précédent ce poisson fabuleux.

Récit du brochet de 132cm
Une mesure hallucinante

Depuis le début de saison je ne pêche qu’un lac de barrage aux berges très pentues, en prenant régulièrement des brochets de 60/85 cm en extrême bordure. J’invite un collègue Christophe à venir y pêcher avec moi un samedi de mai. Malheureusement la journée se passe sans exploit niveau poisson, nous prenons seulement quelques petits, les gros ont déserté le bord. Christophe me parla alors d’un lac qu’il connait avec des beaux brocs de 90/110 qui se font ce printemps, je change donc mes plans et abandonne les berges pentues pour ce lac inconnu pour moi. Et nous y voilà dimanche, la configuration est différente, les berges sont plus douces, il faut s’adapter. Nous ferons plus de brochets mais rien au dessus de 70cm, ici non plus ce n’est pas la fête, et le weekend se finit pour retourner au travail. Durant la semaine je décide donc d’aller essayer encore un autre lac car les derniers résultats ne furent pas concluants. Mes infos m’indiquent que ce dernier lac est très haut, que les buissons du bord sont immergés ce qui augure d’une très bonne pêche en bordure. Samedi matin j’arrive sur place, mais mes informations étaient mauvaises car le niveau de l’eau est à -3 mètres, donc les buissons ne sont pas immergés… Je réfléchis à ce que je veux faire : essayer ou partir ? Et je regarde sur mon GPS : la mise à l’eau du lac découvert la semaine précédente n’est pas si loin, allez je me lance ! Au moins j’ai quelques indices sur les postes qui ont donné des petits dimanche dernier, les gros se seront peut-être réveillés depuis.

Et oui c’est un problème quand le fish ne tient ni dans la largeur ni dans la diagonale du boat !
Pour info le tapis Savagear fait 120 cm de long, ce qui veut dire que chacun des 3 panneaux fait 40 cm, équivalent à la taille de la tête de la bête !!
Mon air ébahi en dit long !

Une succession hasardeuse de décisions

Et me voici donc ce matin pour la deuxième fois, par une succession hasardeuse de décisions face à la mise à l’eau de ce lac de barrage pas spécialement connu pour ses très grands brochets : aucun autre bateau en vue, c’est déjà ça !
Un petit coup de thermique et je me retrouve face à la même bordure que la semaine précédente, à 11 h du matin alors que le réveil m’a réveillé déjà 6 h plus tôt ! Je commence avec une nouvelle canne, mais premier lancé : la tête de ligne s’enroule sur le premier anneau et le leurre casse ! Ca met vraiment de bonne humeur, et je reprends donc ma bonne vieille autre canne, sur laquelle je replace une valeur-sûre : un shad firetiger de 18 cm, équipé d’une palette sous le ventre.
L’animation est ultra simple : je lance contre le bord et je ramène le leurre en linéaire, plutôt doucement. Je m’éloigne plus ou moins du bord pour rester dans une profondeur inférieure à 4 mètres, afin d’être sûr de pêcher efficacement jusqu’au bateau. Et forcément selon la distance je lance plus ou moins en diagonale pour atteindre le bord, rien de compliqué, mais normalement c’est efficace ! J’aborde une pente très douce et je dois m’éloigner au maximum du bord, je n’ai plus besoin de lancer en diagonale j’ai seulement 2 mètres d’eau sous le bateau à 50 mètres du bord. Je suis donc sur un plateau, et je me dis qu’au lieu de lancer au bord je peux lancer au large car je serais sûr de ne pas pêcher au dessus d’une profondeur trop importante.

Ça fait grand, et lourd en plus !

Une secousse comme si je m’étais accroché à une grande branche

Je lance donc au large, et commence à ramener doucement mon shad comme précédemment. Quand arrivé à 5/10 mètres du bateau je ressens une secousse comme si je m’étais accroché à une grande branche élastique, ce n’est pas brutal mais par réflexe je ferre, pas si fort qu’à mon habitude car je ne suis pas encore certain de ce qui arrive. Mais ça bouge au bout de ma ligne et le poisson, car s’en est un, revient vers moi et remonte, et je vois un beau brochet se retourner en surface pour repartir au fond. En quelques secondes je repense au sandre énorme qui a pris mon shad en surface près du bateau et que j’ai loupé il y a 2 semaines car je n’ai pas osé ferrer avec si peu de bannière, et donc cette fois-ci je ferre une nouvelle fois ce brochet pour assurer l’hameçon. Pfff j’ai bien fait, il est encore accroché, et je commence à avoir quelques papillons dans le ventre car en se retournant je me suis aperçu que le poisson était plutôt long, sans doute mon premier brochet métré. Aussi je commence à sentir aussi qu’il y a un beau gabarit de l’autre côté de la ligne car le frein crisse et le rush est anormalement long : environ 10 mètres. Mais je ne brusque surtout pas les choses, seulement quand il commence à ralentir j’en profite pour pomper et le ramener sur quelques mètres, jusqu’à ce qu’il soit à nouveau énervé et qu’il reparte. Il ne le fait pas longtemps et après 3 ou 4 fois il est revenu au bateau, je le lève en surface mais il fait demi-tour juste devant l’épuisette : raté pour cette fois ! Après l’avoir vu à nouveau je commence à me dire qu’il dépasse bien le mètre, peut-être 110cm ?

On voit bien la largeur et la longueur impressionnante !

Même si le poisson est plié il dépasse de mon tapis de réception

Je pompe à nouveau le poisson et la deuxième fois est la bonne : il est dans l’épuisette ! « Wouhou ! » je ne peux m’empêcher de crier tout seul au milieu de l’eau car une chose de sûre : j’ai battu mon record, c’est bien le plus gros brochet que j’ai fait, et en le regardant dans l’épuisette je confirme mon impression : bien 110cm. Je m’affaire dans le bateau, range le plus possible pour enfin empoigner l’épuisette et la soulever pour déposer le poisson au fond du bateau, ouch ! C’est lourd, et c’est long ! L’hameçon simple de la tête plombée est planté dans la commissure de la gueule mais pas si profondément que ça, je peux décrocher à la main, et le shad a disparu. Je n’arrive pas à juger la taille du poisson qui touche les deux bords du fond de mon bateau, notamment car il est plié et bizarrement il dépasse de mon tapis de réception mesurant déjà 120 cm, il y a un problème. Vu le tapis je me dis que le poisson doit osciller entre 110 et 120 cm, ça commence à faire un vrai gros et pour faciliter les photos je vais aller plus loin au bord vers 2 pêcheurs qui me regardent. Après 10 tentatives mon thermique ne veut absolument pas démarrer, j’irais donc à l’électrique et je remets le poisson à l’eau dans l’épuisette pour le traîner quelques minutes afin d’atteindre le bord. Ce sont deux jeunes pêcheurs aux leurres qui sont ébahis devant le fish. Quand je le regarde à nouveau, moi aussi je commence à croire qu’il est vraiment gros. Nouveau déménagement pour enlever tout ce qui traîne au fond du bateau dont mon petit chien qui m’accompagnait et qui est deux fois plus petit que le poisson, puis donne l’appareil photo à mes nouveaux collègues et m’attelle sérieusement à la mesure en étalant le poisson en biais dans le bateau. Et c’est là que j’ai commencé à décoller vers une dimension que seuls les pêcheurs et autres vrais passionnés peuvent connaître : la mesure dépassait les 120 cm alors que je n’avais pas atteint la queue du brochet !! Je me retourne vers sa tête, et demande au pêcheur du bord de bien tenir parfaitement le début du mètre contre le bec. Et en tendant le ruban au maximum le bout de la queue cache à peine le nombre hallucinant de « 132 » : 132 cm !! « C’est fou, c’est ouf, c’est pas possible, c’est hallucinant » a du être une phrase que j’ai répété quelques dizaines de fois durant les minutes qui ont suivies la mesure ! Alors maintenant il faut faire vite et bien car je sais que je ne veux pas de photos ratées pour immortaliser un moment pareil cela serait dommage, mais je dois remettre le poisson à l’eau dans quelques minutes tout au plus car je sais aussi que ce genre de poisson est très fragile. Après un bref essai où ma main a effleuré dans l’ouïe des dents aiguisées de 3 à 4 cm je m’équipe de gants pour retenter les photos, c’est plus prudent. Une série normale la main dans l’ouïe, une série en verticale pour la hauteur, une le présentant de face, je remouille le poisson et enfin une série façon « carpiste » en soutenant bien le poisson des deux mains. Ouf, ça suffira, et je suis très content d’avoir pris en photo quelques centaines de carpes durant les années précédentes pour m’habituer à présenter un tel poisson sans trop fatiguer, et je le remets vite à l’eau. Les heures notées sur les photos m’indiqueront plus tard qu’entre la mesure et la remise à l’eau il s’est écoulé seulement 6 minutes. Elles m’indiqueront aussi qu’entre le moment où je le remets à l’eau et le moment où le poisson repart de lui-même il s’est écoulé 2 minutes, je pense lui avoir rendu sa liberté encore en forme. Pourtant la première minute de la remise à l’eau il ne bougeait plus et je commençais à m’inquiéter, puis il s’est remis à nager mais je le maintenais pour être certain qu’il ne reparte pas trop fatigué, quand enfin il a donné un tel coup de queue que j’ai du lâcher, rassuré sur sa santé !
Je reviens à la vie normale, complètement sonné après cette cure d’adrénaline ou de je ne sais quelle autre hormone qui m’a emmené sur mon petit nuage… Je m’aperçois qu’en fait j’ai un peu paniqué, ce qui ne m’était pas arrivé depuis très longtemps : le moteur est ouvert, les cannes sont sur la berge, mon chien aussi, tout est emmêlé etc.
J’essaie de rallumer le thermique, j’ai encore le souvenir précis de la difficulté à tirer la corde de démarrage étant en train de trembler sous le contrecoup des émotions des instants précédents, et rien n’y fait il ne veut pas … Je prend congés de mes équipiers du moment en prenant leur téléphone pour récupérer les photos qu’ils ont pu faire.

Des dents de 3 à 4 cm, c’est plutôt rare en eau douce française !

Je m’éloigne au moteur électrique, juste pour aller me poser un peu plus loin car je suis bien incapable de faire quoique ce soit d’autre. Ha si, j’allume mon téléphone et appelle les amis qui je pense seront intéressés pour partager ce moment unique. Il est 13 h, je n’ai pas faim, mais je n’ai pas envie non plus de retourner pêcher, je vais donc me forcer à faire ma pause et à manger pour pouvoir attaquer la pêche de nouveau.
Je ne pêche pas sérieusement le carnassier depuis longtemps, cela fait 1 an et demi que j’ai acheté mon bateau et pendant cette pause déjeuner je réalise que c’est extrêmement rare de tomber sur un brochet de plus d’1m 30. Comme le sujet m’intéressait cela fait quelques mois que je recense les photos de grands brochets français, et je n’espérais pas en faire partie si vite d’autant plus que j’en ai trouvé moins de 15 plus grand que le mien ! Cependant j’apprécie d’autant l’instant car c’est ce genre de moment qui vient illuminer les sommes folles dépensées dans le matériel, le bateau et le carburant, les milliers d’heures de traque à racler l’eau avec mes leurres et les milliers de kilomètres effectués pour ça.
Enfin je me pose une question : vais-je être à nouveau motivé pour traquer les grands brochets ? Car depuis tout petit j’adore essayer de prendre les plus gros poissons, du chevesne au brochet, en passant par la carpe dont la recherche des plus gros spécimens a occupé déjà plus de 10 ans de ma vie. Cette expérience avec ces hauts et ces bas me servira sans doute, mais seul l’avenir le dira…

Ce poisson est un rêve, et je ne peux raisonnablement pas tuer un rêve

Bon, ça fait 2 heures que j’ai arrêté de pêcher pour manger, téléphoner et profiter de l’instant, je n’ai presque pas envie d’y retourner, mais je décide de repartir quand même. Je range les cannes, monte des leurres sur les agrafes et pousse franchement le bord du pied pour donner au bateau l’élan d’aller au large, il faut y aller …

Moment M + 4 heures : je reviens à la mise à l’eau au moteur électrique, car je me suis aperçu que le coupe circuit du moteur thermique était cassé, dans la précipitation sans doute … 1 h à 2 km/h au moteur avant, c’est long !

Moment M + 8 heures : de retour chez moi, je suis KO. Physiquement bien entendu, après une journée complète de pêche en bateau on est cuit en général, mais là en plus la tension nerveuse me rend limite apathique. Et je ne touche même pas à mes photos, sans doute j’ai peur de les trier / recadrer car cela figerait ce moment dans le passé et là je veux encore un peu en profiter au présent ! Je me réveillerais le lendemain perclus de courbatures, sans aucun doute la somatisation de ma tension nerveuse de la veille…

Moment M + 5 jours : la facture plutôt salée du remplacement du coupe circuit ne me déprime même pas, je suis encore sur mon nuage, mais je sens qu’il s’estompe petit à petit, le retour à la vie réelle se rapproche …

Précisions sur la capture

Message reçu quelque jours plus tard sur facebook : « j’ai retrouvé un leurre dans l’eau claire, il est à toi ? » Et oui, c’est bien le leurre perdu 15 minutes avant la touche, je l’avais remplacé par le même juste avec une tête plombée de 15 grammes au lieu de 30.
Quitter la version mobile