Pêcher la carpe en plein courant peut sembler un peu loufoque. Mais il faut garder en tête d’une part que la carpe n’a aucun mal à se caler dans les courants les plus puissants, et que d’autre part elle peut y trouver des ressources alimentaires intéressantes…
La pêche hors courant est une pratique si fortement entrée dans les mœurs qu’il semble difficile d’adopter un schéma de pêche différent. Passionné de pêche en rivière, j’ai toujours mis l’accent sur une pêche de contre-courant, en aval des îles, dans les bras mort ou dans les intérieurs de virage. Bref, je priorisais tout ce qui était au calme, à l’abri du courant. Des années plus tard, lors de mes après-midi à pêcher à la mouche les chevesnes, je voyais évoluer de grosses masses sombres en plein courant… L’idée était née. La vérité était à portée de lunette polarisante.
Le cas concret de la Saône
Vous le savez sans doute, la Saône est une rivière lente. Elle s’étire si lentement que les novices ont parfois du mal à deviner son sens d’écoulement en plein été. C’est une rivière avec un régime de plaine qui sillonne paisiblement la campagne et traverse quelques villes. Pour trouver « du jus », il faut souvent se rapprocher de zones où la rivière est étroite, des rétrécissements comme il peut y en avoir en agglomération, comme par exemple en plein centre-ville de Lyon au niveau du quai Saint Vincent ou du Quai Fulchiron. Pour trouver d’autres accélérations du courant, il faut bien entendu se rapprocher des ouvrages hydro électriques. En Saône, en aval des barrages, on peut apercevoir des carpes qui longent frénétiquement les berges pour arracher les moules du fond et dégoter toute une manne qui s’épanouit dans cet apport d’oxygène massif. Même en pleine journée, on peut parfois distinguer des « gros dos » remonter à contre-courant dans 1,5m d’eau. Autant dire que quand l’eau est claire, on les voit très bien. La difficulté de piéger de tels poissons, c’est qu’ils se complaisent à batailler en plein courant. Alors forcément leur proposer des appâts… qui se caleront dans un remous à 150 mètres de là… ça ne sert quasiment à rien. Il faut se creuser un peu les méninges.
100 % du matos dont vous avez besoin
La plombée qui a montré une vraie efficacité n’est autre que le gros plomb de 200 grammes. Mais vous pouvez lui préférer notamment pour une raison écologique la bonne grosse pierre de 300 à 400 grammes que vous trouvez directement sur la berge le jour J. En plein courant, il convient d’utiliser un bas de ligne de minium 50 centimètres, que ce soit en tresse ou en nylon. On peut monter à une taille bien supérieure de bas de ligne. Mais il faut garder à l’esprit qu’un bas de ligne de 80 centimètres devient délicat à lancer. Et jusqu’à preuve du contraire, il n’y a pas de plus-value sur la pêche entre un bas de ligne long de 50 cm et un bas de ligne très long de 80 cm. En revanche on sait que plus le courant sera fort, plus il y aura de chance que l’appât de cale dans des interstices de grosses caillasses de fond. On optera souvent pour une présentation de l’appât en bonhomme de neige afin de décoller un peu notre proposition du fond. Dans ce genre de pêche, typiquement on procédera à des rappels et on n’hésitera pas à relancer sa canne. On sera bien entendu partagé entre l’absolue nécessité de discrétion et l’impérieuse obligation que le montage soit pêchant. Ce qui doit être préparé coûte que coûte, ce sont des bas de ligne de rechange car en pêchant des postes aussi atypiques, balayés par le courant, on rencontre de drôles de surprises au fond des eaux. Et si le nombre de touches est satisfaisant, il a son corolaire de déconvenues sous forme de casses la plupart du temps.
Canne haute pour éviter les débris
Bien entendu on dispose ses cannes de manière à ce que le moins de débris possible soient pris dans les bannières. On attaque en disposant ses cannes en direction du ciel, ce qui nous évitera d’attraper dans nos lignes un paquet de choses dérivantes en surface. Quant aux débris entre deux eaux, on n’y échappera pas. Ceux qui détestent relancer leurs cannes souvent sont dans une impasse. Des deux maux il faudra choisir le moindre. Relancer régulièrement ! Pêcher en plein courant implique quasiment obligatoirement de pratiquer une pêche active et de faire des relances et des rappels. C’est à ce prix que votre montage sera efficace et que votre coup sera attractif. Privilégiez plutôt les appâts lourds. Un nuage de particules fines ou de micro graines se perdra complètement dans les eaux tumultueuses. Concrètement des bouillettes de 24mm entières ou coupées en deux et propulsées à la fronde sont une bonne base. Les demi-bouillettes sont censées se caler un peu mieux au fond. Et en termes de graines, idem, il peut être utile de privilégier les plus lourdes, je choisis de très grosses noix tigrées que je fais venir d’Espagne directement. C’est vraiment le top. Et le gros avantage par rapport à de la bouillette, c’est qu’on peut relancer 20 fois de suite son montage sans que l’appât ne soit altéré. La noix tigrée est une besogneuse qui fait bien son taf !
L’expérience des courants du Rhône
Le fleuve Rhône ne propose pas un linéaire lisse et canalisé. De Lyon à la Camargue, on rencontre quantité de canaux au courant vif et de zones non draguées. Autant de configurations qui donnent un avantage a ceux qui savent d’un coup d’œil lire les courants de surface. Le cas le plus récurrent et le plus facile à pêcher, consiste à exploiter les trous accessibles depuis la berge. Des trous de bordures balayés par un puissant courant sont des lieux visités par les carpes. Si une portion de fleuve atteint 5 mètres de profondeur moyenne, on peut rencontrer certains chenaux naturels et autres petites fosses de bordures qui atteignent 6 à 8 mètres, parfois creusées à seulement 10 mètres du bord. Ce sont des endroits d’accélération du courant, mais aussi de dépôt de nourriture au fond de ces cuvettes naturelles. A l’inverse et indépendamment de la profondeur, on peut exploiter les bordures rocheuses en extérieur de virage. Ce sont des autoroutes à poissons totalement oubliées des pêcheurs de carpes. La raison ? C’est que bien souvent ce ne sont pas des bons postes de tenue. Les lieux calmes où séjournent les carpes sont typiquement sur un poste de tenue 200 m en aval, voire sur un autre 1 km en amont. Mais ces zones de bordures intermédiaires sont des spots très visités. Les carpes viennent y arracher une nourriture abondante sur un fond balayé par le courant qui favorise le développement de toute une faune aquatique : dreissènes, corbicules, mollusques… Si on imaginait seulement le nombre de carpes de plus de 15 kilos qui fréquentent ces bordures rocheuses ou ces mini fosses tous les jours…
L’exemple des rivières à moyen gabarit
Sous les barrages, en plein bouillon on aperçoit souvent des barbeaux qui sautent. Cela nous donne une bonne indication de la faculté qu’ont les poissons à jouer aisément avec les courants puissants ! Tous les poissons de fond sont « au cul des barrages », du silure à la carpe en passant par les tanches. Il n’y a donc aucune raison objective de ne pas pêcher à proximité immédiate de ces grandes zones d’écoulement rapide. Mais nous avons déjà évoqué le cas en citant les barrages de la Saône en préambule ; voyons maintenant d’autres configurations à succès. En Loire, les poissons sont très réceptifs à des amorçages sur le tombant des radiers, mais aussi en plein dans la veine d’eau ! J’ai réalisé quelques pêches sympathiques en ciblant les zones de tirant d’eau maximal et en amorçant parfois jusqu’à 100 mètres au-dessus car j’avoue qu’il est assez difficile de savoir exactement comment votre amorçage va « tapisser le fond ». Et plus l’étiage approche, plus l’activité est dans la veine de courant. En plein mois d’août, ne tergiversez pas, pêcher la carpe en plein courant ! Pour aller plus loin dans l’argumentaire, je citerai enfin une rivière du sud-ouest assez délicate à pêcher. J’ai du sessionner environ 5 fois sur cette rivière sans avoir encore de grande certitude sur la manière de pêcher. Mais lors de ma dernière session, j’ai fouetté mes cannes en plein courant, dans une eau montante, qui devenait marron après les orages. Je procédais un peu par dépit. C’est à ma grande surprise en pêchant avec de gros plombs en plein courant et en relançant les cannes toutes les heures que j’ai fini par rentrer plus de poissons qu’en pêche dites « classiques » d’obstacles, d’herbiers ou de bordures. Et enfin, globalement sur cette rivière, il est très intéressant d’exploiter la partie des biefs qui est la moins profonde et qui correspond souvent aux premiers 100m voire 200m sous un seuil. Ce sont des zones moins creusées, avec un courant plus soutenu, une grande oxygénation et une belle richesse alimentaire. Voici donc les deux « config plein bouillon » qui ont fonctionné pour moi.