La pêche aux leurres est bien la dernière technique ayant suscité un réel engouement chez les pêcheurs. Alors qu’ils regardaient d’un œil avide nos amis carpistes faire leur révolution avec du matériel technique, les pêcheurs de carnassiers, insatiables curieux et collectionneurs, eurent enfin leur moment, celui où leur pêche fut mise sur le devant de la scène et ceci se passa au tout début des années 2000.
Dater l’évolution française de la pêche aux leurres est une gageure que peu se risquent à tenter. Certes c’est vers les années 2000 qu’elle s’affirma, mais on trouvait déjà quelques leurres US dans les boites des pêcheurs bien avant. Mon beau père qui n’est pas un fan de leurres possédait pourtant un spinnerbait dans sa boite de cuillères dès 1994, je dis possédait car il n’a jamais voulu pêcher avec ! Puis en quelques années les leurres envahirent le marché, on découvrit le Japon comme modèle absolu et sa multitude de leurres techniques devint une nouvelle quête du Graal pour le pêcheur français.
Retour au 20ᵉ siècle
En ces temps de simplicité ne coexistaient dans les boites à cigares qui nous servaient à ranger nos cuillères que deux ou trois modèles. Les pêcheurs de brochets avaient leur Lusox et leur Syclops, les pêcheurs de truites et de perches leur Aglia, et Mepps dominait outrageusement le marché où Suissex et Rublex tentaient de vivre.
Rapala était bien présent sur les étals de nos détaillants, mais ces poissons nageurs si bien finis étaient si chers et guère plus efficaces que le reste selon la pensée du moment. On regardait curieusement ce crank, ce lipless, en se demandant comment ça pouvait attraper un poisson ?
Vint le moment du boom du leurre souple, je devais avoir une quinzaine d’années et les années 80 atteignaient leur apogée. En moins d’un an, le seul Twist écrasa tous les autres leurres et s’imposa partout. Il faut dire à sa décharge qu’il n’était pas cher et qu’une tête plombée s’accrochait moins qu’un triple de cuillère. Ce fut aussi parallèlement le boum du sandre qui après le manié et la tirette se découvrait un attrait pour ce bout de plastique frémissant et ondulant.
Clap de fin durant quelques années sur les innovations avec ces quelques leurres simples, efficaces alors que les pêcheurs français se découvraient carpistes modernes. Durant un temps ce ne fut qu’innovation dans le domaine des rod-pods, des montages cheveux et des moulinets débrayables ! On pêchait encore beaucoup le carnassier mais le retour en grâce du manié et de la tirette oblitéra pour quelque temps encore le leurre.
La fracassante entrée des leurres US
Nos amis américains, pragmatiques et innovants, se dirent enfin que le marché européen de la pêche des carnassiers pouvait se développer et l’on vit arriver des dizaines de variétés de leurres souples, comme le slug, le Senko, le worm, des shads avec des fentes pour être armés en texan… Tous des leurres imaginés pour le black bass mais qui portés par une poignée de pêcheurs français innovants arrivaient à susciter de l’intérêt.
Parallèlement une marque française nommée Delalande fut un déclencheur dans la pêche aux leurres des carnassiers et proposa quelques modèles phares dont le fameux Sandra qui restera dans toutes les mémoires.
On vit enfin arriver la quasi-totalité du catalogue Rapala et le crank fut l’un des premiers leurres high tech à venir s’accrocher à l’émerillon JB des pêcheurs d’alors. On découvrit que ce leurre était efficace mais dieu qu’il était difficile à ramener avec nos cannes de l’époque qui pliaient alors jusqu’à la poignée. L’offre Rapala était pourtant importante mais peu adaptée au marché français et seuls quelques modèles comme le Countdown ou le jointed trouvaient grâce aux yeux des premiers amateurs de leurres durs.
La déferlante japonaise
Le 21ᵉ siècle arriva et une marque française senti le vent tourner et décida d’investir dans la pêche au leurre. Ce fut la marque Sensas qui en 2001 créa sa sousmarque Illex, importatrice des leurres japonais Jackall, Ultimate fishing venait de naître et importait alors seulement Megabass et Duo pour une poignée de passionnés. Puis en 2005 ce fut au tour de Sert de créer Sakura et de distribuer partout en France les leurres Sébile et River2Sea. Ce fut alors le vrai début d’une pêche aux leurres technique et accessible qui déclencha une véritable passion qui ne s’est pas encore éteinte.
Dans ces années-là, chez un détaillant sérieux on trouvait à coup sûr du Rapala, du Sébile, du River2Sea et du Lucky Craft. Pour les autres marques il fallait chercher et se rapprocher des côtes où la pêche au leurre s’était déjà bien établie auprès des pêcheurs de bars.
Un usage démocratisé des leurres les plus pointus
C’est donc du côté des pêcheurs en mer qu’arrivèrent les premiers leurres durs tels que les stickbaits et leur fameuse animation en walking the dog. Dès lors les jerkbaits à bavette s’essayèrent avec succès en eau douce et le fameux Pointer de Lucky Craft orna nombre de mâchoires de brochets. Le leurre souple fut presque en disgrâce et condamné aux boites des débutants dans ce qui se voulait alors comme la pêche la plus technique. Le spinnerbait réussit son implantation grâce aux pêcheurs de bass du sud-ouest et il supplanta un temps la cuillère classique mais depuis on trouve également des spinnberbaits pour la pêche du brochet.
On assista alors à une évolution du leurre dur parallèle à celle des cannes. La course à l’armement était lancée et désormais il fallait absolument que le pêcheur s’équipe de plusieurs cannes aux actions spécifiques ce qui fut là aussi un grand changement de mentalité. Le prix des cannes s’en ressenti, le prix des leurres aussi et les pêcheurs ne rechignaient plus à investir une vingtaine d’euros dans un leurre. Vous leur auriez dit ça dix ans avant ils vous auraient rigolé au nez ! Durant un temps ce fut donc le leurre dur qui vola la vedette et tout le monde ou presque succomba à ce fol besoin de collectionner les poissons nageurs.
La révolution verticale
Comme tout mouvement crée son contraire, face aux leurres durs et au power fishing, une technique redoutable d’efficacité et d’une approche totalement novatrice vint remettre au premier plan le shad oublié. En effet, celui-ci était tombé en disgrâce et seuls quelques férus de techniques US l’utilisaient en texan ou en linéaire avec réussite. La verticale déferla sur la pêche aux leurres et emmena avec elle un type de canne et surtout la tresse. Sans la verticale, peu de pêcheurs en eau douce seraient passés à la tresse. Celle-ci permet un meilleur contrôle du leurre, et grâce au shad la quatre brins puis la huit brins s’imposèrent à tous. Les têtes plombées firent aussi leur révolution française avec de nouvelles formes, les attractants arrivèrent et nos shads en profitèrent pour faire peau neuve. Désormais les coloris étaient plus subtils, les matières plus tendres ou toniques, les formes plus proches du réel et surtout tout shad se devait d’être aromatisé d’attractant, gavés à cœur pour certains !
Ce fut une nouvelle révolution, après les leurres durs, vinrent les nouveaux leurres souples où l’hégémonie de la forme shad dura près de 10 ans face à la forme grub. Là encore les marques techniques comme Sawamura eurent la partie belle avec une mise en avant de leur efficacité. La marque US Berkley, très au fait des attractants et des formes innovantes vint chercher chez nous un certain Sylvain Legendre, pêcheur de talent qui offrit à cette marque deux légendes chez les shads : Le Pulse et le Ripple.
La compétition, verticale, street et power fishing
Toutes ces innovations ont eu aussi la chance d’avoir un vecteur de communication efficace. Non ce n’était pas Facebook qui balbutiait encore aux Etats Unis mais les blogs et la compétition. En 2007, l’AFCPL pris son rythme de croisière et dans son sillage embarqua nombre de pêcheurs de talents. On vit alors régulièrement les premiers bass boats, le matériel casting, les sondeurs perfectionnés et bien entendu les leurres. Chaque marque mit un point d’honneur à soutenir une équipe de compétiteurs qui mettait en avant ses leurres de plus en plus nombreux et diversifiés. Plomb palette, Jigging Rap, lames vibrantes, cuillers à jigger, tailspins, drop shot, traction, etc. Grâce aux magazines et aux blogs, la pêche au leurre s’est imposée comme la nouvelle référence et bien entendu ce marché porteur a favorisé l’émergence de nouveaux leurres.
L’arrivée des leurres scandinaves et le retour en grâce de la ferraille
C’est du côté de la Scandinavie que se sont alors tournés tous les regards. Là-bas, la pêche du brochet et des autres carnassiers est très développée et les créations de leurres y vont bon train. L’arrivée sur le marché du Buster Jerk mis en lumière ces leurres nordiques si efficaces sur notre brochet. Les marques Savage Gear et Westin se sont depuis imposées avec des créations bluffantes de réalisme. Ces marques nous ont imposé le big bait, un leurre qu’Illex avait tenté d’implanter sans grand succès dix ans auparavant avec son modèle Freddy, imaginé en France.
S’il est bien une famille de leurre qui n’a guère évolué depuis ces années 2000, c’est bien les leurres métalliques. Les lames, les tailspins ou les spinnerbait existent depuis des lustres à l’étranger. Les seules innovations techniques marquantes concernent les peintures plus résistantes ou une tentative de réalisme plus poussé dans les formes des têtes de spinnerbaits ou de buzzbaits . Reste quelques leurres oubliés comme les devons qu’un fabricant nous ressortira bien un jour et nous vantera sa grande nouveauté.
On pêche depuis des lustres avec des ondulantes chausse pieds en Scandinavie et en Irlande, peut être est-ce le leurre de la prochaine décennie ?
Les dernières tendances
De nombreuses pistes sont étudiées par les fabricants et tous se tournent vers l’hyper réalisme des coloris en 3D, les couleurs sensibles aux UV, les attractants à base d’acides aminés et d’autres choses encore. Certains leurres tels que le Wopper Plopper de River2Sea qui a marqué l’année 2017 ne sont pas de réelles innovations mais la reprise de leurre ayant déjà existé. Il semble que l’on se dirige vers de nouveaux leurres alliant la capacité de nage des leurres durs en ABS entourés d’une peau souple au décor hyper réaliste et à l’attractant incorporé. Mais qui sait, le leurre qui marquera le 21ᵉ siècle est peut-être déjà en train d’être bricolé par un inventeur dans son garage !
Le jargon des leurres
Vous l’aurez constaté il n’y a pas un poisson nageur, mais des variétés de poissons nageurs qui possèdent un nom anglais composé le plus souvent d’un préfixe qui indique l’action suivie du suffixe «bait » qui veut dire appât ou leurre. Ainsi le jerkbait est le leurre qui se secoue, le buzzbait est le leurre qui vrombit, le crankbait est le leurre à mouliner… Etc, etc.
De même pour les leurres souples le nom anglais se rapporte à la forme, un grub imite une larve, un worm un ver, un shad une petite alose et un slug une limace. Quant aux leurres métalliques c’est le mot spin (tournoiement) qui les nomme avec spinnerbait qui est l’appât à palette tournante, tailspin qui est une palette en queue, inline spinner qui est notre cuiller tournante.