Impact des gros amorçages sur les carpes et leur milieu

Impact de l’amorçage sur l'eau et les carpes
cette carpe (toujours en vie à l’heure où j’écris ces lignes) pesait 31 kilos au moment de la photo, et 33 kilos à l’heure actuelle. Elle survit et grossit avec cette hernie immonde depuis plus de deux ans

« Amorcez chers carpistes, amorcez !!! Achetez des billes ! Des tonnes de billes ! Bennez, poudrez, bombardez ! Faites fumer le cobra ! » L’amorçage joue bien sûr un rôle essentiel dans notre pêche. Mais les tonnes de billes déversées chaque année dans nos eaux françaises sont-elles vraiment saines pour l’écosystème ? Au fond, qui se préoccupe de l’innocuité de nos appâts ?

Nos bouillettes sont composées de farines animales et végétales, et de liquides dont la composition est secrète et parfois vraiment douteuse. Et comme tout aliment, nos billes pourrissent. Je vais vous faire part de nos observations, et de celles de nombreux autres pêcheurs. Nos plongées dans les lacs surpêchés ont révélé un phénomène inquiétant : les bouillettes qui ne sont pas mangées finissent par créer un dépôt nauséabond sur le fond de l’eau. Sous ce dépôt : aucune vie ne se développe, contrairement à ce que l’on pourrait penser.

cette carpe ballonnée a littéralement explosé !

Pourrissement de l’eau

Mais il y a en réalité deux phénomènes différents, selon que la bouillette ait été roulée avec ou sans conservateur. Sans conservateur, les bouillettes moisissent assez vite. Les bactéries aquatiques jouent leur rôle : le début de la décomposition est marqué par l’apparition de filaments blancs (bactéries agglutinées) et par la suite, les bouillettes se délitent en une bouillie dégueulasse, qui ferait même gerber un asticot ! Même les animalcules ne trouvent pas leur compte dans cette soupe bactérienne, et désertent souvent les lieux. Autre cas, la bouillette comporte des conservateurs et des antifongiques. Là, les choses sont encore pires. Les bouillettes ne sont pas dégradées rapidement par les bactéries, et restent des jours voire des semaines dans le même état. Or, au bout de seulement quelques temps, l’hydrolyse du milieu naturel va finir par avoir raison des protéines qui constituent votre bouillettes (souvent plus de 30 % du poids total, c’est-à-dire 10 % de plus que dans le bœuf ou le poulet). Les protéines qui se dégradent créent de l’ammoniac à haute dose, et cela rend le fond de l’eau toxique. Même lorsque les acides aminés ne rentrent pas dans un cycle métabolique (d’une bactérie ou d’un animalcule quelconque), le groupement amine (NH2) des acides aminés (constituant les protéines) est hydrolysé en NH3 (de l’ammoniac, très toxique sous sa forme libre). En plus, l’ammoniaque (ammoniac sous sa forme aqueuse) a un pH très basique (11,6 – comme l’eau de javel), et cela a tendance à créer un terrain très fertile pour les algues vertes filamenteuses, qui ont besoin d’azote. Bref, oubliez ce charabia : ça pourrit les spots !

Un superbe poisson

Ceci est très théorique bien sûr, car des bactéries entrent malgré les conservateurs dans le processus de dégradation. Mais vous voyez où je veux en venir. Bref. Dans les deux cas, les nutriments constituant les bouillettes (et parfois aussi les graines, voir encadré) semblent ne plus intéresser le moindre invertébré au bout de quelques jours, dès que la bouillette se met à se décomposer. Et les résidus sont d’autant plus épais que l’amorçage est gros, et que la pression de pêche est grande ! Lorsqu’il s’agit d’une tache de 10 m² dans 2000ha d’eau, ça ne pose aucun problème, parce que la nature a le temps d’éliminer la nuisance. Mais dans une bassine de 10ha matraquée 24 heures sur 24, il ne faut pas s’étonner des conséquences. D’ailleurs, quelles sont les conséquences pratiques à long terme ? Sans être sûr à 100 %, on peut logiquement les imaginer : une dégradation du milieu, certes pas aussi grave qu’une pollution directe aux hydrocarbures ou aux produits chimiques, mais une dégradation quand même ! Et les carpes sont forcément impactées par cette dégradation, même si elles ne mangent pas ces appâts ! Mais, justement que se passe-t-il lorsqu’elles les mangent ?

Et les graines dans tout ça ?

J’ai remarqué que les graines (comme le maïs et les tigers) sont à peine avantagées par rapport aux bouillettes, en ce qui concerne les moisissures en milieu aqueux, mais un peu avantagées quand même. D’abord, les graines sont souvent victimes des poissons blancs avant de moisir, ce qui n’est pas toujours le cas des bouillettes en raison de leur trop gros diamètre. Ensuite, les moisissures des graines ont tendance à flotter. Tous ceux qui ont gardé un seau de maïs trop longtemps à la maison s’en sont rendu compte. Enfin, lorsque les graines évoquées se dégradent, elles ont tendance à prendre la couleur de la vase et à pourrir plutôt qu’à moisir…

Alimentation des carpes et obésité

De nos jours, quelle est l’espérance de vie d’une carpe dans un plan d’eau impacté par la surpêche ? En moyenne ? 15 ans ? 20 ans ? Moins ? Nos carpes ont une croissance folle, rapide, mais elles meurent assez jeunes, non ? Dans les années 80-90, on prêtait aux carpes une espérance de vie de 30 ans au moins, et certains carpistes parlaient même de sujets atteignant les 50 ans. Que s’est-il donc passé ? Les souches de carpes ont évolué, me répondrez-vous. C’est une certitude. Les souches modernes ont un potentiel de croissance fort, et surtout une vitesse de croissance hallucinante. Mais elles sont aussi très résistantes. Donc on ne voit pas pourquoi leur espérance de vie serait plus faible ! Il n’y a que la surpêche qui explique cela ! (Et la pollution de l’eau !)

Quand, au beau milieu de la saison, on retrouve une grosse carpe morte sur le bord, on s’en émeut et très vite, on accuse (légitimement) la surpêche d’en être responsable. Mais quel aspect de la surpêche aura eu raison de ce poisson trophée ? On incriminera une mauvaise manipulation, une séance photo trop longue, les captures à répétition. Et dans les petits plans d’eau, ce sera souvent la faute à Pierre ou à Paul. Mais se pose-t-on jamais la question de l’alimentation des carpes, de ce que nous leur donnons à manger ? Leur ration quotidienne de bouillettes ne peut-elle pas expliquer aussi ces morts brutales ?

Un autre poisson superbe ! Mais selon vous, lequel de ces deux poissons est victime de la surpêche et de la suralimentation ?

Regardez nos bœufs de gravière, avec leur bide énorme (qui nous fascine d’ailleurs, soyons honnête). Leurs mensurations font un peu penser à celles des bodybuilders pros, dopés toute l’année aux stéroïdes et parfois même gonflés au Synthol (l’huile injectable dans les muscles, pas l’antiseptique). S’ils peuvent fasciner par leur physique démesuré, leur santé est souvent précaire. Ces athlètes meurent parfois jeunes (ou très jeunes), car ce qu’ils s’injectent n’est pas sans danger. Et pour ceux qui font des vieux os, ils ont tous des problèmes physiques et physiologiques. Certains sont même victimes d’un phénomène qui s’appelle le « bubble gut », c’est-à-dire un ventre musclé, mais ressemblant à une bedaine d’obèse, notamment en raison de facteurs hormonaux. Un peu comme nos carpes, même si les causes sont bien différentes. Mais comme pour le bodybuilding : ce que nous, carpistes, injectons dans le milieu aquatique n’est pas sans danger. Et nos carpes sont un peu victimes de « bubble gut » (les amateurs de muscu apprécieront !)

Carpes ballonnées

Les carpes ballonnées sont de plus en plus nombreuses à cause de la surpêche. La plus grosse miroir française en eaux publiques est l’une de ces carpes malades (41kg et des brouettes). On a souvent assisté à de nombreuses explications pour ce phénomène, mais pour nous, une seule tient. La nourriture artificielle en excès crée chez certaines carpes une obstruction de l’intestin, puis une inflammation. Cette inflammation atteint les ovaires des carpes femelles et les empêche d’expulser leurs œufs. Les ovaires et les tissus victimes d’inflammation créent ce ventre énorme, qui peut dans certains cas provoquer une hernie (voir photo 1), voire une « explosion » (voir photo 2). Dans tous les cas, cela engage le pronostic vital du poisson… pas top !

Des déformations pour nos carpes

Les déformations persistantes (à l’année) du ventre des carpes en est le symptôme, et les carpes ballonnées, le symptôme le plus consternant. L’obésité de ces poissons témoigne de leur mauvaise santé. Pour un humain, à partir d’un certain poids, on parle d’obésité de type III. Cette obésité était autrefois appelée obésité massive, ou morbide. C’est dire à quel point elle engage la santé de celui qui la subit ! Et sans poser de diagnostic vétérinaire (dont je serais bien incapable), j’ai quand même parfois l’impression que nos carpes sont dans ce cas d’obésité morbide, avec tous les problèmes que cela peut engager. Les carpes aussi ont un cœur, des artères, un foie, des intestins. Bref, des organes directement impactés par la nutrition. Leur cœur peut s’arrêter, leurs artères se boucher, leur foie faire une cirrhose graisseuse, et leur intestin s’obstruer (la preuve, avec les carpes ballonnées, voir encadré ci-dessus).

Des appâts ! En veux-tu en voilà !
Super efficace ! Mais 1 million de calories !

La nutrition est devenue une obsession dans nos sociétés, pour des questions économiques bien sûr, mais aussi parce que nous nous sommes rendu compte qu’une bonne nutrition est synonyme de bonne santé. Et cela se vérifie aussi dans notre discipline. D’ailleurs, les fabricants de bouillettes font de plus en plus d’efforts dans ce sens. Mais les bouillettes auront beau être bien équilibrées sur le plan nutritionnel, le fait d’en engamer des kilos et des kilos dévient forcément néfaste. Lorsque l’on constate des mortalités importantes (virémie printanière, par exemple), on se dit que c’est un phénomène naturel et cyclique. Pourtant, je ne peux m’empêcher de penser que cette sensibilité aux maladies s’explique aussi par une mauvaise nutrition, ou par un apport calorique trop important (ce qui revient au même). Cet apport vient des pêcheurs de loisir, de nos appâts. Vous aurez remarqué que de plus en plus d’AAPPMA prennent la décision d’interdire la pêche à la bouillette, pour les raisons évoquées. Et ça ne me plaît pas de le dire, mais dans certains plans d’eau, c’est peut-être une bonne idée, quand on voit les kilos de billes déversés !

les invertébrés, eux aussi, délaissent les zones de pourriture

Conclusion

Comme toujours, c’est une affaire de dosage, de juste mesure ! La bouillette est un appât formidable. En soi, elle ne pose pas de problèmes. C’est son utilisation par de trop nombreux carpistes dans les espaces confinés qui peut poser problème. Je n’ai parlé que des bouillettes, mais je pense que l’on peut faire un constat similaire avec les farines et les pellets s’ils sont utilisés en excès. Bref ! N’amorçons pas trois tonnes si ce n’est pas nécessaire ! D’ailleurs, si vous nous suivez un peu dans la presse, vous remarquerez que nous ne prônons les amorçages lourds que dans de très rares cas, et que nous leur préférons largement la pêche au spot !

Les problèmes ne commencent qu’avec la nourriture artificielle ! Et rares sont les carpes qui n’ont que de la nourriture naturelle à se mettre sous la dent !

 

 

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