Les carpodromes obtiennent un franc succès auprès d’une nouvelle génération de pêcheurs au coup qui trouvent dans ces plans d’eau de beaux poissons plus faciles à prendre que dans des lacs et étangs sauvages. Ici le temps consacré à la pêche peut aller d’une heure à une journée, avec la certitude de ne pas « faire capot ». Pour cela les pêcheurs au coup ont développé leur technique tout en adaptant leurs matériels. Rencontre avec l’un des meilleurs spécialistes de la discipline, Gérard Trinquier.
C’est à l’occasion du tournage d’un film pour Seasons (la pêche au coup des spécimens) que j’avais donné rendez-vous à Gérard au carpodrome d’Aubignan. La première question qui se pose au pêcheur lorsqu’il vient pêcher dans une pêcherie est de savoir choisir le bon poste et le matériel adapté au parcours … Lorsque je suis tout seul, plusieurs facteurs sont à prendre en considération : la nature des berges, le vent, les différentes inégalités de la bordure, la présence d’une île ou de roseaux… Ce que je recherche en priorité c’est l’endroit où se tiendraient les carpes de façon naturelle, ou bien je m’installerais sur un passage pour les intercepter.
Si je ne connais pas le plan d’eau, ou si d’autres pêcheurs sont déjà en poste je glane des renseignements auprès du propriétaire afin d’optimiser au maximum le choix du poste et ne pas pêcher au hasard… Mon poste d’aujourd’hui se situe dans un virage avec la possibilité de pêcher plusieurs coups différents en fonction de l’humeur des poissons. Dans ce virage, l’angle de pêche est de 270° et il sera facile de tester plusieurs amorçages afin de voir lequel est le plus efficace.
Gérard installe sa station sur son poste, prépare ses appâts, monte sa canne et choisit sa ligne. J’en profite pour lui poser quelques questions.
Tu pourrais nous rappeler la genèse de l’approche de la carpe au coup. J’ai le souvenir que les cannes, voici encore une dizaine d’années, ne pouvaient pas rivaliser avec des poissons aussi puissants !
Pour appréhender la pêche de ces gros poissons, il a fallut modifier de nombreux paramètres. Fort de ton expérience en la matière, tu as bien compris que nous ne pouvions pas utiliser les mêmes cannes pour prendre des carpes que pour pêcher des gardons de 200 grammes ou des brèmes et des barbeaux de 3 kilos. Maintenant ce sont des poissons de 15 à 20 kilos que nous sommes venus chercher. Chose qui nous semblait semblait impossible il y a encore plusieurs années, ce type de pêche étant réservé à la pêche de la carpe en batterie.Rappelle-toi nos discussions sur le sujet lors des grandes épreuves sur le Vidourle pour le « Mondial pêche » à Aimargues.
Je m’en souviens très bien. Laurent Jauffret avait le même optimisme que toi. Donc il a fallut augmenter le diamètre du fil au risque de « péter » les cannes puisque si, techniquement parlant, on augmentait le diamètre du nylon il fallait aussi augmenter la résistance de la canne sinon bien sûr c’est elle qui casserait. J’ai quelques souvenirs mémorables et coûteux sur ces casses à répétition !
Tu as raison. A l’époque, les techniques de construction des cannes en carbone ne permettaient pas d’envisager cela. Donc les fabricants ont modifié les matières composites pour obtenir une fibre carbone souple et résistante répondant à nos besoins.Les premiers a envisager cela ont été les Italiens. Mais la fabrication de la canne n’est qu’un élément. Certes non négligeable, mais il n’est pas le seul.
Dans les faits lorsque l’on pratique cette pêche au coup des gros poissons, on met en œuvre quatre éléments :
- un hameçon
- un nylon
- un élastique
- une canne
Et pour avoir une résistance maximum il faut que ces quatre éléments travaillent ensemble et dans l’ordre dicté précédemment. Du plus petit jusqu’au plus grand. Si l’un des éléments est plus puissant que le suivant, c’est l’élément suivant qui cassera. « Il faut donc que le nylon soit plus solide que l’hameçon et non pas l’inverse ». De même il faut que l’élastique soit plus puissant que le nylon, mais moins puissant que la canne. Ainsi c’est le maillon faible qui sert de fusible sur une prise indomptable, ou si le pêcheur est trop pressé ou s’il utilise à mauvais escient son matériel.
En imaginant que le nylon soit plus puissant que l’élastique… l’élastique ne jouera pas son rôle et il est bien possible que ce soit le scion qui casse… ou pire un élément de la canne… Souvent j’entends dire… « On m’a dit qu’il y avait de gros poissons, je vais pêcher en 30/°° ».
Erreur fatale car avec du 20/°° on sortira plus facilement de beaux poissons en toute sécurité, même en prenant son temps, alors que dans le cas contraire, avec un nylon plus fort, c’est un des trois autres éléments qui cassera : soit l’élastique, soit l’hameçon, soit la canne ! C’est un choix, certes… mais c’est un mauvais choix si c’est la canne !
La théorie du maillon faible… j’aime assez ce théorème ! Alors, d’après toi, quelles sont les données techniques pour choisir une bonne canne ?
Dans le cas où le maillon faible ne joue pas son rôle, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise canne. Il faut absolument respecter la hiérarchie des forces et des résistances sinon une canne cassera comme du verre. D’ailleurs si un jour cela doit casser, cela casse net, quelques centimètres au-dessus d’un emmanchement. Ceci s’explique par la conicité de chaque élément. Chaque emmanchement de la canne est en forme de cône puisque du scion qui fait quelques millimètres de diamètre il faut arriver au talon qui fait 5 ou 6 centimètres. Donc il y a bien une conicité obligatoire pour obtenir ce résultat.
Je résume : c’est la conicité des éléments qui permet de les emboîter les uns dans les autres. En action de pêche sur la prise d’un poisson, la canne travaille en traction alors que par définition le carbone n’est pas souple puisque tu viens de nous montrer qu’il cassait comme du verre !
C’est aussi cela qui est extraordinaire, puisque normalement le carbone, n’est pas fait pour cela ! Et pourtant la courbure de la canne permettra de compenser les rushs des poissons « à condition que le pêcheur ait bien respecté la théorie du maillon faible ». Ceci est d’autant plus vrai que désormais les trois éléments (hameçon, nylon, élastique) sont de plus en plus performants en résistance ou en élasticité. Et cela n’est pas toujours une bonne chose pour la canne !!!