La vision des poissons est un sujet qui revient souvent chez les pêcheurs. En effet, chez l’Homme, c’est un sens particulièrement aiguisé et nous avons besoin de comparer ce que l’on voit et ce que perçoivent les poissons. Le sens de la vue est particulièrement développé chez les salmonidés et la truite. Voyons ensemble comment la truite perçoit son environnement par la vue et notamment sa capacité à voir l’invisible pour nous : les Ultra-violets, autrement dit les UV.
Qu’est-ce que la lumière UV
La « lumière » est un rayonnement électromagnétique visible. L’être humain perçoit un large spectre de rayonnement électromagnétique, dont la longueur d’onde se situe entre 380 et 780nm (nanomètres). On appelle cela le « spectre du visible » ou « spectre de la lumière visible ». Il va des fréquences de longueur d’onde de 780nm (nanomètres) en rouge, vers des fréquences de longueurs d’onde 380nm qui tend vers le violet.
De part et d’autre de ce spectre, on trouve d’autres rayonnement lumineux (ou non), les infras rouges et les ultra-violets mais qui ne sont pas dans le champ du visible pour l’humain. La lumière ou rayonnement ultra-violet, qui nous intéresse ici est donc une « lumière » qui ne nous est pas visible. On l’appelle aussi d’ailleurs la « lumière noire ».
En revanche, elle l’est pour la truite. Nous allons d’ailleurs voir que cette perception de la lumière UV évolue chez la truite suivant son âge.
La vision des truites
Pour comprendre la vision des truites, intéressons-nous à la façon dont nous les humains voyons. Chaque longueur d’onde d’un rayonnement magnétique correspond à une couleur. Comme il y a une infinité de longueurs d’onde, il y a une infinité de couleurs !
L’œil est un organe récepteur qui perçoit une image projetée sur la rétine, le fond de l’œil. La rétine est un capteur tapissé de cellules nerveuses qui sont photosensibles ou photoréceptrices. Il y a celles sensibles à la couleur, ce sont les cônes, et celles sensibles à la clarté (intensité lumineuse) les batônnets.
Pour voir en couleur, il faut une quantité importante de lumière. Par faible luminosité, ce sont les bâtonnets qui prennent le dessus mais ne permettent pas de distinguer les couleurs (seulement une image en noir et blanc). C’est pour cela que « la nuit, tous les chats sont gris… »
Intéressons-nous aux cônes. L’être humain ne possède pas une rétine tapissée de cônes pour chaque couleur, il y en une infinité ! Il n’en possède que de 3 sortes (565nm, rouge, 535nm vert et 440nm bleu), qui permettent de percevoir des longueurs d’onde bleues, vertes et rouges. C’est le cerveau qui ensuite mélange les couleurs perçues pour nous donner une image pleine de nuances.
Chez la truite, c’est exactement la même chose, sauf qu’elle possède 4 types de cônes (600nm, 535nm, 440nm & 355nm) dont une sorte permettant de percevoir les UV (355nm) !
Ne pas confondre la perception de la lumière UV, fluorescence et phosphorescence !
Ce qui fait que l’on va voir un objet est par rapport à la lumière qu’il renvoie ou qu’il émet (de nombreux objets ou matières émettent de la lumière mais invisible pour nous car de trop faible intensité lumineuse, mais c’est un autre sujet). Ainsi, si notre œil perçoit un leurre rouge, c’est que la matière ou peinture de ce leurre absorbe les rayonnements verts, jaunes, bleus et violets pour ne renvoyer en majorité que les rayonnements rouges. Si on voit un leurre vert, c’est que la matière qui le compose absorbe les rayonnements rouges, violets pour ne renvoyer qu’un mélange de bleus et jaunes ou de la lumière verte.
Une truite va pouvoir voir un leurre ou une mouche qui reflète les UV alors que nous le ou la voyons noir(e). C’est notamment sur ce sujet que provient une très grosse confusion concernant les UV.
La perception des UV
Certains objets et matières renvoient aussi les UV ou les absorbent. Pour le savoir, il faut utiliser des filtres et retranscrire la réflexion UV en une image visible (souvent en noir et blanc) que notre œil peut voir et analyser. Car nous sommes incapables de voir cela à l’œil nu, les UV ne faisant pas partie de la lumière que nous pouvons voir.
Ainsi, on peut savoir quelles sont les matières qui reflètent ou émettent des UV et celles qui les absorbent. Comme on l’a évoqué précédemment, la truite, elle, pourra cependant voir de la lumière UV que nous ne pouvons voir grâce à des cônes adaptés.
La fluorescence
Ce phénomène de perception des UV est très souvent confondu avec le phénomène de fluorescence induit par les UV et très utilisé dans la pêche. On appelle entre autres cela les coloris « uv react » ou coloris UV. En réalité, il ne reflète que rarement les UV (ils ont même plutôt tendance à les absorber…) ! Il s’agit de la fluorescence !
Un rayonnement électromagnétique comme la lumière est assimilé à une énergie. La fluorescence visible est produite par une matière appropriée lorsque les longueurs d’onde ultraviolettes sont absorbées, perdent de l’énergie et sont émises sous forme de longueurs d’onde visibles. En d’autres termes, lorsque vous éclairez et sollicitez un leurre « UV react » avec une lampe UV (qui va émettre de la lumière invisible), vous allez voir une lumière visible pour nous. C’est comme si la lumière UV invisible était convertie en lumière visible pour nous. C’est cela la fluorescence.
Cela présente notamment l’intérêt de nuancer les couleurs présenter aux poissons et de le rendre plus visible pour les poissons, notamment dans des conditions de faible luminosité (temps nuageux notamment). Par contre il faut qu’il y ait des UV pour que cela fonctionne, donc la nuit, coloris UV react ou non, s’il n’y a pas une source lumineuse d’UV, cela ne change rien sur la perception du leurre que se font les poissons.
La phosphorescence
Ce phénomène de fluorescence n’est pas non plus à confondre avec la phosphorescence. Ce dernier phénomène est plus utile la nuit, car il absorbe l’énergie du rayonnement magnétique (comme pour la fluorescence et pas seulement des UV d’ailleurs) pour émettre sous forme de lumière visible mais pas seulement le temps de l’exposition au rayonnement comme pour la fluorescence.
L’émission de lumière se fait pendant quelques secondes à plusieurs minutes suivant le temps d’exposition et la quantité de lumière/énergie emmagasinée. Lorsqu’on « charge » un leurre phosphorescent pendant quelques secondes, celui-ci va ensuite rediffuser l’énergie lumineuse acquise sous forme de lumière visible. Ainsi, même dans le noir total, le leurre sera visible.
Application à la pêche
Alors comment tirer parti de la faculté qu’on les truites à voir les UV ?
Les pêcheurs à la mouche sont moteurs dans le domaine. Cela partait du constat que pour des mouches de couleur strictement identique (pour l’œil humain), les résultats en termes de pêche étaient parfois très différents. L’anecdote la plus courante est qu’une mouche noire faite avec telle plume donnait de très bons résultats régulièrement alors qu’une mouche strictement identique et noire faite avec d’autres plumes ne fonctionnait que rarement…
Il a en fait été constaté par la suite qu’une de ces mouches réfléchie la lumière UV alors que l’autre les absorbait. En d’autres termes, la truite voyait les UV réfléchies par une mouche et pas sur l’autre !
Si les pêcheurs à la mouche sont pionniers, c’est aussi car la truite tient cette adaptation et son évolution de par son caractère omnivore. Elle chasse à vue des proies relativement grosses (vairons, alevins, sauterelles, souris…) qu’elle perçoit. En réalité, la vue dans ces cas ne lui sert que pour finaliser l’attaque, la localisation dans l’espace se faisant souvent via la ligne latérale et d’autres organes sensibles aux variations de pression de l’eau.
La truite se nourrit aussi et surtout d’insectes et larves parfois minuscules, à peine perceptibles et visibles dans l’eau. C’est là que l’évolution s’est faite. Les truites juvéniles sont très sensibles aux UV que réfléchissent de nombreux insectes ! Ils sont très utiles au début de la vie des truites pour se nourrir de proie minuscule.
Quand les truites grossissent, même si elles continuent à se nourrir d’insectes, elles deviennent de redoutables prédatrices. Elles n’ont plus la nécessité vitale de capter les UV pour se nourrir et pourtant elles restent sensibles au UV. Les cônes et la rétine de l’œil de la truite changent et une juvénile ne perçoit pas les couleurs comme une truite adulte. Sa vision change avec l’âge. Plusieurs théories surviennent mais aucune vraiment ne fait encore l’unanimité. Certain émettent l’hypothèse que la perception des UV chez les adultes permet de se repérer lors de migrations ou déplacements. Il est aussi très possible que la perception des UV chez les gros sujets sert à chasser. Il a d’ailleurs été prouvé que certains petits poissons servant de proie aux truites (épinoches notamment) reflètent les UV et que ces proies sont les premières attaquées par rapport à d’autres proies ne reflétant pas d’UV ! Rien n’est sûr pour le moment mais plusieurs hypothèses paraissent viables pour expliquer que les sujets adultes préservent la perception des UV.
Toujours est-il qu’un pêcheur à la mouche voulant jouer sur ce paramètre devra s’équiper de filtres et objectifs photo adéquats pour identifier les matières susceptibles de renvoyer les UV. Et les résultats sont apparemment surprenants. Ne vous est-il jamais arrivé d’avoir une mouche « magique » sauve bredouille sans vraiment savoir pourquoi ? Peut-être reflète elle les UV !
Certains pêcheurs à la mouche ont constaté de réelles différences et commencent juste à exploiter cela notamment aux Etats-Unis. Les pêcheurs à la mouche ont d’ailleurs un large panel de matériaux pour composer leur leurre et cela facilite la création de mouches réfléchissant les UV.
Concernant la pêche au leurre, ce sujet n’est même pas abordé. On pourrait cependant croire qu’un leurre reflétant les UV se démarquerait mieux et serait susceptible de générer plus de touches… Qu’il imite un poisson, un insecte ou une autre proie, même conséquente. C’est particulièrement vrai là où la végétation est dense. Pour réaliser la photosynthèse, les végétaux absorbent les rayonnement UV. On peut imaginer qu’un leurre réfléchissant les UV évoluant sur un fond de végétation sera très visible et se démarquera aux yeux des truites… Et c’est un exemple parmi tant d’autres !
Là encore, les marques ne s’y attardent que peu (pour ne pas dire pas du tout) et on les comprend, le phénomène étant un peu fastidieux à expliquer et finalement peu vendeur (car non visible pour l’humain, le pêcheur). Il faut davantage compter sur l’initiative personnelle pour jouer sur ce paramètre… Mais qui sait ?
Voir les UV
Le matériel pour « voir » les UV est relativement couteux et difficile à se procurer. En photographie, il faut acquérir un appareil avec capteur dit « full spectrum » ou « défiltré » qui ne capte pas que la lumière visible (la plupart des capteurs captent seulement la lumière visible, puisque les autres rayonnements ne servent pas, nous ne les voyons pas !) et des objectifs non traité UV.
L’étape de « défiltrage » se fait souvent chez un photographe sur à peu près tous les appareil photo numérique.
Concernant les objectifs, c’est plutôt compliqué. En effet, aujourd’hui, quasiment tous les objectifs sont traité « anti UV » (ce qui arrange peu pour photographier les UV…). Les objectifs non traités, généralement en quartz sont très cher. On peut aussi paradoxalement tabler sur certains objectifs bas de gamme ou très ancien, non traité anti-UV. Il faut enfin un filtre anti infra rouge (autre lumière non visible) pour ne pouvoir voir que les UV.
Avec cela, vous pourrez avoir des images en noir et blanc, les zones claires étant les zones émettant ou reflétant un rayonnement UV, les zones sombres sont celles absorbant les UV.