Bienvenue en 2020, le militantisme pour la défense du bien être animal n’a jamais été autant développé et parallèlement, nos ressources piscicoles n’ont jamais été autant mises sous pression par la pêche professionnelle. Pour la majorité des membres de notre entourage et plus largement la société dans son ensemble, un poisson ne représente toujours un réel intérêt que s’il côtoie une mousse de ciboulette ou s’il repose paisiblement au fond d’une papillote. Incompris, guidés par des instincts primaires, les pratiquants du Catch & Release incarnent perpétuellement à leur insu, ce cousin du Chasseur/Cueilleur, celui qui recherche dans un but précis, la prise.
La No Kill connection
Le pratiquant du No Kill est présenté depuis des dizaines d’années comme un pêcheur décalé, en marge des conventions sociales. A tel point qu’on continue de lire dans les médias non spécialisés « Mais Mickaël lui n’est pas comme les autres, il pratique le No Kill, il relâche ses poissons ». Signe symptomatique que l’image de la pêche en France reste globalement figée dans l’ambre culturel sans réelle possibilité de s’en extraire.
Relâcher son poisson reste bien souvent un non-sens pour un pêcheur de longue date, non pas car le poisson est soumis à de rudes souffrances et que seule la mort pourra l’en délivrer, mais bien parce que c’est lui qu’on recherche, que l’on souhaite posséder.
Depuis le fond des âges aucun être vivant ne s’est amusé à attraper une proie pour lui rendre dans la foulée sa liberté, ce comportement n’est pas intuitif, n’est pas dicté par une règle bien déterminée, les pratiquants du Catch & Release exploitent ici une erreur comportementale à laquelle ils se doivent d’assumer le simple fait qu’ils font souffrir gratuitement des êtres vivants pour leur simple plaisir. C’est sur ce plaisir, silencieux… que nous allons nous pencher, ce cri muet que certains perçoivent à travers leurs croyances, le cri du poisson.
A ceux qui réfutent la mort
La mort et la souffrance ne sont pas des sujets auquel nous pensons volontiers. La plupart du temps, nous avons tendance à faire comme si cette réalité n’existait pas ou ne nous concernait pas. Pourtant, c’est une question qui nous touche tous directement. Du fait que nous sommes vivants, nous sommes voués à souffrir, faire souffrir, à mourir… tôt ou tard.
Le principe de graciation du poisson n’a de réel sens que s’il est pratiqué avec les bons gestes, la bonne logistique, pour que le poisson reparte dans la meilleure des formes possibles. Le but est de minimiser les souffrances de notre partenaire du jour. La prise, « éthiquement parfaite », pour un pêcheur No Kill, bien qu’adepte des armements en hameçons simples, est donc celle qui ne s’est jamais faite piquer.
Pêcher : plaisir de l’instinct de faire du mal à une époque où nous avons du mal à nous faire du bien.
Etymologiquement, le No Kill porte en lui des valeurs de respect et d’avenir. Le but étant de prendre dans quelques années les filles et fils du poisson que l’on relâche tout comme le reprendre lui-même quelques années plus tard avec quelques kilogrammes de plus, se soucier de la qualité du cheptel que l’on convoite en somme.
Parce qu’elle s’oppose à une pratique ancestrale et obsolescente de prélèvements systématiques, et parce qu’il n’y a jamais de véritables progrès sans rupture, la pêche d’aujourd’hui se devait de véhiculer les valeurs modernes de sport, de jeu, de respect, de partage ou d’écologie. Mais par l’amalgame aseptisé qu’elle revendique, la pêche moderne est un leurre. Elle est devenue, et c’est un point positif, une porte d’entrée populaire vers l’univers halieutique pour un public plus jeune, plus féminin ou plus familial jusqu’à présent réfractaire à l’idée de tremper du fil pour tâter du mucus. Mais elle est comme l’appât qui dissimule l’hameçon, comme le leurre qui brille et nous fais oublier la blessure ardente de la Vérité.
« Quand j’ai connu la Vérité,
J’ai cru que c’était une amie ;
Quand je l’ai comprise et sentie,
J’en étais déjà dégoûté. »
Extrait de Tristesse – Alfred de Musset
Le pêcheur dans le déni
Le pratiquant du No Kill crie volontiers sur les toits que lui, il respecte le poisson beaucoup plus que d’autres, qu’il prône des valeurs que d’autres sont incapables d’aborder. Mais considérons quelques instants le geste du No Kill, en passant rapidement sur la blessure de l’hameçon et le stress du combat. Vient alors le moment où le poisson, extrait d’autorité de son élément naturel et vital liquide, pénètre dans l’air hostile avec suffocation. Choc thermique. Il est rapidement livré à sa propre pesanteur dans les mains presque toujours trop sèches de son pêcheur. Manipulé dans tous les sens par cet ostéopathe de foire, il est décroché, inspecté, évalué, mesuré, pesé, comptabilisé, pixellisé, (parfois ré-accroché), pixellisé, pixellisé, ré-oxygéné et relâché. Tandis que le pêcheur conserve sur ses mains la trace foutrale et odorante d’un plaisir à sens unique, le poisson finira exhibé, comme d’autres avant lui ayant terminés en offrande sur le grand autel du culte de la performance et de la branlette halieutique.
Mais après tout, c’est bien dans la nature de l’homme de conserver une partie, un souvenir de celui qu’il a vaincu. Tel un serial-killer collectionnant une partie de ses victimes, le prude et inoffensif pratiquant du Catch & Release entassera les photos de ses prises vaincues dans un vieil album qui au fond n’aura de sens et de valeur qu’à ses yeux. La naturalisation est devenue numérique et prend juste un peu moins la poussière.
Le pêcheur dans le flou scientifique
Comme beaucoup, il m’est même parfois arrivé de dire que le poisson ne ressentait quasiment rien, me cachant derrière une pseudo étude scientifique Américaine fantôme, aperçue un jour sur je ne sais quel forum, comme quoi le poisson, dépourvu de terminaisons nerveuses dans la bouche ne souffrait pas.
On a tout lu… Comme par exemple le simple fait que le poisson ne ressentait pas la douleur car il avait le sang froid ?! En fait, il s’agit souvent de la même étude qui a été déformée à maintes reprises. Menée par le Professeur James D. Rose de l’université du Wyoming aux USA, si on se base à une stricte comparaison du cerveau humain avec celui des poissons, ceux-ci ne posséderaient pas la région du cerveau nécessaire et spécifique permettant de ressentir la douleur.
Dessin du cerveau d’un poisson représentant le Tectum Mésencéphalique sensé interpréter la douleur (Extrait de « The Anatomy of the central nervous system of man and of vertebrates » par Ludwig Edinger en 1899)
Résumons brièvement, on est toujours incapable aujourd’hui de prouver scientifiquement que le poisson ressent une douleur similaire à celle qu’on pourrait ressentir nous, êtres humains. Tous les tests expérimentaux qui sont réalisés ont comme seule analyse le changement de comportement du sujet après un stimulus (souvent injection d’un poison ou d’un venin) sensé lui procurer de la douleur.
Pour certains, les poissons captent une information qui modifie leur comportement, mais n’ont pas « conscience» de la douleur. Le ressenti et l’identification, en tant que douleur, n’existent pas.
Lu avec un peu de recul, ces études peuvent toutefois nous donner une certitude : tous les poissons qui ont subi des injections ont été soumis à un stress sans précédent, ce même stress que nous transmettons à nos prises lors d’une capture. Alors Douleur ? Stress ? Ou les deux ? Faites le tri !
On cherche dans le poisson des signes d’un comportement humain pour savoir à quelle échelle nous le faisons souffrir et nous le dérangeons. A vouloir le comprendre, nous finissons toujours par l’humaniser. Dieu merci ! Encore aucune étude n’a cherché à démontrer que les poissons de sexe masculin pouvaient uriner debout.
Les diverses manifestations d’un mal-être chez le poisson sont manifestées par diverses changement comportementaux, mais en rien cela n’est transformé en expression sonore. Il existe toutefois quelques exceptions à nageoires qui comme le Maigre (Argyrosomus regius) utilisent le son et les vibrations dans leur processus de reproduction, mais en aucun cas la notion de son est utilisée comme cri d’alerte ou de détresse.
Le poisson vit ce mal-être, comme toutes les étapes primordiales de sa vie, dans un silence total. Jacques-Yves Cousteau, célèbre océanologue, avait à juste titre appelé le monde des poissons le Monde du Silence, à bien des égards.
Assumer rime avec réalité
Toute créature vivante souffre et il y a fort à parier que si les poissons pouvaient crier, s’ils étaient munis de glandes lacrymales, s’ils pouvaient avoir des expressions humaines d’agonie, de douleur, il y aurait beaucoup moins de pêcheurs motivés pour tremper leur hameçon.
La plus grande dérive du No Kill c’est de penser, de croire, que la pratique de notre passion n’entraine aucun dommage, aucune conséquence sur l’environnement convoité.
Pour que les choses soient claires, nous ne sommes pas ces bobos défenseurs de la cause animale : on peut également obtenir le même raisonnement pour les arbres et les bucherons, pour les carottes et les végétariens… Nous ne sommes pas non plus des mangeurs de viande, pervers sans courage, insensibles et parfois se délectant de la souffrance d’autrui, particulièrement des plus faibles et notamment des animaux. On ne peut pas tout étiqueter dans ce monde où il reste encore possible de se démarquer des extrémistes.
Nous sommes parfois hantés par ces poissons qu’il nous arrive de mal manipuler, souvent par ignorance, parfois par vanité mais aussi souvent par « malchance », ceux qui sont repartis handicapés d’un leurre ou handicapés tout court. Les doigts sentant encore le mucus comme les traces d’un viol sur nous, en tant « qu’erreur de la nature », nous repensons à ces instants où nous nous sommes promis d’arrêter la pêche aux leurres et de ne pêcher plus qu’à la mouche, fouettée, sans ardillon…
Le geste d’abréger les souffrances d’un animal est un acte beaucoup plus naturel et sensé que de libérer un être vivant que l’on vient de blesser, mutiler. Quel pêcheur pense, trois semaines après la prise d’une truite, qu’elle bataille toujours pour guérir ses blessures infectieuses, qu’en a-t-elle gagné ? Les honneurs rendus à un valeureux combattant ne lui rendront jamais la vie plus aisée, l’impact du pêcheur est irréfutable.
Étrangement, les quelques rares poissons que nous décidons de conserver en notre âme et conscience pour consommation, eux nous ont finalement pardonnés. Peut-être car ce geste abonde dans le sens de l’histoire comportementale des êtres vivants, tout simplement.
Consommer un poisson de temps à autre, c’est peut-être remettre les choses un peu à leur place et assumer notre réel impact, ce pour quoi nous avons été créés.
La convenance par la suffisance
Beaucoup de pêcheurs se jouent aujourd’hui des valeurs du No Kill, il apparait que cela fait « bien » de se présenter aux yeux de la nouvelle communauté de pêcheurs en tant que tel, mais beaucoup balayent rapidement les préceptes liés aux valeurs de Catch & Release.
Il y a ceux qui prélèvent systématiquement, sans pour autant être motivés par la faim, et qui se plaignent que le poisson se raréfie en trouvant des torts à tout le monde mais qui continuent quand même à prélever de façon abusive sans jamais se remettre en question.
Il y a aussi ceux qui vont à la pêche, auréolés du saint sacrement du No Kill, mais dont le fruit de la pêche ressemble davantage à un carnet de comptabilité ou un catalogue, qu’à un carnet naturaliste ou un recueil de poésie engagée. Et s’il nous arrive d’être agacé en pensant à ces prêcheurs, c’est aussi parce que nous leur ressemblons. Comme tous ces compétiteurs, comme tous ces pêcheurs expérimentés ; la simple absence d’une épuisette de taille conséquente, d’un tapis de réception, nous font sombrer dans la pratique amateuriste du Catch & Release.
La pêche du Silure a explosé en France en même temps que le No Kill et il est communément admis que les pratiquants de cette technique, qui pourtant nécessite de nombreux appâts carnés, sont des ambassadeurs de ce mouvement.
Il y a l’infime mais réel phénomène d’élitistes, leurristes ou moucheurs, gourous donneurs de leçons se drapant d’une immaculée conception du catch & release, qui revendiquent une pratique presque chirurgicale de la pêche. Comme si l’artiste pouvait peindre sans se salir les mains, comme si l’on pouvait pêcher sans entacher son âme…
Si pour un pratiquant appliqué du No Kill il est déjà difficile d’expliquer les impacts corporels occasionnés par sa passion, il semble alors encore plus paradoxal pour un pêcheur aux vifs de se proclamer également comme tel. Le No Kill a ainsi été dérivé pour ne concerner que l’espèce recherchée et non une valeur universelle égale entre toutes les espèces. Étrange monde où entre pratiquants du No Kill, le pratiquant de la pêche au coup va réguler des silures, et le pratiquant de la pêche aux silures va lui retirer la vie à des cyprinidés…
La douleur n’est pas envisagée, tant qu’on ne lui prêtera pas une réelle existence et tant que le mucus ne sera pas teinté du rouge sang de l’hémoglobine, l’honneur du pêcheur sera sauf.
La réflexion est un premier pas vers la remise en question. Et si le prélèvement systématique et basique n’engage pas à un tel cheminement de l’esprit, le pratiquant du Catch & Release y sera amené un jour ou l’autre. Il semble en effet difficile d’expliquer 20 ans de pratique du No Kill par une simple attitude grégarisée.
Une histoire de positionnement de curseur
Où vraiment se situer aujourd’hui dans tous ces différents degrés d’interprétation du Catch & Release ? Qui peut assumer clairement de vive voix qu’il fait intentionnellement souffrir les poissons qu’il attrape ?
Il existe peut-être une caste de pêcheurs ayant conscience de l’impact qu’ils ont sur leur environnement, et qui pensent pratiquer une activité halieutique réfléchie et mesurée. Le pêcheur ne peut se présenter en tant que pacifiste, c’est un épicurien égoïste qui jouit des richesses de la nature qui s’offrent à lui. S’il utilise l’instinct de prédation des carnassiers pour assouvir sa passion, il se doit d’assumer aussi le sien, qu’il exerce uniquement par envie, par loisir.
La pêche n’est pas un jeu, la pêche n’est pas un sport, la pêche se conjugue en toute forme avec la mort.
Heureux et rarissime cet homme que la nature a doué d’un esprit assez modéré et paisible pour ne pas faire au monde des demandes exagérées, et pour conserver la liberté de ses déterminations, mais aussi bon et lucide qu’il soit, il ne criera jamais comme un poisson.