La nourriture naturelle fait partie de ces paramètres qu’il faut avoir en tête quand on pêche la carpe. Simplement, la première question à se poser est : où y en a-t-il le plus ? D’une manière un peu plus complexe, la seconde question est : comment évolue-t-elle ?
Suivant les lieux de pêche, le type et la localisation de la nourriture naturelle varient énormément. La présence ou l’absence de cette nourriture déterminent les zones de tenue des carpes et donc les endroits propices à la pêche. Afin de mieux nous figurer ceci, nous avons classé la nourriture naturelle en deux catégories : les stocks actifs qui représentent la nourriture naturelle qui bouge et les stocks passifs qui représentent la nourriture naturelle fixe. Nous allons voir qu’il existe un lien évident entre ces stocks et les carpes et donc un lien entre la connaissance de leur évolution et la réussite d’une partie de pêche.
La nourriture naturelle, la clef d’une pêche réussie
Du ver de vase à l’anodonte, de l’écrevisse à la crevette d’eau douce, la nourriture naturelle est présente dans tous les lieux de pêche. La question est de savoir en quelle quantité et surtout de connaître les zones où cette nourriture est la plus concentrée. Certes, la nourriture artificielle apportée par les pêcheurs joue un rôle de plus en plus important dans le comportement alimentaire des poissons. Mais il n’en reste pas moins que les carpes ont absolument besoin de manger autre chose que des bouillettes et des graines. Connaître la répartition et les mouvements de la nourriture naturelle revient à connaître où les carpes ont l’habitude de s’alimenter. Les carpes sont des poissons routiniers dont le comportement est dicté par des instincts simples et primaires : se nourrir et se reproduire. Il est très difficile de changer ces habitudes bien ancrées. Ce que je veux dire, c’est qu’il est très difficile de faire manger une carpe là où elle n’a pas l’habitude de le faire. Ainsi, pêcher dans une zone où la nourriture naturelle est absente revient à se tirer une balle dans le pied. Et je peux garantir que même la meilleure bouillette du monde n’y changera rien.
En revanche, un poisson qui arrive sur sa zone d’alimentation habituelle et qui a le choix entre fouiller des heures à la recherche de vers de vase ou se saisir facilement d’une bouillette bien équilibrée sera plus facile à tromper.
Évidemment, dans les grands espaces, ce phénomène est amplifié, car les poissons sont comment dire… plus sauvages, mais l’on peut rapporter également ceci aux petits espaces. Même dans une gravière de 5 hectares, il sera plus facile de prendre une carpe près d’un herbier bien dense qu’en plein désert, tout simplement, car c’est un endroit où la carpe vient régulièrement se nourrir.
Ainsi, pêcher dans une zone où la nourriture naturelle est absente revient à se tirer une balle dans le pied.
J’ai déjà eu la chance de voir une carpe chasser une écrevisse. C’est impressionnant ! Premièrement la carpe est stationnaire et regarde sa proie attentivement, sans bouger. Les nageoires pectorales sont bien déployées. L’attaque est très rapide. La carpe se jette sur l’écrevisse et la plaque au fond à l’aide de sa bouche puis aspire un grand coup. La pauvre écrevisse disparaît en une fraction de seconde, elle n’a aucune chance.
Stocks actifs, savoir adapter sa pêche
Mon frère et moi appelons stocks actifs les réserves de nourriture naturelle qui se déplacent de manière significative. Le meilleur exemple de stock actif que je peux donner est l’écrevisse. Ce crustacé se déplace essentiellement la nuit pour se nourrir. Lors de ses phases de repos, le « stock » ne se trouve donc pas au même endroit que lors de ses phases d’activités. Durant la journée, nos observations en plongée nous ont permis de déterminer que les écrevisses étaient cachées sous des rochers ou dans des trous, ou bien étaient immobiles dans des profondeurs relativement importantes, cachées sous quelques algues. À l’inverse, elles se rapprochent des bordures à la tombée de la nuit pour se nourrir. Les crustacés sortent quand la lumière est faible, car ils sont moins facilement repérables par les prédateurs. Sachant cela, nous n’avons pas pu nous empêcher de nous poser la question : est-ce que l’activité alimentaire des carpes est couplée à celle des écrevisses et, plus généralement, des stocks actifs de nourriture naturelle ? Est-ce que les carpes se nourrissent en bordure la nuit, car les écrevisses font de même ? Est-ce qu’en journée, il faut pêcher à la profondeur où se situent les crustacés ? Tout le monde sait que les carpes raffolent des écrevisses. Je ne compte plus les fois où nous avons retrouvé des carapaces au fond des sacs de conservation. Pour nous, il est évident qu’il y a un lien étroit entre l’activité et donc le déplacement des écrevisses, et le déplacement des carpes. Rien n’arrive par hasard dans la nature et il y a un nombre infini de liens inter-espèces au sein d’un écosystème. Je crois que l’on peut dire que les carpes suivent le déplacement des écrevisses pour se nourrir. Et attention, je ne parle depuis tout à l’heure que des écrevisses, mais je pense qu’il en est de même pour tous les stocks actifs composant un écosystème. Prenons l’exemple des crevettes d’eau douce. Il est aisé de les observer au milieu de la nuit près des bordures alors qu’elles se font beaucoup plus discrètes en journée. Chaque déplacement de stocks actifs induit un effet sur leurs prédateurs.
Stocks passifs
À l’inverse des stocks actifs, les stocks passifs représentent la partie de la nourriture naturelle assimilable par les carpes qui ne se déplace pas ou très peu. Les dreissènes, corbicules, etc. sont une très bonne illustration de ce que mon frère et moi appelons stocks passifs. Mais lorsque l’on parle de cette catégorie, cela englobe également tous les types de moules d’eau douce, les vers de vase, etc. Ces stocks passifs représentent réellement le garde-manger des poissons et donc, de fait, leur zone de tenue. Une grande étendue vaseuse infestée de vers ou un énorme haut fond rempli de corbicules sont des zones ou les poissons évoluent en quasi permanence. Savoir repérer ces endroits est essentiel à la réussite d’une partie de pêche. Ce sont clairement les zones à connaître avant de mettre un amorçage en place par exemple. Beaucoup de gens au bord de l’eau nous interrogent sur nos stratégies d’amorçage. Et nous leur répondons toujours la même chose. Un amorçage quel qu’il soit, n’est vraiment efficace que sur une zone de tenue des carpes et donc sur une zone où les stocks passifs de nourriture naturelle sont abondants.
Impact sur la pêche
Quel impact sur la pêche tout cela peut-il avoir? Si l’on admet, par exemple, qu’une carpe suit le mouvement des écrevisses pour manger, il faut alors adapter sa pêche en fonction de ce comportement. Pour commencer, nous pêchons les bordures exclusivement la nuit et au petit matin. Dès que le jour est bien présent, nous changeons d’emplacement. Nous allons chercher un petit tas de pierres où les écrevisses viennent se cacher pour la journée. Ainsi, notre montage suit en permanence le déplacement des crustacés. Il a donc plus de chance de séduire une carpe qui serait fixée sur ce type de nourriture.
Si l’on pousse un peu plus loin, on peut se dire que la quantité et la répartition des stocks passifs et actifs permet d’imaginer une sorte de chemin suivi par les carpes pour se nourrir ainsi qu’un timing dans la façon dont les poissons s’alimentent. Tout ceci est très intéressant au niveau de la pêche et permet d’optimiser son approche.
Il n’est pas évident de savoir sur quel type de nourriture la carpe est fixée au moment de la partie de pêche. Les résidus dans les sacs de conservation constituent un indice sérieux. Si l’on retrouve énormément de coquilles de moules et très peu de carapaces d’écrevisses, il est nécessaire d’orienter sa pêche sur la recherche de stocks passifs et donc sur des zones capables d’accueillir ce genre de nourriture naturelle. Je me souviens d’une partie de pêche qui avait débuté bien timidement. Quelques poissons se faisaient piéger de temps à autre, mais l’on passait clairement au travers de notre session. Les quelques carpes capturées avaient rempli les sacs de centaines de petits éclats de corbicules broyées et pourtant nous pêchions sur une zone que nous pensions dépourvue de ce type de nourriture naturelle. Presque par hasard, nous avons découvert que ces corbicules étaient localisées dans une bande de vase/sable, relativement près du bord, que nous ne pêchions pas du tout. Cette zone nous semblait, bizarrement, peu propice pour obtenir un départ. Là était notre erreur de jugement. Dès que nous avons essayé de placer un montage à cet endroit, les poissons ont été tout de suite réceptifs. Nous avons sauvé notre session grâce à la présence d’éclats de moules au fond du sac de conservation.
Je crois que l’on peut dire que les carpes suivent le déplacement des écrevisses pour se nourrir.
Je pense que tous les carpistes ont déjà pensé à pêcher avec une écrevisse. Nous avons évidemment déjà essayé, mais sans aucun résultat. Pêcher avec une écrevisse morte ne donne rien, à croire que les carpes ne se nourrissent que d’écrevisses vivantes. Pêcher avec une écrevisse vivante est un vrai casse-tête, car elle s’emmêle très rapidement avec le bas de ligne. Si certains ont la solution, je suis curieux de la connaître.
Conclusion
La connaissance du milieu aquatique est essentielle dans la pêche de la carpe. À titre personnel, je trouve très intéressant d’essayer de comprendre les interactions, les liens existant entre les espèces évoluant au sein d’un écosystème. Trouver la nourriture naturelle revient à trouver les carpes, c’est tout à fait vrai ! Mais comprendre les mécanismes qui relient ces différents maillons de la chaîne alimentaire permet, de manière indéniable, d’optimiser son approche.