Pour commencer, il est important de définir ce que l’on entend par pêcher à hauteur de « bottes ». Non loin de l’idée que l’expression image en elle-même, ces quelques lignes traiteront de la pêche dans des profondeurs de pêche entre 50 et 80 centimètres sur des périodes de début du printemps au début de l’automne.
Beaucoup d’entre nous avons longtemps hésité à déposer un montage dans des eaux peu profondes, et d’autres n’auront parfois jamais sauté le pas. Et pourtant… Il est parfois bien dommage de ne pas exploiter ces zones qui ne sont pas si stériles que ce que l’on pourrait croire.
Peut-être une expression que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, est bien celle que nos anciens employaient à chaque fois qu’ils débattaient au sujet de nos cyprinidés : « Les carpes sont dans les trous ! C’est là qu’il faut les pêcher ! ». Des dogmes parfois encore bien ancrés chez certains pêcheurs. Cette idée n’a pas dû sortir du chapeau d’un vendeur de tapis, aux arguments plus rocambolesques les uns que les autres, mais bel et bien d’expériences vécues sur plusieurs décennies aux bords de l’eau par nos aînés. Un empirisme sur lequel on a pu s’appuyer durant des années. Mais force est de constater qu’à l’heure actuelle, il est possible de faire de très belles pêches dans de faibles profondeurs voire très faibles. Est-ce dû à une évolution du comportement des poissons, ou à des préceptes figés à se dire que les carpes sont dans les profondeurs ? Difficile de répondre de manière tranchée à l’une de ces deux questions, mais une chose est certaine : les poissons ont changé de comportement sur ces dernières années potentiellement dû à une pression de pêche en constante augmentation et certains agissements de l’homme.
Qu’est ce qui peut rendre les faibles profondeurs si intéressantes ?
1- L’abondance de nourriture naturelle
De manière universelle, on peut avancer sans se mouiller que les poissons ont une forte tendance à se localiser sur des zones riches en nourriture naturelle. Et c’est là que les zones de faibles profondeurs sont particulièrement intéressantes. En effet, ces secteurs sont nettement privilégiés par un tas de ressources alimentaires composant un panier garni largement apprécié des carpes. Les bordures, par exemple, regorgent de limnées, d’anodontes, de corbicules ou encore d’écrevisses. Ces dernières nécessitent un biotope bien particulier pour vivre et se reproduire. En atteste l’étude de Boag and Al (1) qui a observé le comportement des gastéropodes d’eau douce en fonction de la température de l’eau. Ils montrent que les mollusques, et notamment les limnées, se trouvent plus facilement dans les faibles profondeurs avec des températures d’eau entre 9 et 19°C. Quand les températures chutent en dessous des 9°C, les gastéropodes ont tendance à migrer vers les profondeurs pour que la majorité d’entre eux finissent dans les eaux plus profondes lorsque l’eau atteint les 4°C. Une étude de Thomas Broquet (2), chercheur à l’université d’Angers, montre que la densité d’écrevisses sur différents cours d’eau était fortement liée à l’exposition au soleil des zones de colonisation. Or, les zones peu profondes sont sujettes à de forts degrés d’ensoleillement. JM. Clark and Al.(3) ont mené des études au sujet de la répartition des écrevisses sur des eaux de type lac. Ils ont constaté une répartition significative des sujets de petites à moyennes tailles dans les eaux peu profondes, alors que les écrevisses de grandes tailles rejoignaient plus facilement les eaux plus profondes. Cette étude met aussi en avant la plus grande vulnérabilité des petits sujets aux prédateurs. En effet, on imagine très mal des carpes de 5/6kgs engamer des crustacés de la taille d’une main, ce qui pourrait expliquer le choix de la facilité pour nos cyprins et ainsi expliquerait en partie des détours alimentaires sur des zones de faible hauteur d’eau.
2- Température de l’eau
Les poissons ne sont pas plus différents que nous sur certains aspects. En effet, lorsqu’un rayon de soleil apparait, les carpes ne sont pas les dernières à se dorer la pilule. Selon les saisons, notamment quand l’eau sort d’une longue période de faibles températures, les eaux les moins profondes sont évidemment celles qui se réchauffent prioritairement, ce qui peut représenter en période de réchauffement une zone de confort pour les carpes. De plus, cet argument rejoint l’argument N°1 puisque la présence de nourriture naturelle est fortement liée à la température de l’eau et l’ensoleillement (Cf : étude de T.Broquet (2)). Donc en plus d’être une zone de confort potentiel, les eaux peu profondes s’affichent comme étant de véritables garde-mangers.
3- Sédiments et vent
Le vent est un facteur fondamental dans la lecture de la pêche. Il peut constituer un indicateur précieux, car force est de constater qu’une bonne partie des poissons d’un cheptel est influencée par cet élément avec une tendance à suivre ce dernier. Le lien avec les eaux peu profondes se fait principalement par le fait que le vent est porteur des nutriments, sédiments et autres matières en suspension dans l’eau. Ainsi ces derniers s’accumulent sur les bordures battues par le vent poussant inévitablement les poissons à remonter sur les bords pour se saisir d’éléments potentiellement qualitatifs gustativement et nutritionnellement. De plus, et toujours en lien avec l’argument N°1, des études scientifiques ont montré que les écrevisses avaient une tendance à coloniser des zones à forte teneur en sédiments. Pour finir, et cela rejoint l’argument suivant, le vent créer des vagues qui se cassent sur la berge battue par ce dernier occasionnant une oxygénation de l’eau dans ces secteurs.
4- Oxygénation de l’eau
L’oxygène ou plutôt le dioxygène (O2) est indispensable à la vie des organismes aquatiques. Néanmoins, la respiration de ces organismes est efficace si et seulement si la concentration d’O2 est suffisante pour permettre leur survie. Cette concentration est directement tributaire des échanges de gaz entre l’atmosphère et l’eau, et de la photosynthèse. Mais avant d’en venir au sujet, voici une petite définition… L’eutrophisation est une accumulation excessive d’apports nutritifs entrainant un déséquilibre du milieu par l’augmentation de la concentration d’azote et de phosphore. La forte concentration en nutriments provoque le développement d’algues et de plantes dans le milieu aquatique. Ce phénomène est à ce jour majoritairement provoqué par l’homme de par la pollution des eaux et des terres. L’eutrophisation a pour effet d’avoir un impact sur la dissolution du dioxygène dans l’eau. L’étude de Lods Crozet and Al. (4) menée sur un lac suisse eutrophe montre qu’en dessous de 7m de profondeur l’O2 à une concentration bien en dessous des normes (< à 4mg/l) durant les 4 mois de la phase estivale. On peut donc facilement admettre que les poissons auraient tendance à fuir ces zones anoxiques pour se trouver et se nourrir sur les couches supérieures nettement plus oxygénées et donc dans des hauteurs d’eau plutôt faibles. Sur ce même lac, une étude de Guy Périat (5) montre que lors de cette période de 4 mois, aucun poisson n’a été observé en dessous de 10m de profondeur. Ce phénomène eutrophe n’est pas systématique mais si l’on se réfère aux données de l’EEA (European Environment Agency, 2005), il semblerait que la France soit fortement impactée par cette eutrophisation, en atteste la carte européenne en annexe, montrant l’excédent d’azote.
5- Végétation aquatique et photosynthèse
La majeure partie de la végétation aquatique prolifère dans les zones de faibles profondeurs et il est assez rare de trouver une forêt de potamots dans des profondeurs excédant les 8 mètres d’eau. En plus de leur rôle de garde-manger et protecteur, les plantes aquatiques ont deux rôles principaux : purificateur et oxygénateur. Ces plantes purifient leur milieu en captant les nutriments et les substances polluantes en excès, ce qui influe directement sur la dissolution d’oxygène dans l’eau. De plus, elles ont trois modes de fonctionnement : la respiration, la transpiration et la photosynthèse. Pour vous épargner tout un laïus sur les deux premiers modes de fonctionnement, il est, néanmoins, intéressant de s’arrêter quelques instants sur la photosynthèse. Pour vulgariser ce phénomène, les plantes capturent le CO2 (dioxyde de carbone) pour libérer de l’O2 grâce à l’énergie lumineuse solaire en présence d’eau. Ce mécanisme implique obligatoirement la lumière du soleil donc à réalisation diurne, ce qui expliquerait la quantité de poissons que l’on peut observer dans les herbiers lors des fortes chaleurs en journée. Les carpes, notamment, cherchent à s’oxygéner dans ces champs d’herbiers qui, rappelons-le, abritent une grande quantité de nourriture naturelle.
Conclusion
En conclusion, pêcher « dans ses bottes » n’est pas une solution radicale qui vous fera prendre du poisson partout, mais les zones de faibles profondeurs sont des secteurs à ne pas négliger et constituent une très bonne alternative. Néanmoins, ces quelques points sont à mesurer car ils sont très dépendants de la saison, de la météo, de la qualité de l’eau, de la lumière… Ces cinq raisons ont été abordées de manière très succincte, car chacune d’elles pourrait faire l’objet de nombreuses lignes, avec de la littérature scientifique supplémentaire à l’appui, pouvant barber les plus passionnés. Et finalement, elles sont toutes les cinq intimement liées, les unes étant souvent les causes et conséquences des autres.
Références :
1- Boag and Al. – The relationship between simulated seasonal temperatures and depth distributions in the freshwater pulmonate, Lymnaea stagnalis, 1980
2- Broquet and Al. – DISTRIBUTION AND HABITAT REQUIREMENTS OF THE WHITE-CLAWED CRAYFISH, AUSTROPOTAMOBIUS PALLIPES, IN A STREAM FROM THE PAYS DE LOIRE REGION, FRANCE: AN EXPERIMENTAL AND DESCRIPTIVE STUDY, 2008
3- Clark and Al. – Habitat-specific effects of particle size, current velocity, water depth, and predation risk on size-dependent crayfish distribution, 2011
4- Lods Crozet and Al. – Evaluation de la qualité chimique et biologique d’un petit lac du plateau suisse, 2009
5- G. Périat – Etude du peuplement pisciaire d’un lac suisse, 2015
6- European Environment Agency , 2005