A force de voir passer des leurres sur leur tête et de rencontrer des objets piquants, les carnassiers ont appris à se méfier comme de la peste de ces poissons bizarres qui déambulent au-dessus d’eux. Ne soyons donc pas surpris que la pêche soit difficile et les poissons boudeurs et qu’il soit nécessaire d’user de stratagèmes et de leurres marginaux pour enregistrer des réactions. Le manié devient dans ce cas précis l’arme fatale qui sauve une session mal négociée en réussite.
Mauvaise presse, désamour, la pêche au poisson mort manié ne bénéficie pas auprès des pêcheurs modernes d’un très grand enthousiasme, et c’est un euphémisme. Les nouvelles générations tendent à l’utilisation de leurres souples ou durs et rechignent à utiliser un poisson vivant ou mort comme appât. Les aficionados du « no kill » estiment que de sacrifier un poisson ne répond plus à la vision d’une pêche moderne, il est forcément respectable de ne pas tuer un petit poisson pour en prendre un plus gros.
Sans compter qu’il faille prévoir une logistique : seau à vifs, passage chez un détaillant ou pêche préalable de cyprinidés, stockage et transport. Tout cela est nécessairement beaucoup plus contraignant que de sortir d’une boîte un leurre souple.
Cela étant, faire l’impasse sur la pêche au manié c’est assurément manquer des occasions de faire du poisson et souvent de beaux poissons car cette technique reste et restera en raison de l’utilisation d’un poisson naturel, très efficace. Plus encore aujourd’hui où sur des spots dont le potentiel est considérable, mais sur-pêchés, les carnassiers sont éduqués et peuvent vous donner le dernier coloris en vogue de votre leurre préféré !
Montage au mort manié
L’utilisation d’une monture classique ou dérivée du modèle d’Albert Drachkovitch, forcément connue de tous est recommandée, on devra simplement l’ajuster en fonction de la profondeur. Ainsi, le grammage devrait être en adéquation avec les poissons utilisés, trop lourd, il pénalise l’animation et trop léger, il ne donne plus suffisamment d’informations sur son évolution. Cela dépendra également de votre lieu de prospection et de la hauteur d’eau. Il y a deux écoles en matière d’armement : un seul triple sur le dos ou deux triples plus petits, l’un en tête et l’autre derrière la caudale. Notre compère généralement intercepte le poisson mort par le travers, souvent à hauteur de la tête et cela transmet un arrêt dans l’animation, une « tape » caractéristique ou un relâchement dans la bannière. De nombreuses autres montures sont sur le marché, elles dérivent pour la plupart de celle de la Drachko. Je préconise un montage le plus naturel possible et moins voyant, une des raisons pour laquelle je n’utilise qu’un triple un peu plus fort en fer planté à hauteur de la dorsale sans pour autant enregistrer plus de loupés. Peut-être sur des poissons tatillons le deuxième triple assurerait mieux la prise, la différence ne m’a pas semblé fondamentale jusqu’alors. La conduite de la ligne est déterminante et le ferrage immédiat bien qu’au poisson-mort, le carnassier a tendance à garder plus longtemps en gueule l’appât. La monture planante type Jauffret a aussi ses avantages notamment par sa discrétion puisque l’olive est totalement intégrée dans la gueule du poisson. Très intéressant quand les brocs sont entre deux eaux ou qu’ils sont à l’affût posés sur l’herbier.
Action et réaction !
Le brochet à la différence du sandre est moins pointilleux et ses attaques sont souvent franches ce qui permet généralement de détecter la touche. L’animation est simple : on lance et on garde la bannière tendue dans l’attente que le poisson mort touche le fond, puis on procède à des tirées plus ou moins rapides, canne haute, afin de donner un semblant de vie à notre appât. L’idéal est de faire évoluer notre poisson mort à ras du fond, environ 1 mètre. J’avoue que ce n’est pas forcément facile pour un néophyte et que souvent notre monture revient avec de l’herbe. Il faut un peu de temps pour maîtriser un minimum les bons gestes et « sentir » si son poisson mort évolue correctement. Cela vient avec le temps, les tentatives et l’expérience. Ne vous découragez pas si vous débutez, c’est une technique envoûtante et souvent payante ! Un ferrage immédiat doit sanctionner toute anomalie ressentie : bannière qui se détend, fil qui se déplace, choc marqué. Ne doit-on pas rendre un peu « la main » avant de ferrer ? Là aussi les avis divergent, pour ma part quand j’ai une touche je ferre ! Désolé, mais je ne laisse pas le temps au brochet de savoir si mon grammage est en 20 gr ou en 10.
On recherchera essentiellement Esox Lucius sur le relief du fond, à proximité des cassures, dans l’ancien ruisseau, près de souches et de branchages immergés. N’attendez pas dans ce cas que votre sondeur soit d’une aide efficace pour trouver les brochets : collés au fond ils ne sont pas visibles. Il importe donc de « sentir » les zones propices et d’estimer que la zone rencontrée est bonne. Si on méconnait le plan d’eau, et que l’on a rencontré des hauts fonds, assurément notre prospection se fera en limite des herbiers et tout le long de la cassure car il est fort probable que les sandres montent pour y trouver pitance. Des phases d’activité qui ne durent pas longtemps et la difficulté est d’être au bon endroit, au bon moment ! C’est mission impossible me direz-vous sur une surface importante, comment localiser des brochets venant chasser sur un haut-fond dans un lac de 1500 hectares ? Au petit bonheur la chance, je concède que la tâche est ardue ! C’est pourquoi une prospection méticuleuse et plus encore sur un plan d’eau inconnu. Trop souvent, et cela est valable pour toutes les techniques, nous nous mettons en œuvre sur un spot que l’on connait dès la mise à l’eau. Je sais que le temps nous est compté et qu’il est fastidieux de passer plusieurs heures à naviguer le nez collé au sondeur pour repérer des zones intéressantes. Quand on a qu’une journée de pêche sur un nouveau site, et bien…On pêche. Toutefois, une heure de navigation avant de se mettre en action, ce n’est pas du temps perdu. Trouver par exemple une concentration de cyprinidés sur un haut-fond en prospectant, est une information importante, surtout si on revient le lendemain car vous auriez peut-être « pêché l’eau » toute la journée sans jamais avoir une touche. Il importe, au poisson mort comme pour d’autres techniques de connaitre un minimum son environnement. Faites le test à l’occasion en prenant un peu de temps à prospecter sans pêcher et vous constaterez que cela n’a pas été vain.
Sandre séduction
A la différence du brochet qui évolue souvent entre deux eaux, le sandre est très souvent collé au fond. On n’en fera pas une généralité puisqu’il monte régulièrement chasser dans les boules de cyprinidés, et l’on peut avoir la chance en power fishing de tomber sur ces chasses que le sondeur, en bon outil, dénonce par des arcs de cercle et la dispersion des cyprinidés. Auquel cas, on changera de monture pour une plus légère afin de l’adapter à la couche d’eau. L’erreur la plus communément commise est de vite tenter sa chance en lançant sur les chasses identifiées. Oui mais, vous pêchiez avec une monture munie d’un grammage de 20 gr prévue pour racler le fond, sa descente est rapide, trop rapide, elle se trouve dans le faisceau intéressant que bien peu de temps et votre appât doit-être manié plus rapidement pour traverser la zone propice. Nous l’avons tous fait, moi le premier, souhaitant ne pas manquer cette opportunité. C’est un peu comme quand les grosses perches chassent les alevins : on tente vite sa chance sans forcément s’être assuré que l’on a la bonne taille et la bonne couleur de leurre. Prenez le temps d’observer avec calme, identifiez la profondeur et adaptez votre monture, quelquefois l’effet légèrement planant souvent propice au brochet est payant dans ces circonstances : des lancers courts en maitrisant la bannière avec des mouvements saccadés quand on traverse le banc de gardons. C’est un cas de figure où l’attaque est souvent appuyée : pas de doute possible car le sandre aspire votre appât. Un ferrage immédiat doit sanctionner cette prise en bouche.
Matériel utilisé pour pêcher au mort manié
La canne sera bien équilibrée, nerveuse et d’une action de pointe, certains pêchent encore avec des cannes à poisson mort de plus de 2,70 mètres, je ne dis pas du bord, mais en bateau cela me semble excessif, un modèle de 2,40 mètres est confortable et suffisant car, on pêche généralement assez court. Spinning ou casting ? Une question de goût et de ressenti, les deux conviennent puisque l’on pêche court. La canne est une pièce maîtresse au poisson-mort, il est primordial qu’elle soit de bonne facture en carbone haut module, pour le confort de pêche et la perception des touches souvent subtiles.
Le moulinet est fortement sollicité, c’est pourquoi il devra également faire l’objet d’attentions, et le marché propose aujourd’hui, aussi bien en spinning qu’en casting des produits de qualité. Le frein doit être très fiable, progressif et précis, le moulinet devra être en adéquation avec la canne et ne pas l’alourdir inutilement.
La ligne peut-être en nylon ou en tresse. J’affectionne plus particulièrement la tresse en 14/100e et de couleur rouge comme la Power Pro pour son absence d’élasticité, mais certains manieurs estiment que cette élasticité justement permet que le carnassier engame mieux. Cette approche n’est pas injustifiée pour le brochet mais je préfère le contact direct et un ferrage immédiat.
Il est frais mon poisson !
Les poissons utilisés pour garnir les montures ne demandent pas la même sélection que ceux qui servent au vif. L’espèce importe peu, l’essentiel étant qu’il soit résistant et pour cela il doit être frais : un poisson aux reflets argentés sera toujours plus prenant qu’un appât terne. On les tue au dernier moment pour les monter, en évitant évidemment de les faire souffrir, une « pichenette » sur la tête suffit. Il faut donc les garder en vie dans un seau à vifs ou, très efficace, un seau de la marque Plano que l’on peut laisser dans l’eau attaché à une corde, ou si vous avez un vivier dans votre barque c’est le top. Certains pêcheurs congèlent des vifs pour des sessions de pêche. Cela permet sans aucun doute de ne pas se trouver sans proie car il est quelquefois aléatoire de prendre des vifs sur place et le passage chez le détaillant n’assure pas forcément de trouver des vifs en adéquation avec le poisson recherché. L’inconvénient majeur des poissons congelés : ils sont plus fragiles et se déchirent rapidement ce qui nécessite d’avoir un bon stock. On a aussi connu (enfin moi !) les poissons dans le formol dont l’odeur nous rebutait, je ne parle même pas des poissons ! On trouve néanmoins aujourd’hui des poissons sous vide dans un liquide de conservation sans odeur, cela peut manifestement dépanner mais rien ne vaut des poissons frais.
Le brochet au poisson-mort est une pêche sur le déclin pour des raisons quelquefois d’éthique mais aussi de logistique. C’est pourtant se priver d’une technique qui a fait ses preuves et garde des atouts incontestables pour une raison simple : jamais rien ne ressemblera plus à un poisson… qu’un poisson ! Pas besoin d’attractants, pas besoin de billes bruiteuses ou de palette, du dernier leurre que l’on s’arrache sur les réseaux sociaux. Le manié une valeur sûre tout au long de l’année et qui fait la différence sur des spots où la danse des leurres souples est quotidienne.