La pêche de la carpe à vue est une pêche particulière mais finalement accessible à beaucoup plus de pêcheurs qu’il n’y parait. Qui n’a jamais rêvé, assis sur son level, de pouvoir faire disparaître toute l’eau d’un lac ou d’une rivière, d’un claquement de doigt magique ? Beaucoup paieraient cher pour voir où les poissons nagent… voire où ils mangent ! Tout ceci n’est qu’un rêve… quoique !
Mieux qu’un miracle ou un fantasme, je vous propose la pêche à vue ! Quoi de plus excitant que de voir le fond de l’eau, de distinguer son montage reposant sur une petite tâche de sable à côté d’un grouinage récent. Lorsque l’on voit le fond, on pêche comme s’il n’y avait pas d’eau. Tout est vérifiable, analysable, ce qui rend cette pratique particulièrement palpitante. Facile d’accès, elle offre des résultats impressionnants. Je vibre toujours à l’idée qu’un poisson énorme puisse venir s’alimenter dans deux mètres d’eau, à l’endroit même où je scrutais le fond quelques heures auparavant. Nous allons dans cet article décrire cette approche qui ne laissera aucun carpiste indifférent.
Pêcher la carpe à vue
Cette pêche se pratique le plus souvent à l’aide d’un bateau pour des raisons évidentes. L’utilisation d’une embarcation permet d’avoir une vision globale de la zone que l’on désire exploiter. Debout sur le pneumatique, tout est en vue. Tout se dévoile sous nos yeux. La pêche à vue a cet avantage : elle permet de savoir exactement ce qui se passe sous le miroir. Une bonne paire de polarisantes est plus que recommandée. Quand on est patient, il est très fréquent de voir des carpes en maraude, parfois dans très peu d’eau. Mais il faut avoir l’œil et être discret: ces dames ne se laissent pas approcher facilement !
Comme dans tout type de pêche, choisir un bon spot est primordial. Et contrairement à ce que l’on pourrait croire, il n’est pas facile à déterminer. Quand on sonde avec un écho, les spots se comptent souvent sur les doigts de la main. Mais quand on pêche à vue, on a l’impression qu’il y a des spots partout ! Quand on voit le fond, toutes les différences de substrat, tous les herbiers, tous les enrochements, petits ou grands, sont susceptibles d’être exploités. Mais quel spot doit retenir notre attention ? Lequel choisir ? Mon frère et moi déterminons ceux qui nous semblent les meilleurs grâce à la technique suivante : nous essayons d’avoir une compréhension globale de la zone et de son activité. À force d’observer, on peut en général déterminer les trajets les plus fréquents des poissons, et affiner en fonction de cela le positionnement des montages. Parfois, on peut avoir la chance de voir les carpes se nourrir : dans ce cas, il n’y a pas à hésiter, il faut placer les montages pile dessus ! L’observation des poissons dans leur milieu naturel (leur attitude, leur comportement alimentaire) est donc ce qui va influencer le plus la manière dont on va aborder la pêche à vue. Si les carpes sont absentes, mais que le spot semble tout de même être prometteur, les grouinages sont des valeurs sûres : ils attestent des zones de nourrissage des carpes. Et à défaut de grouinages, on peut toujours (avec une grande marge d’erreur, mais c’est la pêche !) déterminer les zones intéressantes par élimination. Nous avons remarqué, par exemple, que les zones accueillant beaucoup de feuilles en décomposition sont très rarement productives, sans doute à cause de la modification du ph de l’eau qu’elles occasionnent, et par la faible quantité de nourriture qui s’y trouve. Nous avons également remarqué que certains types d’algues sont très mauvais pour la pêche. Plus particulièrement les algues vertes filamenteuses où il est quasiment impossible d’obtenir un départ si le montage est placé à l’intérieur.
Bien déposer son montage carpe en bateau
D’ailleurs, à ce propos, la technique de dépose du montage diffère de la méthode classique. Pour une efficacité et une précision optimales, il est préférable d’être deux. Voici comment nous procédons mon frère et moi. Un des deux reste sur le bord, canne en main, pick-up ouvert. L’autre part en bateau vers le spot muni du montage et de l’amorçage. Une fois arrivé sur le spot, le rameur enfile le masque de plongée et le tuba, pour y voir plus clair, se munit du montage dans la main droite et d’une rame dans la main gauche. Il se penche par-dessus le boudin du zod pour rentrer sa tête dans l’eau et ainsi voir parfaitement le fond. Il peut se diriger à l’aide de la rame pour se positionner et se maintenir parfaitement à l’aplomb du spot convoité. Avec l’autre main, il laisse coulisser doucement le montage en surveillant lors de la descente que celui-ci ne s’emmêle pas. La personne restée au bord doit veiller à ce que le fil sorte parfaitement du pick-up. Une fois que le montage a atteint le fond, la personne dans le bateau ajuste son positionnement. Il est important de bien distinguer le montage durant toute l’opération. En le bougeant au fond pour trouver le positionnement idéal, il n’est pas rare qu’une petite herbe se fixe à l’hameçon. Il faut alors récupérer le fil et recommencer l’opération. Une fois tout mis en place, le pêcheur resté au bord tend doucement la bannière et pose la canne sur le rod pod. Celui en bateau amorce pendant ce temps-là. Et le tour est joué ! Parfois nous mettons 5 ou 6 heures pour poser huit montages, mais cette méthode, lente il faut le reconnaître, est de loin la plus efficace et la plus précise.
Après tant d’effort, on ne veut surtout pas qu’un poisson blanc déplace le montage. Un lest de 200 grammes est le minimum requis pour cette pêche ultra précise. Concernant le reste du montage, peu importe. Chacun pourra composer avec ses envies perso ! Les montages les plus extravagants, ayant comme inconvénient de s’emmêler, pourront être utilisés sans problème. La vérification à vue du bon positionnement du montage autorise ce genre d’excentricité.
Mon frère et moi préférons de loin utiliser un masque et un tuba plutôt qu’un aquascope pour une raison simple. La pêche à vue permet une précision optimale, et pour être précis, il est important de pouvoir se servir de ses deux mains. L’un servira à ramer et se maintenir à l’aplomb du spot tandis que l’autre ajustera le positionnement du montage. Dans ce sens, masque et tuba sont mieux appropriés… Mais il faudra plonger la tête dans l’eau et parfois, en hiver, ce n’est pas vraiment un plaisir !
La carpe à vue est une technique de pêche à la carpe facile d’accès
La France possède de nombreux lacs et rivières où l’eau est cristalline, permettant la pratique de la pêche a vue. Moins il y a d’eau, plus cette approche est efficace. Elle se prête donc très bien à une pêche de bordure. Mais suivant la turbidité de l’eau, on pourra pêcher à vue jusqu’à 6 ou 7 mètres. Au-delà de ces profondeurs, il sera très difficile de voir correctement son montage et surtout la zone qui va l’accueillir. L’atout de cette pêche est clair : elle apporte une précision sans faille. Contrairement aux approches plus classiques, le fait de voir le fond permet de vérifier que le montage est positionné correctement, que l’hameçon ne repose pas sur des herbes ou sur des petites branches mortes. Cette technique permet de voir l’activité des poissons : grouinages, coquilles de moules écrasées sont autant d’indices sur les zones où les poissons mangent. Ces observations renseignent aussi sur le trajet supposé des carpes. Ces indices sont essentiels. Cela permet de choisir avec minutie l’axe de son bas de ligne ce qui est déterminant pour obtenir de bons résultats. Pour bien pêcher une carpe, mieux vaut savoir de quel côté elle arrive sur l’appât. Rappelons que selon l’angle d’arrivée du poisson sur l’appât, un même montage peut-être très efficace ou inopérant. Sans rentrer trop dans le détail, puisque des articles ont déjà traité le sujet, le mieux est de positionner le bas de ligne dans le sens d’arrivée du poisson.
Je vois aussi un autre avantage majeur de la pêche de la carpe à vue: la possibilité d’ajuster en permanence et avec précision les quantités d’amorçage. En allant vérifier régulièrement ses spots, il est facile de déterminer l’activité des carpes, des poissons blancs également, et leur impact sur l’amorçage. Si nécessaire, il est possible de réamorcer et de varier les quantités et la dispersion de bouillettes, graines et particules. On ne se rend souvent pas compte à quelle vitesse les appâts disparaissent dans l’eau, surtout les graines. Il arrive fréquemment qu’un ou deux kilos de graines soient consommés en quelques minutes par une horde de poissons blancs. Mieux vaut alors réamorcer en augmentant les quantités.
Dans certains lieux de pêche, les carpes ne sont vraiment pas méfiantes envers les embarcations. Avec une approche discrète, il est possible de voir évoluer dame carpe dans son milieu, d’observer son comportement vis-à-vis de la nourriture ou vis-à-vis de ses congénères. D’ailleurs, mon frère et moi aimons autant observer les carpes que les pêcher. Mais ne vous y trompez pas, les carpes que l’on peut approcher ne sont pas pour autant les plus faciles à capturer.
Anecdote de pêche
Il me vient en tête une anecdote surprenante sur la pêche de la carpe à vue. Mon frangin et moi pêchions un bras mort du Rhône. J’avais repéré en bordure, au milieu d’un Y formé par deux branches d’arbre, une petite tache de glaise. Je décidais d’y poser un montage esché de deux grains de maïs… J’amorce puis attends. Mais quelque chose ne va pas, je suis traqué par l’idée de ne pas avoir positionné mon bas de ligne correctement. Je remonte la ligne et recommence l’opération. En arrivant sur le spot je constate à mon plus grand étonnement qu’il n’y a plus un seul grain de maïs sur le fond. Le spot a été lessivé en 15 minutes. Je redépose mon montage et amorce copieusement. 45 minutes plus tard, je retourne en bateau contrôler mon spot et j’observe la même chose que la première fois. Mon spot a été totalement nettoyé alors que je n’ai pas eu un seul bip. Rebelote, je remets tout en place. Nouvelle vérification 30 minutes plus tard et même constat. C’est hallucinant ! Je décide de changer mon montage et de placer un cube de mousse sur le cheveu pour faire flotter mon maïs. Ainsi, je compte berner le poisson qui joue avec mes nerfs. Quelques minutes après avoir redéposé mon montage, j’ai dans l’épuisette ma voleuse d’amorçage. C’est une commune profilée, typique du Rhône : pas très grosse, mais vraisemblablement très maline ! Si je n’avais pas pu observer ce qui se passait, je n’aurai jamais pu prendre les bonnes mesures pour leurrer ce poisson.
Conclusion de pêcheur
Mon frère et moi avons su tirer énormément d’informations des observations faites lors des pêches à vue, que ce soit sur la méfiance des carpes, le positionnement des montages, l’impact de l’amorçage. Elle nous a permis de capturer bon nombre de gros poissons et, le plus important, nous a procuré des vibrations extrêmes ! Certes, il n’est pas possible de pratiquer cette technique dans toutes les eaux, mais je recommande à tout le monde de ne jamais oublier son masque car on ne sait jamais ce qui peut arriver !