Nos eaux douces m’ont offert durant ma vie de pêcheur tous les poissons qu’on peut y trouver, du goujon au saumon mais il restait un poisson qui manquait à mon « palmarès », le corégone. Il faut dire que ce salmonidé n’est présent que dans quelques lacs en France, essentiellement dans les Alpes et le Jura. J’ai donc décidé d’aller le traquer dans le lac Léman, le plus réputé pour l’abondance et la taille exceptionnelle de ses corégones, baptisés ici Féras.
Le début du printemps, une période particulièrement faste.
En faisant appel à mes amis Etienne et Alban qui habitent à proximité, je ne partais pas dans l’inconnu. Tous deux étaient formels : la meilleure période se situe en début de printemps entre mi-mars et mi-avril. C’est la période d’éclosion massive des larves de chironomes (« vers de vase ») en eaux peu profondes qui attire les féras en grandes quantités. Le restant de l’année, les poissons sont beaucoup plus dispersés, suspendus entre deux eaux ou à fond, sur des profondeurs beaucoup plus importantes (jusqu’à 50 mètres, voire plus). C’est donc logiquement que nous avions choisi le dernier week-end de mars pour ce séjour de pêche… qui a du être repoussé en raison de conditions météo défavorables. Bien nous a pris, car c’est sous un soleil presque estival et des eaux lisses comme un miroir que nous avons pu pêcher le week-end suivant.
Une première pour moi, la pêche en kayak
C’est avec Etienne que j’ai débuté ce séjour, avec deux jours de pêche en kayak. Nous les chargeons sur le toit de la voiture pour une mise à l’eau en territoire Suisse sur une cale miniature. N’ayant jamais pratiqué ainsi, et n’ayant plus la souplesse ni le poids de mes 20 ans, c’est avec un peu d’appréhension que je m’installe dans le kayak : il faut dire que si le soleil est radieux, les eaux sont encore bien fraîches… Le kayak de marque Hobie mis à ma disposition par Etienne est parfaitement conçu pour la pêche et équipé d’un pédalier pour se déplacer. Ca tangue un peu lors de mon installation, mais je me sens rapidement à l’aise après quelques dizaines de mètres. Seul Etienne étant équipé d’un échosondeur, je me contente de le suivre pour une reconnaissance du plateau que nous allons prospecter. Dès que nous arrivons sur une profondeur de 7 mètres à une centaine de mètres du bord, Etienne me signale la présence d’échos caractéristiques qu’il me montre sur son échosondeur. La densité des détections s’intensifie jusqu’à une douzaine de mètres pour disparaître dès que nous dépassons les 15 mètres : la zone de pêche est définie, et nous couplons les kayaks pour le restant de la journée afin de profiter à deux de l’échosondeur…Et de la maîtrise de son embarcation par Etienne !
Un matériel particulièrement léger
On utilise des cannes très légères au scion ultra fin en fibre de verre pour la détection des touches : il s’agit de cannes conçues spécifiquement, mais une canne type rock-fishing fait parfaitement l’affaire dès lors qu’elle est suffisamment longue pour gérer la fin du combat quand le poisson tourne autour du kayak (2m à 2m40). Un moulinet de taille 1000 (équivalent Daïwa ou Shimano) équipé de tresse de 8 à 10 centièmes complète l’équipement. La ligne est une « gambe » terminée par un plomb d’une quinzaine grammes précédé d’un émerillon pour éviter tout vrillage (plomb « Arlesey »). La gambe montée en 18 centièmes et d’une longueur de 2 mètres est armée de 4 nymphes montées sur de courtes potences, d’autant plus espacées qu’on s’éloigne du plomb terminal selon une formule secrète… dont chaque pêcheur détient sa vérité. Certains pêcheurs utilisent jusqu’à une quinzaine de nymphes quand il s’agit de rechercher les poissons suspendus entre deux eaux par grands fonds ! La réussite de la pêche dépend en grande partie du choix des nymphes qui doivent imiter au plus près les larves dont se gavent les féras, en taille comme en couleur. Parmi sa boîte bien garnie, Etienne opte sans hésiter pour des imitations de larves de chironomes de grande taille montées sur hameçons numéro 10, de couleur rouge et noir, ou noir et rouge. Les féras valideront immédiatement ce choix, et les autres gambes montées avec des nymphes beaucoup plus petites (jusqu’à des hameçons numéro 16) et de couleurs variées (notamment dans les couleurs verdâtres ou olivâtres) ne quitteront pas leur boîte. Les gambes sont montées avec minutie par Etienne et je comprendrai mieux le soir même son désappointement quand j’emmêlerai irrémédiablement ma gambe ou casserai des potences : il faudra compter 4 heures pour le montage de 3 gambes et leurs nymphes qui serviront le lendemain. Il est bien sûr possible d’en acheter chez des monteurs locaux, mais le plaisir est plus grand de pêcher avec ses propres montages… Et c’est plus économique !
Une pêche à la « nymphe à vue »
La pêche traditionnelle consiste à « s’ancrer » dès que l’on a repéré un banc de féras, soit avec un poids, soit en positionnement statique au moteur électrique : il ne reste plus qu’à attendre que les poissons repérés s’approchent de la ligne, quitte à se déplacer si cela tarde à venir. L’approche en kayak est beaucoup plus précise et s’apparente à une véritable traque. Par vent faible, on dérive très lentement (moins de 1 nœud) pour passer tôt ou tard sur les bancs de poissons. La dérive peut être contrôlée à la pagaie, mais le pédalier est un vrai plus : quelques coups de « pédale » suffisent à se stabiliser à leur verticale, ou à les rechercher un peu plus loin. Un système de « rétro-pédalage » permettant de couper immédiatement l’erre du kayak apporterait encore plus de précision dans son positionnement, et est d’ailleurs maintenant proposé par la marque Hobie, dont s’est immédiatement équipé Etienne. L’exercice est nettement plus difficile quand le vent s’en mêle comme ce fut le cas en fin de notre 2ème journée, car il faut en permanence maintenir la proue du kayak face au vent pour éviter de se mettre en travers et de partir en dérive trop rapide. J’avoue ne m’être rendu compte qu’à ce moment de l’importance de cette conduite toute en finesse du kayak entièrement assurée par mon ami alors que nos deux kayaks étaient couplés !
La gambe est immédiatement descendue en douceur dès que les poissons sont repérés, et on peut suivre ses nymphes et l’activité des poissons à vue avec un échosondeur performant. La pêche est lente et appliquée. Selon l’humeur des poissons, sans doute calquée sur le comportement des larves de chironomes, il faut garder la ligne parfaitement immobile au ras du fond, ou au contraire l’animer par une dandine très lente. Elle demande une extrême concentration de tous les instants tant les touches sont subtiles et diverses. Il y a bien sûr les touches immanquables, celles où on ressent une franche tirée sur la ligne : mais c’est assez rare, et correspond au cas où le poisson s’est piqué seul sur la ligne. Nous aurons droit à des arrêts de la gambe à la descente, des mous dans la ligne avec le poisson qui remonte, ou le plus souvent à de simples frémissements du scion ; toute anomalie dans le comportement de la ligne doit être sanctionnée par un ferrage ample sans violence. Il n’est pas rare de se retrouver en prise avec un poisson sur un ferrage réflexe dont on ne sait même pas ce qui l’a déclenché ! Certains poissons ont même été ferrés en les voyant s’approcher d’une nymphe à l’échosondeur. Et comme les nymphes sont rapprochées, c’est parfois par la queue qu’un autre poisson se fait surprendre par le ferrage. Pour améliorer la perception des touches, les spécialistes tiennent le moulinet par le pied avec l’index sur la poignée de la canne. Peu à l’aise avec cette manière de faire, j’ai opté pour une tenue de la canne plus classique. Mais il m’a fallu quelques temps pour assimiler cette pêche, Etienne alignant 5 captures avant que je touche mon premier poisson. Il avait prévu de faire une petite compétition entre nous, chaque prise étant enregistrée sur un compteur à main. Je rattraperai mon retard et nous finirons par un « match nul » à l’issue de ces 2 journées de pêche, avec 65 poissons chacun.
Des poissons survitaminés
Le combat de ces poissons est étonnant, par sa puissance et son côté imprévisible. La Féra enchaîne des rushs puissants, parfois après s’être laissée remonter dans la colonne d’eau sans offrir de résistance avant de sonder en force. Et cela finit toujours par un rodéo à l’arrivée au kayak dont elle peut faire parfois plusieurs fois le tour. L’expression « une main de fer dans un gant de velours » prend alors tout son sens, car le combat est interminable si on ne la bride pas suffisamment, mais à l’inverse, les décrochages sont fréquents si on se montre trop brutal avec ce poisson à la gueule très fragile. J’enregistrerai même 2 casses pour avoir voulu serrer un peu trop mon frein, dont une sur un poisson vraiment très gros qui m’avait pris plus d’une cinquantaine de mètres suite à ses rushs à répétition. Il faut dire que la taille de nos prises a été particulièrement élevée avec une moyenne de 50 cm (soit la taille maximum dans la majorité des lacs), et plusieurs dépassant les 60 cm (avec un poisson trophée de 66 cm, battant à cette occasion le record de mes 2 amis). A taille équivalente, c’est incontestablement un de nos poissons d’eau douce les plus puissants.
Au dire de mes amis, nous avons réalisé une pêche exceptionnelle, avec une réussite bien supérieure à tout ce qu’ils avaient connu jusqu’à présent. Nous ne connaîtrons qu’un « temps mort » de 2 heures durant ce séjour, correspondant à une éclosion massive de chironomes : le temps pour nous de la pause déjeuner en milieu d’après-midi, et de se dégourdir les muscles ankylosés ! Et c’est à la main le long du kayak que nous nous sommes saisis de nos prises dont une grande partie nous a alors échappé « par maladresse », le no-kill étant interdit sur le territoire Suisse où nous pêchions. Mais les poissons gardés étaient un vrai régal dans l’assiette !
Féras en Bass-boat pour finir le séjour
J’ai pu comparer le lendemain avec une pêche plus traditionnelle sur le Bass-boat de mon ami Alban, plutôt conçu pour la traque des brochets géants du Léman qu’il traque avec succès.
Le Bass-boat est beaucoup plus confortable et permet de parcourir rapidement des distances importantes. Nous avons pu apprécier cet avantage qui nous a permis de regagner rapidement notre mise à l’eau alors que de gros nuages s’étaient formés rapidement, que le vent avait fraîchi brutalement, levant de fortes vagues moutonnantes. Un autre pêcheur qui pratiquait en kayak est rentré exténué dans ces conditions météo difficiles que les prévisions n’avaient pas annoncé. Mais le bateau demande une logistique beaucoup plus importante, notamment au niveau de la mise à l’eau. Et il n’offre ni la même discrétion, ni la même précision dans le placement pour la pêche.
Avantage donc pour le kayak par grand beau temps, et cette traque des poissons au ras de l’eau est particulièrement « jouissive ». Mais il ne faut pas jouer avec la sécurité, notamment en portant un gilet de sauvetage, et rester à proximité d’un abri par temps incertain.