S’il y a un poisson qui anime tant la curiosité que la passion ou la poésie, il s’agit bien de l’ombre commun. Autant par son caractère capricieux ou sa robe légendaire, il hante les nuits de nombreux moucheurs. Moucheurs ? Oui ! Car s’il est admis que l’ombre mord parfois au toc, aux appâts naturels, la noblesse de sa capture rime souvent avec capture à la mouche. Mais il est tout à fait possible de traquer l’étendard au leurre, avec une approche particulière, quoi qu’on en dise.
La première fois que j’ai aperçu ce magnifique poisson dans la haute Moselle, je me suis tout de suite vu en train de fouetter une nymphe pour sortir l’ombre. Je restais cloîtré dans l’idée qu’il n’était possible de leurrer l’ombre commun seulement qu’à la mouche. Qui plus est, ne m’étant jamais mesuré à ce salmonidé, je ne savais pas comment duper le thymallus thymallus qui, au dire de beaucoup, est l’un des plus capricieux de nos poissons, capable de reconnaître une imitation d’une vraie proie. Je restais donc à l’observer du haut de mon pont, ne me doutant pas qu’il était possible, en respectant quelques astuces simples de prendre l’ombre au leurre.
Sortir de l’ombre
La révélation est apparue bien loin de la Moselle, en Normandie. Je pêchais alors la truite dans l’Iton. Armé de mes lunettes polarisantes et d’un ILLEX Tiny Fry 38 monté sur une Ashura Pepper S210UL, je vois, dans l’eau légèrement piquée, suivre un poisson mais l’attaque avorte. Je pense alors naturellement à une belle truite. J’observe le poisson qui se cale face au courant. Je lance sur la berge en face, soigne ma dérive, tout en ramenant le Tiny Fry. Le leurre passe juste devant le poisson qui s’en empare violemment. Je ferre franchement, et qu’elle ne fut pas ma surprise, en voyant se débattre furieusement au bout de ma ligne un bel ombre commun. Le combat est singulier : des coups de tête rageurs et une farouche tenue au courant. Je mets alors au sec mon premier ombre commun de 45cm avant de relâcher délicatement le valeureux adversaire…
Un comportement ichtyophage
Fort de cette expérience que je crois d’abord exceptionnelle, je retente ma chance sur d’autres ombres. Je m’aperçois alors qu’il est tout à fait possible de pêcher l’ombre commun au leurre, ayant eu postérieurement de nombreuses attaques et captures sur plusieurs secteurs. Ce que je croyais être une attaque ponctuelle sur une petite proie facile, comme le font d’autres poissons loin d’être carnassiers, était en fait un acte traduisant le caractère ichtyophage, aussi ponctuel soit-il, de l’ombre commun. L’opportunisme et la compétition alimentaire aidant, l’ombre commun, se nourrit bel et bien de petits alevins, comme énormément d’autres poissons. Je me suis intéressé alors à la traque de ce poisson au leurre. Sur internet, il est possible de voir quelques ombres capturés ainsi, ce qui corrobore parfaitement mes hypothèses, quant à la démarche à tenir pour leurrer le salmonidé. L’ombre est présent dans de nombreuses rivières de France. Il donne son nom à la zone homonyme qui correspond à son habitat. Ce salmonidé exigeant en termes de qualité du milieu est un signe de bonne santé des cours d’eau. On croisera l’ombre sur les rivières classées en première catégorie celui-ci partageant très souvent son habitat avec un autre salmonidé, la truite fario. L’ombre est présent dans le Nord-est de la France, sur la Dordogne, l’Ain ou encore en Normandie. Il faudra naturellement privilégier les zones où sa présence est avérée et sa population solide pour pêcher l’ombre à l’ultra léger.
Leurrer l’ombre
L’ombre est un poisson capricieux. La taille de sa bouche est inférieure à celle de la truite ce qui ne lui autorise pas des « chasses » aussi explosives. Les leurres devront donc prendre en compte ce paramètre morphologique et être de petites tailles. C’est pour cela qu’on parle bien de pêche à l’ultra léger (UL). Autre paramètre déterminant pour le choix du leurre, la façon particulière qu’à l’ombre de se saisir d’un leurre : il faut que ce dernier passe à proximité de l’ombre (nez au courant) et lentement. Deux catégories de leurres sortent du lot, étroitement liées à la façon de prospecter en quête d’ombre. Les petits crankbait et minnow de moins de quatre centimètres. Ils doivent parfaitement tenir le courant et émettre de forts signaux vibratoires même par courant faible ou ramené lentement. Mon leurre fétiche pour l’ombre et le Illex Tiny Fry dans sa petite taille (38mm), qui est un tout petit poisson nageur qui frétille fortement. L’autre leurre adéquat, est la cuillère tournante de la n°00 à n°1. Côté coloris, les flashy ne font pas peur à l’étendard, bien au contraire. N’hésitez pas à utiliser des coloris mat tiger ou chartreux quand les eaux sont hautes et troubles. Lorsque les eaux sont claires, je privilégie les coloris plutôt naturels ghost (transparent) qui font bien réagir l’ombre. Le ghost Wakasagi d’Illex est mon coloris favori dans les eaux claires.
Pour lancer et travailler ces petits minnow, utilisez votre canne ultra légère pour la truite, qui fera parfaitement l’affaire. Je me permets d’ailleurs de proposer la Stream Master S1712L twitching Special qui sera parfaite dans cet exercice. Des cannes au succès avéré, aussi techniques que polyvalentes. Côté fil, un nylon fin de 12/100 à 16/100 sera parfait.
Bien animer son leurre
Même si l’ombre attaque les leurres, il ne s’agit pas d’un grand suiveur et pour le pêcher ainsi le mieux reste la pêche à vue. En effet, la pêche au leurre de l’ombre en pleine eau est assez ingrate et n’offre pas de bon résultat. Cela s’explique car l’ombre ne se déplace pas de loin pour se saisir d’une proie (qui plus est mouvante) et il faut que le leurre passe très près de notre salmonidé pour qu’il s’y attaque. Pour le traquer à vue équipez-vous en conséquence avec de bonnes lunettes polarisantes, si ce n’est pas déjà fait. Vos déplacements sur la berge doivent être discrets, il s’agit ni plus ni moins d’une pêche à rôder. Une fois l’ombre repéré, effectuez un lancer trois quarts aval, pour une dérive et un travail optimal du leurre dans le courant. Le leurre doit circuler lentement, de manière linéaire et passer juste devant l’ombre. L’attaque intervient souvent juste après que le leurre soit passé devant l’ombre ou lorsque le leurre arrive linéairement vers le pêcheur, le long de la berge. La pêche à vue vous permettra de voir l’attaque qui est franchement violente. Il n’est pas non plus rare que l’ombre suive le leurre qui est passé juste devant lui pour ne s’en saisir qu’une fois ce dernier ayant ralenti sa course, ne nageant plus qu’avec la force du courant le long de la berge, presque sur place. Le ferrage nécessite d’être bien dosé et les hameçons piquants. Après l’attaque voilà enfin votre premier ombre au leurre. Ecourtez le combat au maximum, mettez à l’épuisette le bel étendard, prenez quelques photographies souvenir et relâchez cette prise pleine de grâce… Un poisson à protéger, tant par sa beauté que sa relative rareté. Mais si vous ratez votre ferrage, pas de panique. L’ombre a en effet la tendance à se replacer et vous pourrez le tenter surement une nouvelle fois.
Toujours concernant l’ombre, sachez que ce dernier possède une période de fermeture de pêche qui lui est propre. Celle-ci correspond à sa période de fraie. L’ouverture de la pêche de l’ombre à lieu le troisième samedi de mai (en première et deuxième catégorie) et il est rigoureusement interdit de le traquer de quelque façon que ce soit avant cette date, alors attention !
Conclusion
Au travers de la pêche au leurre, l’ombre montre une autre facette, ludique qui ne joue en rien contre son caractère de poisson dit « noble ». Sa pêche reste subtile et sportive, et nécessitera d’être précis dans l’approche et les lancers. Me concernant, j’ai eu la chance de pêcher l’ombre en milieu urbain, un peu façon street fishing et je dois dire qu’au milieu des truites, cela créer un sacré dépaysement et de belles émotions.