Il est des techniques qui à leur époque ont impulsé un réel bouleversement dans la façon de pêcher ou dans le matériel à employer puis qui doucement sont tombées dans un oubli relatif, remplacées par d’autres plus modernes. Parmi ces techniques, la tirette fut une révolution au même titre que le mort manié auquel elle tenta de succéder. D’une efficacité rare, d’une simplicité déconcertante, elle reste l’arme des pêcheurs malins qui recherchent l’ efficacité et la finesse.
Plongeons-nous dans les années fin 80, début 90. Une technique appelée tirette arriva d’on ne sait où et en quelques mois devint l’apanage du pêcheur de carnassiers le plus pointu. Les fabricants sentent qu’un nouveau marché se met en place et les rayons des détaillants se remplissent de cannes de 2,7m dont le scion plein en fibre est teinté de rouge pour mieux percevoir la touche. La tirette devient une mode et tout pêcheur digne de ce nom s’offre une canne dédiée et un moulinet à ratio lent. A ce moment hormis les Rapala et les Twist on ne pratique pas encore au leurre comme actuellement.
Histoire de la tirette
La tirette est restée assez longtemps une véritable inconnue pour moi, faut-il vous rappeler que le seul vecteur de communication de l’époque était les magazines. Et si un de ces derniers s’emballait pour cette technique, il n’en livrait pas encore tous les secrets, c’est donc pétri de questionnements que je m’essayais à la tirette après avoir acheté ma première canne « à bout rouge ». On voyait fleurir partout ces cannes si particulières, chaque pêcheur de carnassiers s’en était équipé et durant une saison le mort manié et ses secoueurs de poissons morts fut totalement éclipsé au profit de pêcheurs calmes, traînant délicatement sur le fond un vif frétillant.
Les premiers montages étaient grossiers et n’étaient qu’une simple évolution de la pêche au vif en plombée, une pêche au vif dynamique où on ramenait doucement son vif sur le fond en lui faisant faire quelques pauses.
Au fil du temps les montages se sont affinés, les plombs olive ont été remplacés par des lests spécifiques qui pouvaient, si on en croyait l’argument du fabricant, passer au travers des cailloux.
La tirette vit arriver les cannes carbone en 5/15g, les scions en carbone plein, les tailles 2,70 et 3m pour le bord et quelques rares 2,1m pour pêche en bateau dont je possède encore un exemplaire.
Cette technique trôna longtemps au pinacle des plus utilisées puis elle perdit doucement, années après années, ses pratiquants les plus assidus au profit des leurres clinquants arrivés des Etats Unis et du Japon.
Tirette pour le sandre et la perche
La tirette est si efficace qu’elle prendra tous les carnassiers de France. Elle est surtout redoutable sur le sandre que beaucoup de nos contemporains pêchent toujours avec l’intention d’en faire un bon repas. J’ai même pratiqué la tirette en mer sur des fonds sableux par près de 30m de fond pour y rechercher le bar au lançon vivant. Cette efficacité et cette simplicité vient du fait que c’est le vif qui fait tout le travail d’animation, le pêcheur ne fait que le déplacer pour couvrir plus de terrain.
Selon les poissons visés on adaptera la longueur du vif à mettre en œuvre mais aussi le matériau du bas de ligne avec une tresse armée obligatoire là où il y a du brochet.
Pour le sandre qui appréciera plus les fonds sableux ou caillouteux, on utilisera un vif compris entre 6 et 12 cm, rarement plus. Même si on sait qu’un gros sandre attaque des brèmes de 30 cm, il est bien évident d’une part qu’on ne pourrait jamais lancer un tel poisson sur une canne tirette, mais aussi on a remarqué que les petits vifs étaient les plus efficaces sur le sandre.
Certaines connaissances qu’on appelle « vieilles mains » et qui pratiquent régulièrement depuis plus de 20 ans utilisent beaucoup le goujon pour pêcher le sandre, même si celui-ci ne peuple pas le plan d’eau pêché il semble que sa propension à rester près du fond intéresse fortement ce carnassier.
On peut pêcher jusqu’au silure à la tirette, en ce cas les montages comme les vifs devront être costauds et les pêcheurs aussi s’ils veulent lancer. Cette tirette au silure se pratique la plupart du temps en dérive au bateau car lancer un vif de plus de 20 cm, même bien équipé deviendrait vite trop fatiguant.
La technique classique est d’une simplicité déconcertante car elle consiste à lancer le montage sur le poste supposé, laisser le vif batifoler 10 secondes, le tirer doucement sur deux mètres et recommencer le manège. Le plomb en labourant le fond va soulever des particules qui vont immanquablement attirer d’autres poissonnets, et par conséquent des carnassiers.
On tiendra la canne entre 10 et 11h pour tendre la tresse et bien mettre en tension le scion, on ramène le montage non par la canne mais en moulinant.
En dérive et en bateau, on pourra utiliser un lest dit « bouboule », un plomb rond qui va rouler sur le fond et qu’on attache à la ligne par des œillets. Usage d’un très long bas de ligne car ce montage n’est pas coulissant.
La touche à la tirette
La touche discrète du sandre se manifeste par une simple sensation d’arrêt suivie d’un ploiement du scion représentant le poisson qui s’en va avec votre vif en gueule. Quelquefois le scion tremblotant ou des secousses ressenties au poignet vont figurer l’attaque imminente et la peur du vif.
Avec le brochet l’attaque est généralement plus franche et se ressent bien dans la canne, avec la perche c’est aussi très souvent une attaque puissante qui ne laisse pas planer le doute sur la touche.
Avec un bas de ligne court, ferrez à la touche, avec un long lorsque ça chipote comptez jusqu’à 3 avant de ferrer.
Les montages pour la tirette
Si le montage avec une olive simplement enfilée sur le corps de ligne a encore ses adeptes, la plupart sont passés à des lests dont la forme a été spécialement étudiée pour cette technique. Dans 99 % des cas le montage est coulissant mais un montage fixe en dérivation peut permettre d’éloigner le vif des endroits les plus dangereux.
Auparavant je garnissais mes œillets de lest à tirette d’un petit morceau de tube silicone afin d’éviter le frottement de la tresse sur les bavures de cet orifice. La tresse fine était si fragile il y a 20 ans qu’une simple bavure de plomb pouvait la râper et entraîner une coupe. La tête de ligne en fluorocarbone a réglé le problème définitivement.
Le bas de ligne est l’élément essentiel selon moi, il doit être fin et discret donc fluoro ou nylon mais de grande qualité. J’aime les bas de ligne longs d’environ 40 cm qui laissent une seconde ou deux de répit avant d’être ressentis par le sandre qui risque fort de recracher contrairement au brochet ou à la perche, bien qu’ils leur arrivent de le faire aussi.
La dernière astuce concerne l’hameçon que je préfère assez gros, pour la simple raison qu’il se piquera mieux qu’un petit mais il demande un vrai ferrage qu’on a plus l’habitude de faire. Un ferrage musclé mais dosé, qui doit piquer l’hameçon dans la gueule dure du carnassier sans faire céder la ligne.
Pour les endroits encombrés de roches j’ai trouvé la solution en utilisant des plombs enfoncés sur des tubes plastiques souples ou un morceau de cordage plombé. Ça passe très bien les obstacles et ça permet de pratiquer la tirette là où personne ne pouvait le faire sans s’accrocher à chaque passage.
Un montage tirette simplissime
Enfilez un plomb balle sur votre corps de ligne en tresse, à sa suite placez une bille caoutchouc pour protéger votre nœud de jonction avec un émerillon. Sur ce dernier fixez un bas de ligne en fluorocarbone de 20 à 25 centièmes qui se terminera par un hameçon simple de qualité en n° 2. N’oubliez pas d’assurer le vif par un morceau d’élastique piqué sur l’hameçon.
Matériel de pêche à la tirette
Les cannes à scion souple teintés en rouge sont devenues quasiment inutiles pour une raison toute simple : la tresse. En effet celle-ci transmet instantanément les vibrations et les qualités actuelles des blanks font qu’on les ressent plutôt bien dans le poignet. Auparavant avec les nylons et leur élasticité accompagnée de la quasi absence de transmission des vibrations, le scion rouge servait d’indicateur un peu à la façon d’un scion de feeder. Si ce type de scion peut encore avoir son utilité sur une canne posée sur un support, une fois tenue en main on ressentira la touche dans le poignet avant même de voir le scion ployer. Néanmoins ce scion très souple est un avantage les jours de vent, de froid où les sensations sont atténuées par les conditions météo. Si au corégone, par exemple, un tel scion se révèle encore indispensable c’est qu’il va retransmettre le moindre mouvement de ce qui se trouve au bout de la ligne, en l’occurrence une nymphe inerte qu’on verra se faire aspirer alors qu’à la tirette le vif fera bouger le scion à de trop nombreuses reprises.
Si la tresse a apporté un nouveau regain à la tirette, elle fut aussi pour une part responsable de sa désaffection. La tresse résiste très mal à l’abrasion et la tirette fait frotter votre fil sur le fond. Certaines tresses reçoivent un apprêt résistant aux frottements mais cet apprêt ne résiste pas au temps et votre tresse finit par devenir comme toutes les tresses qui existaient auparavant, très fragiles au frottement sur les cailloux. L’idéal est d’adjoindre à votre tresse une tête de ligne en fluorocarbone de deux mètres sur un fluoro de 25 à 30 centièmes, voire un nylon traité comme il en existe dorénavant, moins souple et plus résistant que les autres nylons et qui possède l’avantage d’être aussi moins cher que le fluorocarbone.
Au niveau du moulinet, les freins actuels progressifs sont idéaux, on veillera à choisir juste un ratio très lent car tirette rime avec lenteur et concentration.
J’ai remisé ma canne tirette depuis un certain temps pour une canne leurre souple en puissance ML équipé d’anneaux micro guides placés très près du blank. Ceux ci transmettent mieux les vibrations et la pointe du scion assez fine réagit à la moindre touche.
Le choix de la rédaction pour un ensemble tirette :
- Une canne spéciale tirette de 2,70 en deux brins
- Un moulinet spinning frein avant à ratio lent
- Une tresse solide traitée contre l’abrasion
- Du fluorocarbone en 25 centièmes pour le bas de ligne
- Des lests de 10 à 20g
- Des hameçons simples de la taille 4 et taille 2.
La tirette n’est pas morte
On pourrait croire que la tirette est morte de sa belle mort, oubliée de tous. Mais elle a encore de beaux jours devant elle car nombre de pêcheurs recherchent avant tout l’efficacité et la simplicité, disciplines où elle règne sans partage. La tirette ne se pratique pas non plus qu’avec des vifs, j’ai été moi même le témoin de son efficacité avec des leurres souples ou des poissons morts conservés dans un liquide bleu, à tester les jours où les carnassiers semblent bouder.