Pêcher la carpe dans les grands espaces sauvages

La diversité des lieux de pêche à la carpe est l’une des richesses de notre passion. Rivière, petite gravière, grand lac, chacun fera son choix et mon frère et moi aimons nous diversifier, mais en toute honnêteté, ce sont les grands espaces sauvages qui nous font le plus vibrer. Ils sont sublimes, permettent d’être au contact de la vraie nature, et même de pratiquer une pêche très authentique, humble, parfois proche de sa forme originelle.

Humble, car la compréhension des espaces sauvages les plus grands est impossible. Ils évoluent, se reconfigurent sans cesse, et c’est pour ces raisons que savoir appréhender de grandes étendues d’eau n’est pas une mince affaire. C’est une pêche souvent difficile où chaque carpe se mérite, où l’on se souvient de chaque capture, où chaque bip fait monter l’adrénaline. Les solutions n’existent pas, car le problème posé par ces zones de pêche est lui-même difficile à cerner. Mais un certain nombre de notions et de principes généraux permettent de mieux se positionner face aux interrogations — nombreuses — que nous sommes amenés à nous poser sur les berges des grands lacs et dans grands fleuves.

 

Pêcher la carpe dans les grands espaces sauvages
Une belle récompense

Ne pas foncer tête baissée

La première chose à faire lorsque l’on veut aborder un grand espace sauvage est de se renseigner préalablement. Connaître la législation est évidement essentiel mais il faut se renseigner sur de nombreux autres points. Un gros travail sur la topographie doit, en principe, être réalisé en amont. Ainsi, pour un lac de barrage par exemple, on peut s’interroger sur le trajet du lit des rivières tributaires, sur la profondeur des différentes zones, les hauts-fonds les plus importants, les zones en pente douce ou au contraire très abruptes, les zones de fraie potentielles (peu profondes, avec de la végétation immergée), etc. Google maps est un outil fantastique pour ce type de travail, mais il est également intéressant de se procurer des cartes topographiques datant d’avant la mise en eau du lac. On pourra repérer les anciennes routes (souvent d’excellents spots), se faire une idée de la topographie générale du fond, etc. Une fois le travail topographique terminé, on s’intéressera à d’autres paramètres. Les vents dominants tout d’abord. Ils sont essentiels car ils influent énormément sur le déplacement des poissons. Il est intéressant de repérer les baies ou pointes les plus souvent exposées. Elles ont de fortes chances d’être fréquemment visitées par des bancs de carpes, et en général, ce sont des hauts-lieux pour la pêche.

Autre point. Les éventuels lâchers de barrage en amont ou en aval de la pièce d’eau doivent pouvoir être anticipés. Il faut donc connaitre un minimum l’hydrographie des lieux. D’ailleurs, d’un point de vue général, tous les mouvements d’eau sont intéressants. Connaître le marnage, par exemple, est essentiel dans les lacs de barrage. En fin d’été, le niveau d’eau peut baisser fortement mettant à nu des surfaces considérables. Dans certains lacs de plaine, le marnage peut réduire la surface du lac de moitié. Non seulement il faut connaitre ce mouvement d’eau pour mieux anticiper les changements de comportement des carpes inhérents à ce phénomène, mais en plus, c’est à ce moment qu’il faut sortir son GPS, son appareil photo, et son calepin, et repérer les spots asséchés qui seront, à un moment où à un autre, les lieux qui vous rapporteront quelques captures.

 

Un long repérage de 5 ans aura fini par payer

Le cheptel de carpes et les appâts

Parlons plus précisément de la pêche. La connaissance du cheptel, qui réclame souvent quelques mois de pêche et de repérage sur la pièce d’eau qui vous intéresse, doit aboutir à un ajustement des quantités d’appâts à utiliser. Mais même sans avoir cette connaissance, on peut au moins se rappeler que : 1) Les espaces sauvages sont peu ou ne sont pas soumis à des empoissonnements réguliers. A la création d’un lac, on alevine quelques miroirs et communes. C’est ensuite la nature qui fait le reste. Ainsi, dans la majorité des cas, on rencontre un cheptel de carpes (parfois faible) de type pyramidal : beaucoup de petits poissons, moins de poissons intermédiaires et peu de gros sujets. 2) En ces lieux sauvages, les poissons rencontrent très rarement de la nourriture artificielle. Même si un poisson peu mordre à une bouillette la première fois que l’occasion se présente, mon frère et moi restons persuadés que les billes carnées, très grasses, que la grande majorité des carpistes utilisent aujourd’hui, ne représentent pas en toutes circonstances une nourriture très « intuitive » pour les carpes sauvages. Les graines ont un effet plus instantané, et sont plus facilement accessibles pour des poissons n’ayant qu’une maigre expérience de la nourriture artificielle. Cependant, les graines ont également leurs désavantages. Premièrement, elles « sélectionnent » beaucoup moins que la bouillette. Cela signifie qu’il est possible d’attraper un large éventail d’espèces avec un tel appât. Il y a plus de chance d’attraper un beau rotengle avec deux grains de maïs sur le cheveu qu’avec deux bouillettes de 30 mm. De plus, le poids moyen des carpes est inférieur lorsque l’on pêche à la graine. 3) Dans les zones sauvages, les poissons bougent énormément, et il ne faut pas espérer arrêter automatiquement les bancs de carpes avec une grande quantité d’appâts. Donc les amorçages massifs ne doivent pas être systématisés. Une pêche au spot très précise peut produire d’excellents résultats. C’est pour cela qu’il n’est pas rare, en très grand lac ou en fleuve, que nous amorcions seulement une petite poignée de tigers sur un montage.

>>> Lire aussi : L’amorçage pour la pêche à la carpe en grands lacs

 

Encore un beau poisson

Prendre contact et compiler les données

Les espaces sauvages demandent beaucoup d’investissement, des efforts, du temps (de l’argent aussi). Une première session de 15 jours permettra de découvrir cinq ou six postes différents. Ces quinze premiers jours sont, à nos yeux, une simple prise de contact, sans espoir de « comprendre » le lac ou de produire des petites théories sur le comportement des carpes. De toute façon, il est impossible de pêcher de manière optimale lorsque l’on n’a pas produit une compréhension de ce type, qui n’arrive en principe qu’au bout de quelques années de pratique sur le lieu en question. Pour prendre contact, la chose la plus essentielle est la détermination des spots semblant les plus intéressants sur chacun des postes, pour emmagasiner un maximum d’informations. Dans cette optique, il faut espacer autant que possible les lignes les unes des autres ; évidemment, dans le respect des autres pêcheurs et des autres usagers des berges. Beaucoup de carpistes ont tendance à trop coller leurs lignes. Ce n’est pas rare de voir certains pêcheurs mettre deux voire trois montages sur un même haut-fond par exemple. Un seul montage bien placé suffira souvent à attraper toutes les carpes passant sur ce haut fond libérant ainsi deux montages pour exploiter des nouvelles zones.

Au fur et à mesure que l’on passe du temps sur un lieu, on acquiert de la connaissance, de l’expérience. Cela prend du temps et il est normal que l’on oublie certaines choses au fil des années. C’est pour cela que mon frère et moi consignons tout sur un carnet et un ordinateur portable. Dès nos premières sessions, nous dessinons les berges, reportons les différents points GPS que nous avons enregistrés. Chaque point a un petit texte descriptif avec la date, la profondeur, la structure qui a été pêchée, les éventuelles captures et ainsi de suite. Nous notons la date exacte, le poids, l’appât et toutes les informations nécessaires. Récemment nous avons entrepris de reporter tous nos points GPS sur une carte satellite. Grâce aux coordonnées du point enregistré, il est possible de le reporter sur une carte de manière très précise. Les intérêts sont nombreux. En procédant de la sorte, et en recoupant les informations au fil du temps, on peut mieux comprendre le trajet des poissons et les mécanismes de déclenchement de l’activité. Ainsi, en fonction des conditions rencontrées (par exemple, au hasard, un fort vent d’ouest sur une période d’après-fraie) on peut mieux anticiper la pêche et améliorer grandement les résultats. Aussi, autre avantage : lorsque nous arrivons sur un poste, nous allumons notre ordinateur portable sur lequel tout est consigné. En regardant la disposition des différents points GPS qui se trouvent devant nous, nous pouvons placer nos lignes de manière variée et stratégique. Aussi, puisque la majorité de nos spots ont été photographiés pendant les périodes d’étiage, nous pouvons les regarder très précisément avant de positionner nos repères et nos montages. La précision s’accroit d’autant, et les résultats suivent.

 

GPS et carnet sont de rigueur lors des périodes d’étiage

Conclusion

Ces quelques lignes ne suffisent évidemment pas. Les ficelles pour aborder un espace sauvage ne sont pas faciles à démêler, surtout par écrit. Toutefois, nous avons abordé quelques notions qu’il faut selon nous comprendre et maîtriser jusqu’à un certain point. La recherche de cette compréhension rend la pêche de la carpe plus authentique, en lui apportant une certaine complexité, mais aussi une certaine magie. Cette recherche engage un investissement véritable. Elle n’est pas sans sacrifices, sans désillusions. Les échecs répétés mais aussi les joies intenses qu’elle procure imposent en principe une grande humilité, et un respect pour la nature et ses mystères.

Les communes n’ont souvent pas le même comportement que les miroirs. Pour moi, elles sont encore plus mystérieuses.

 

 

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