Pêcher la carpe en extrême bordure

Beaucoup d’entre nous ont pris conscience que les carpes ne se trouvaient pas en permanence à 150 mètres du bord, et qu’il leur arrivait régulièrement de monter en bordure. Mais rares sont ceux qui pêchent à 1 mètre de la berge, dans 80 cm d’eau, et pourtant…

Nous allons parler de la pêche en extrême bordure c’est à dire à 2 voire 3 mètres maximum de la berge. Cette zone, souvent délaissée par les pêcheurs, est très régulièrement visitée par les carpes. Évidemment pour pratiquer cette technique certains critères doivent être réunis. Les lacs de plaine, par exemple, où le fond descend doucement et de manière relativement constante ne permettent pas toujours ce genre de pratique. Une pente plus franche est souvent bien plus appropriée. Nous allons le voir, même si le lieu de pêche est propice à ce genre d’approche les spots et les stratégies sont également importants.

Pêcher la carpe en extrême bordure
25,5 kg prise dans 80 cm d’eau

Le bon spot, le bon moment

La pêche de bordure ne diffère en rien des autres pêches : il faut savoir maîtriser les paramètres d’espace et de temps. Concernant le temps, ce n’est pas bien compliqué. En extrême bordure la grande majorité des touches survient durant la nuit ou au petit matin. Il est toujours possible de déclencher un départ en pleine après-midi, mais cela reste un phénomène isolé. Il existe deux explications simples. La première est que l’obscurité et le calme régnant en bordure pendant la nuit effarouchent moins les poissons que le tumulte de la journée, mais ce n’est pas la raison principale. La seconde est que les carpes montent naturellement en bordure pour se nourrir à ce moment-là. La proche bordure est une zone où se retrouvent dès le début de la nuit, écrevisses et autres invertébrés en quête eux aussi, de nourriture. Tous les carpistes ont déjà observé à la lampe frontale des écrevisses évoluant lentement près du rivage, ou des petites crevettes en maraude. Au lever du jour écrevisses et autres invertébrés regagnent leurs cachettes, et l’activité alimentaire globale a tendance à s’éloigner de la berge. Les carpes n’ont alors plus aucune raison de se rapprocher du bord en quête de nourriture.

Ce phénomène de déplacement de la nourriture naturelle et de l’activité dépend aussi de la saison. En hiver et au début du printemps les températures glaciales refroidissent énormément les eaux de surface. Ainsi, l’eau de bordure est très froide. Les écrevisses se rapprochent moins du bord, on ne voit que très peu de crevettes, les algues meurent ou se rabougrissent : bref, la nourriture naturelle se raréfie. Rappelons d’ailleurs que la fraie des écrevisses a lieu début avril et parfois même mi-mars dans des zones relativement profondes, ce qui n’arrange rien à notre affaire. Ces périodes de grand froid ne sont donc pas les meilleures pour pêcher en extrême bordure. Cependant, il faut modérer un peu cette analyse. Mon frère et moi avons remarqué qu’une hausse relative de la température de l’eau permet parfois d’obtenir un départ de bordure. Imaginons que les deux premiers mètres de la colonne d’eau sont à 6 °C. Le reste de la colonne d’eau est à 8 °C par exemple. Pendant deux jours, il fait beau et chaud, et les eaux de surface passent de 6 °C à 8 °C en 48 heures. Les stocks actifs de nourriture naturelle (ceux qui se déplacent) ne sont jamais insensibles à ce genre de réchauffement providentiel, et l’activité de bordure peut s’accroître subitement. Cela peut pousser quelques carpes, souvent de gros spécimens d’ailleurs, à visiter les bordures pour remplir leur estomac. Dans cette circonstance il serait dommage de ne pas mettre un petit montage en bordure.

Concernant les paramètres de lieu, c’est une autre histoire. Les poissons ne montent en bordure qu’à certains endroits. Ils ne longent pas la berge comme des moutons ! De même qu’il existe des spots précis d’alimentation à 100 mètres de distance, il en existe également à 1 mètre du bord. Savoir les dénicher est la clef de la pêche de bordure. L’intérêt de pêcher près du bord, dans très peu d’eau, est qu’il est souvent possible de voir le fond. Il faudra alors repérer une petite zone sableuse entre deux rochers, une marche de 30 cm cassant net vers le large, un tronc tombant dans l’eau… Et surtout, il faudra souvent faire l’effort de se lever très tôt, car c’est à ce moment que l’on pourra, avec un peu de chance, observer quelques poissons. En fait, les spots de bordure ont la même physionomie que les autres. Ils sont justes plus près du bord. Lorsque l’eau est turbide et qu’il n’est pas possible de voir à travers, il existe une technique efficace pour dénicher les bons spots. Quand on ne peut pas voir, il faut deviner ce qu’il y a sous l’eau. L’observation de la berge peut nous fournir bon nombre d’informations. Par exemple, un éboulement rocailleux visible sur la berge continuera bien souvent sous l’eau. De même, un changement d’inclinaison de la berge se poursuivra sous la surface. Pour pêcher précis, il faudra accompagner son interprétation (son extrapolation de la berge) par un sondage à la canne méticuleux, cela va sans dire.

Un bon spot de bordure
Le masque et le tuba permettent une précision optimale, même en bordure

Montage et technique pour pêcher les bordures

La pêche de bordure est une pêche précise, qui nécessite un montage adapté et efficace. Il sera constitué d’un gros plomb qui permettra au montage de ne pas glisser dans la pente ou de ne pas être déplacé par inadvertance. Le plomb pourra être in line ou en dérivation, peu importe, mais d’un poids conséquent. Un 220 g de type « grippa » ne me paraît pas du tout extravagant ! Pour tenir dans les pentes, il faut du lourd ! L’élément le plus important du montage sera le bas de ligne. Pour mon frère et moi le meilleur bas de ligne pour pêcher en extrême bordure est sans conteste le stiff rig. Deux raisons expliquent ce choix. La zone de la proche bordure est un endroit accueillant de nombreuses écrevisses et de nombreux poissons blancs. Un bas de ligne en tresse ou un combilink ne résistent pas à l’attaque incessante des écrevisses ; quant au cheveu, il s’emmêle lorsque l’appât est déplacé par des indésirables. Pêcher en tresse souple en bordure revient, pour nous, à passer à côté d’un départ sur deux. La seconde raison motivant l’utilisation d’un stiff rig est le sens d’arrivée du poisson. Soyons clairs, dans l’absolu si l’on connaissait tout le temps le sens d’arrivée du poisson, le stiff rig serait sans doute le plus efficace de tous les bas de ligne. Nous avons déjà écrit sur ce sujet, d’ailleurs. En situation classique, ce sens est difficile voire parfois impossible à déterminer, car les poissons peuvent arriver à 360°. En proche bordure, ce n’est pas le cas, les poissons arriveront du large, systématiquement. Lorsque la carpe monte sur le montage, la rigidité du bas de ligne propulse l’appât profond dans la bouche du poisson… le nec plus ultra. La dépose du montage est donc très importante. Qu’elle se fasse en bateau, en plongée ou du bord, le bas de ligne doit se trouver dans le sens de la pente, c’est-à-dire vers le large.

Une torpille
Le stiff rig, parfait pour les bordures

Discrétion obligatoire

Les poissons qui s’approchent en bordure ne sont pas dans leur zone de confort. Ils redoublent de vigilance et sont très sensibles au moindre bruit, au moindre mouvement. La pêche en extrême bordure nécessite une discrétion absolue. La moindre pierre qui roule, le moindre bruit suspect peut réduire à néant des heures d’attente. Il n’est pas toujours facile d’être discret, ainsi il est préférable de placer les montages de bordure loin du camp. Dans cette optique, nous pêchons souvent les bordures de la berge opposée lorsqu’elle n’est pas trop éloignée. J’avoue qu’il est un peu étrange de pêcher à 150 mètres de notre berge pour placer un montage à un mètre de l’autre rive, mais cette technique est réellement efficace, et très plaisante, à partir du moment où elle ne nuit pas à d’autres pêcheurs. Il faut placer les lignes à la tombée de la nuit et les relever au petit matin pour éviter tout problème avec les autres usagers du plan d’eau. En pêchant la berge d’en face, un second problème apparaît. Il n’est pas possible d’orienter le bas de ligne vers le large si vous pêchez perpendiculairement à la berge, car il serait dans le même axe que la tête de ligne. Il faut donc veiller à l’angle d’arrivée de la bannière contre la berge d’en face (à 45°), et ne pas hésiter à plaquer les deux derniers mètres de tête de ligne.

Elle a mordu sur la berge d’en face
Discrétion absolue pour pêcher en bordure

Conclusion

La pêche de bordure est une arme redoutable. Nous avons réalisé de véritables cartons en pêchant dans moins d’un mètre d’eau. Beaucoup de poissons, de gros poissons même, viennent se nourrir contre le bord. Pour les prendre il faut être discret, à l’affût, mais également efficace dans la dépose et la confection de ses montages. Lorsque l’on accepte l’idée que les carpes s’approchent très près du bord et qu’on les traque régulièrement à cet endroit, on a incontestablement une corde supplémentaire à son arc.

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