A l’ouverture en mai, maître Esox Lucius a fini de batifoler dans les herbes hautes et si le mâle n’a pas fini en sushi en raison de l’amour dévorant de sa partenaire, tous ces joyeux noceurs n’ont pas rejoint les profondeurs après le bal nuptial.
Les premiers rayons printaniers réchauffent les zones peu profondes, plusieurs espèces de cyprinidés n’ont pas totalement terminé leurs fraies et quelques chapardeurs patrouillent. Des conditions qui vont évidemment inspirer la pêche du moment et faciliter grandement notre recherche insatiable des carnassiers. La technique maîtresse dans ces circonstances est sans nul doute le power fishing, terme anglo-saxon se traduisant par « pêche de prospection rapide » pour trouver des carnassiers actifs sans connaître particulièrement les postes. Une stratégie intéressante pour plusieurs raisons : en début de saison, notamment sur les grandes étendues, nous ne connaissons pas, ou pas encore les postes des carnassiers ni les transhumances des cyprinidés, on est un peu aveugle après plusieurs mois d’inactivité sur notre terrain de jeu. Certes, ceux qui connaissent les zones habituelles de frai variant peu d’une année à l’autre seront probablement mieux inspirés qu’un néophyte découvrant 2400 hectares d’eau !
La température des bordures est sensiblement plus chaude et toutes les espèces sont plus enclines à y rester quelques temps pour se réchauffer et s’alimenter. Battre le maximum d’espace pour trouver des carnassiers actifs est donc préférable qu’un seul poste semblant prometteur. C’est un choix qui correspond à des caractéristiques du moment et à la période aussi. La règle n’est pas immuable loin s’en faut, mais elle a fait ses preuves. Pêcher rapide ne veut néanmoins pas dire pêcher n’importe comment et la stratégie mise en œuvre doit répondre à des fondamentaux.
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L’animation du leurre
La technique est assez basique puisqu’il s’agit de lancer-ramener un leurre à une vitesse plus ou moins constante selon son poids, son inertie dans l’eau et ses fonctionnalités. Pêcher les bordures c’est rarement animer un leurre dans des profondeurs abyssales, sauf peut-être quelques lacs de barrage circonscrits par de hautes falaises. Dans un cas plus général la profondeur varie dans une fourchette de quelques mètres, là ou les Potamots, les Nymphéas naissants sont visibles et où les racines des arbres baignent encore en ce début de saison. En fonction des caractéristiques du leurre l’animation consistera à le faire évoluer un peu en dessus du fond, en « stop and go » technique reine pour les jerkbaits : on lance et on ramène de façon linéaire le leurre, ponctuée d’arrêts. La variante s’intitule « Walking the dog » (marche du chien en français dans le texte !) qui consiste à donner des coups secs de la pointe du scion afin de le faire évoluer en zig-zag lors de l’animation. C’est une technique casting par excellence et très prometteuse en début de saison car les leurres utilisés : jerkbaits ou stickbait évoluent bien dans une eau peu profonde notamment s’ils sont suspending.
Quelque soit le leurre utilisé il importe de varier l’animation et ne pas simplement ramener de façon linéaire le leurre jusqu’au bateau sans tenter différentes animations. Pêcher les bordures c’est provoquer un carnassier qui est souvent en recherche de pitance et sera de toute façon beaucoup plus intéressé par une proie, fut elle artificielle, qui a un semblant de vie ou semble fuir. L’animation est un élément fondamental de réussite et trop souvent après quelques lancés non concluant, on change de leurre s’assurant qu’il n’est pas bon. Avant ce choix, il est primordial d’avoir utilisé toutes les facettes de son utilisation dans l’animation. Ai-je modifié ma vitesse de récupération, essayé de casser sa linéarité, fait des arrêts ou pêché plus lentement avec des accélérations ? Avant de proscrire le leurre utilisé, assurez-vous que vous lui avez donné toutes ses chances pour s’exprimer.
Le choix du leurre pour pêcher le brochet
Dans cette catégorie de pêche de prospection certains leurres sortent du lot soit parce que leur morphologie et leur équilibre sont taillés pour faire réagir le carnassier, soit parce que les billes qui meublent l’intérieur de leur structure émettent des basses et des hautes fréquences susceptibles de vous dégoter le plus passif des brochets ! Certains pêcheurs déjà fort habiles et aficionados des pêches aux leurres ne manqueront pas de faire remarquer très justement que les poissons nageurs bruiteurs c’est top, mais qu’ils ont tendance à faire fuir le plus téméraire carnassier qui a déjà fait la malheureuse expérience de cette proie sympathique marquant quelques arrêts et prenant ses jambes (enfin ses nageoires !) à son cou. C’est vrai, nous l’avons régulièrement constaté mais sur des poissons qui peuvent vous donner le grammage du leurre, sa marque et les différentes couleurs de la gamme ! Plus sérieusement, les carnassiers fortement sollicités arrivent assez rapidement à faire le lien grâce à leur expérience, entre un danger prévisible et la « chose » qui semble comestible. Je pense d’ailleurs que l’on sous-estime la capacité de nos amis à sang froid à faire des corrélations entre des éléments de leur vécu. Néanmoins, nous sommes à l’ouverture et les carnassiers ont été tranquilles depuis plusieurs mois et certains ont certainement oublié le danger que représente cette proie très active et bruiteuse.
Dans la catégorie des leurres pour peigner les bordures on retrouve les crankbaits bien sûr, un leurre dur qui vibre beaucoup et va vous débusquer un brochet planqué dans les herbes. Il y a plusieurs façons de l’animer : soit en linéaire à raz du fond ou en lui faisant faire des pauses. Selon le type de bavettes il peut s’activer dans toutes les couches d’eau, des petits coups secs du scion lui transmettent une nage erratique qui donne de bons résultats, mais quelques fois un retour linéaire avec quelques accélérations suffit à déclencher les attaques.
Les lipless crankbaits s’animent par tirés-relâchés avec récupération de la bannière, il est fortement recommandé de varier aussi bien l’intensité de sa nage que l’amplitude des tirées, ils se travaillent un peu comme une lame.
Le jerkbait est un peu à part sur la planète des leurres de début de saison, mais c’est à coup sûr le leurre qui sera le plus régulier sur des poissons actifs mais nécessitera un combo casting parce qu’il s’agit de leurres beaucoup plus lourds. Animé en « walking the dog », c’est un leurre pour lequel j’ai un faible, non pas parce qu’il donnerait de meilleurs résultats que les leurres précédents, mais dans une eau peu profonde c’est toujours un plaisir incommensurable de voir un brochet venir le cueillir avec violence. J’aime cette technique et le travail du leurre, qui part de droite à gauche, replonge puis remonte avec puissance et s’arrête pour reprendre sa danse. C’est évidemment très personnel et je connais bon nombre de pêcheurs qui réussissent mieux que moi avec un crankbait à l’ouverture. Mais bon la pêche c’est aussi se faire plaisir dans la technique utilisée.
On ne peut faire l’impasse sur le leurre souple type big bait en ce début de saison, plus discret mais tout aussi efficace. La question souvent posée est : « mais un shad de quelle longueur ? » Personnellement pour les bordures, j’utilise un shad de 16 cm permettant une tête plombée autour de 10 grammes, en dessus de cette taille afin d’assurer l’équilibre du leurre, on est amené à plomber d’avantage. C’est possible, mais dans peu d’eau cela nécessitera de le ramener beaucoup plus rapidement. La plombée de tête doit donc être en harmonie avec le leurre utilisée mais aussi en fonction de la couche d’eau : trop lourde votre leurre est toujours plein de débris donc inopérant, trop légère vous pêchez beaucoup trop haut. C’est un compromis, un équilibre qu’il faut trouver pour que votre shad évolue à la bonne profondeur, un peu en dessus du fond sans être obligé de le ramener à grands coups de manivelles ! Chaque shad à des particularités notamment en raison de sa caudale qui émet des vibrations basses ou hautes fréquences, il est bon d’essayer plusieurs modèles, de varier l’animation et de changer de couleur sachant néanmoins que la base est comme pour la verticale : eau translucide, shad clair, eau chargée, shad foncé. Cela est une base qui peut être transgressée car j’ai souvenir d’avoir utilisé un ripple de chez Berkley coloris perche orange qui fut ce jour là le seul souple efficace, allez savoir pourquoi, je n’ai pas la réponse.
L’analyse de la pêche
Vous l’aurez compris, pêcher les bordures à la recherche d’un carnassier nécessite de prendre en compte plusieurs paramètres et de ne pas lancer, un peu bêtement, un leurre dans l’espoir qu’il tombe sur un poisson décidé. Il y a une combinaison qui est un facteur de réussite et peut s’extrapoler pour toutes les pêches linéaires quelle que soit la profondeur où l’on évolue. L’animation bien sûr, j’insiste sur cet aspect car trop souvent on se contente d’utiliser une technique qui est porteuse, mais pas toujours, car l’activité des carnassiers, la pression atmosphérique, la turbidité de l’eau et la température sont des pièces essentielles dans le puzzle. Varier l’animation c’est essayer de comprendre ce qui se passe sous l’eau. Poisson légèrement décollé ? Poisson collé dans l’herbier ? Poisson en mouvement ? Poisson en activité ? Si vous ramenez votre leurre à la vitesse d’un coureur olympique et que le carnassier n’est pas décidé, il y a peu de chance qu’il fasse l’effort d’un déplacement. Réfléchissez ! Ai-je essayé toutes les facettes du lancer-ramener ? Et si cela ne fonctionne toujours pas, si on ne fait pas « bouger » un carnassier, changer le leurre. Tenter un crankbait ou un shad, variez les couleurs, la profondeur de nage, le grammage. C’est la condition sine qua non de la réussite en début de saison, et une très bonne initiation pour la saison qui commence. Il est à parier, si vous adoptez ces quelques conseils, que vous ferez la différence et même si le hasard existe, que le coup de pot donne le sourire au pêcheur débutant, n’oubliez pas que c’est la connaissance, notre capacité à se surpasser qui génèrent des résultats.