La fine pluie de la fin du mois d’octobre venant finir de me démoraliser tant les occasions de plonger ont été rares cet automne, je décide en ce mercredi 26 de me prendre un sandwich et de faire le coup de midi sur le lac du Salagou, du bord, histoire de prendre l’air et l’eau.
Je me dirige vers une grande crique peu profonde où l’accès se fait par un immense parking très boueux. Ma voiture doit passer en force dans 20 cm de gadoue tant les pluies ont été fortes et abondantes cet automne. Le niveau du lac est monté de plus de 2m, inondant ainsi des terres sèches depuis des mois.
Coupé net
Ma passion pour la pêche de surface date de mon enfance et c’est ainsi que naturellement je lance mon popper en travers de cette petite baie, un premier lancer sur la droite puis un autre devant moi.
Le leurre évolue lentement, en zig-zag, tout en poppant légèrement. Soudain il se fait attaquer en biais par un gros brochet. Le fluoro 70 centièmes est coupé net sans qu’aucune tension ne vienne plier le carbone. Le leurre est là, devant moi à 20 mètres, flottant dans les vaguelettes s’élargissant en cercle.
Je laisse échapper un petit cri de rage. J’attache immédiatement un autre popper pour récupérer le malheureux leurre. Au bout de 3 lancers, je parviens à l’accrocher et au plus vite je refais un montage avec un câble.
Je teste ce nouveau montage, vite oublié car le poids du câble empêche le leurre de nager correctement. Je reviens donc au montage de base me disant que de toute façon il y a peu de chance pour que ce poisson remorde de la même manière s’il est toujours actif…
La peur de le perdre
Je sors ma caméra et la pose sur mon sac à dos « au cas où » ce gros poisson viendrait à remordre. Je lance à gauche et je commence à ramener lentement, petits coups de scions et gros doutes dans mon esprit.
Soudain, à 15 mètres de moi une nouvelle attaque. La surprise est énorme, comme le poisson. Je le vois de suite. C’est un très gros, pas besoin de ferrer, la tension sur le fil est très forte d’emblée, la caudale du poisson fait exploser l’eau, la bataille s’engage.
Le combat est âpre car très peu fil est sorti. Je l’ai pêché dans pas plus de 2m d’eau. C’est un brochet qui ne fait pas de démarrage brutal mais donne des coups de tête rageux. Il part lentement à droite vers des arbres immergés, puis il part à gauche vers d’autres arbres. Je le vois passer devant moi à chaque fois. Il est très long, je tiens mon record c’est sûr, mais ce n’est pas fini, la peur de le perdre est immense. Comme son corps fuselé qui se débat, je vois très nettement son énorme tête, sa gueule ouverte et ses opercules blanches, spectacle stressant, l’adrénaline se chargeant de tenir mon cœur dans les tours.
Je plane
Je passe entre les peupliers à demi immergés pour le suivre jusqu’au bord, sur une plagette de sable rouge. Je le saisis par l’ouïe. Je le tiens. Instant magique, 32 ans que je rêve d’un tel poisson ! 17 ans passés à le chercher sur ce lac ! Tout est résumé dans mes bras tremblants. La fureur du poisson s’est tue, la joie et les larmes naissantes sur mon visage submergent mon inconscient. Je suis au-dessus, je plane, je pense à mon père décédé après m’avoir inculqué le virus du brochet, le niveau du lac monte avec les gouttes salées qui tombent de mes joues. Le moment est parfait.
Je l’expose à la caméra, je le décroche et le mesure. Je suis sûr qu’il fait plus du mètre vingt, 123 sur le mètre ruban ! Je l’accompagne vers sa demeure liquide, un énorme « YES !!! » monte dans la vallée, tel un coup de fusil qui met fin à une attente interminable. Le brochet de ma vie est retourné parmi les siens, me laissant trempé et émerveillé.
J’ai enfin pêché le poisson de mes rêves, je peux à présent dormir et rêver de cette capture vécue.
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