Nous connaissons tous les fameux leurres japonais haut de gamme destinés à duper les black-bass, prédateurs marins ou encore les salmonidés. Le pays du soleil levant est surement le pays où la culture de la pêche est la plus poussée. Parmi toutes les tendances et techniques en provenance du japon, il y en a une qui perce de plus en plus en Europe : l’area fishing. Une pêche des salmonidés en réservoir, très technique, ludique et fun.
Un nouvel univers pêche comme l’était le street fishing il y a 10 ans maintenant, avec ses codes et ses techniques. C’est cette approche, ces leurres, ces techniques, ce savoir-faire, cet univers que nous allons découvrir, exploiter et transposer à nos réservoirs de l’hexagone.
L’area fishing, qu’est-ce que c’est ?
L’area fishing, area game ou area désigne la pêche de la truite en réservoir au leurre. Il s’agit de pièces d’eau closes où la population de truites est complètement surdensitaire. Ces « area » sont nés au japon, ils sont régis par des règles et des codes (voir encadrés). Souvent dénigrées dans l’hexagone, ces pièces d’eau offrent au plus grand nombre la possibilité de pratiquer la pêche de la truite. L’area n’est pas une technique en soit. Il s’agit plus d’un univers avec de nombreuses stratégies, techniques et leurres spécifiques.
Contexte au Japon
Le japon est constitué d’un archipel d’îles ultra urbanisées. Dans certaines régions, difficiles de trouver un lieu où pratiquer la pêche (surtout en famille), loisir pourtant cher aux japonais. C’est dans ce contexte que l’on a vu fleurir au Japon de nombreux réservoirs, des bassins bétonnés, « area » en anglais (aires), ou « pond », destinés à faciliter l’accès à la pratique de la pêche sportive des salmonidés pour le plus grand nombre. Le procédé de la pêche de la truite façon « area » s’oppose à la pratique de la truite en rivière, appelée « native », pêche de poissons sauvages et de « souche » en milieu naturel, comparable à la pêche au leurre de la truite pratiquée la plupart du temps chez nous. Les areas sont des milieux dont raffolent les japonais, à la fois urbains et tendances, où se côtoient toutes les générations et les classes sociales.
La grande majorité de ces réservoirs sont peuplés de salmonidés et notamment de truites arc-en-ciel, qui est le poisson roi de l’area. D’autres espèces de salmonidés sont présentes et constituent les exceptions et « pièces de collections » de chaque area : omble de fontaine, truite gold, truite tigrée, truite fario, bull trout… Les japonais n’en sont cependant pas restés là. La sur-éducation des truites et les règles drastiques des « area » a fait naître de véritables spécialistes de l’area fishing, de vrais génies des pêches UL des salmonidés méfiants. Des circuits de compétitions sont même organisés dans ces bassins bétonnés. Si bien que des gammes de matériel complètes, voire des marques, sont dédiées uniquement à la pêche en réservoir au Japon. Plus que des techniques, ce sont des cultures, un univers voire même un vrai mode de vie qui sont parallèles à l’area fishing. C’est ce qui va nous intéresser d’étudier.
Contexte et area trout en France
Chez nous pas d’area ! Un area au sens propre du terme est une pièce d’eau artificielle où les truites sont très surdensitaires et souvent de taille modeste. En France, nous avons des réservoirs, souvent destinés en premier lieu à la pêche à la mouche. Nuance donc. Quelques areas sont présents en Italie et dans les pays de l’est, avec les mêmes codes et règles qu’au Japon. Un championnat regroupant 6 nations vient d’ailleurs de voir le jour en Europe de l’Est. Il faut savoir que la tendance de l’area fishing nous vient indirectement du japon. En France, nous nous inspirons plutôt de nos voisins Italiens et avons une petite longueur de retard. En France donc, pas réellement d’area, mais des réservoirs où ça y est, il est possible de pratiquer la pêche aux leurres. Chez nous, les truites ne sont pas surdensitaires, elles sont en revanche plus grosses et les règles (voir encart) sont souvent différentes des area japonais ou italien.
Pour ce qui est du contexte dans l’hexagone, il est quasiment sûr que l’area et la pêche en réservoirs va se développer. Des débats s’animent déjà entre les plus réfractaires et ceux qui prônent la pêche en réservoir. Bien sûr, si l’on raccourci, il s’agit d’une pêche de truites de bassine en milieu artificiel, voir aseptisé. Rien à voir avec la poésie, la noblesse, le raffinement voire le plaisir de capturer une « native » aux couleurs magnifiques, dans une petite rivière limpide de montagne baignée par les rayons de soleils qui traversent péniblement les feuilles d’un aulne, et cela avec un petit minnow en bois fait main, une épuisette à maille coton, un abu Cardinal 33X…
Cependant, n’allons pas croire qu’il s’agisse d’une pêche facile ou dénuée d’intérêt ! Ceux qui y ont gouté se sont frottés à une pêche technique, voire l’une des plus techniques qui soit, à des montages subtils, des stratégies de pêche poussées, des combats épiques et indécis ! Bref, la pêche en réservoir, c’est une pêche de la truite à part entière, fun, sportive, complexe et décomplexée, ludique et quoi qu’on en dise, ultra technique !
Outre l’aspect pêche, ce mode de pêche constitue une sacrée alternative aux pêches en milieu naturel. La pêche en réservoir n’est que peu dépendante des conditions météorologiques. Ainsi, cela permet clairement de relâcher la pression sur le milieu naturel, de plus en plus malmené. La pollution, sécheresses, maladies, difficultés des salmonidés à atteindre les frayères… sont de tristes réalités. La pêche en réservoir se pratique toute l’année et offre une belle solution aux accrocs de la truite en période de fermeture.
Si l’on va plus loin, la pêche en réservoir permet aussi au plus grand nombre de pratiquer la pêche de la truite : les citadins, les enfants, les personnes à mobilité réduite peuvent gouter facilement aux joies de la pêche de la truite en réservoir. Ces pièces d’eau se prêtent aussi mieux aux compétitions, avec une présence assez homogène de truites, des poissons soignés et en bonne santé, et une population régulée.
Des techniques et des leurres particuliers
L’area fishing avec ses contraintes et ses codes offre une multitude de techniques. Le point commun entre ces techniques, c’est qu’il s’agit de pêches light et ultra light. Les leurres sont légers et de petites tailles (moins de 5 grammes et moins de 5cm). La densité de truites est grande et les poissons sont assez faciles à localiser. Leur activité est cependant régie par des cycles plus ou moins long où ils vont changer de comportement, s’alimenter, nager, se caler, s’orienter vers une couleur plus qu’un autre, une vitesse de récupération… Il faut sans cesse varier quand les touches cessent. Les truites fonctionnent sur des cycles d’activité et d’accoutumance et il faut s’adapter à ces cycles. Un seul et même leurre n’aura pas la même efficacité durant toute la journée ! Voyons ensemble les principales approches.
Les crankbait et minnows
Ces leurres durs de type poissons nageurs sont assez connus et utilisés par les pêcheurs de truites. Il s’agit d’une pêche dynamique où l’on va avant tout chercher les poissons actifs avec de forts stimuli vibratoires et visuels. C’est une technique incitative efficace pour leurrer les poissons en début de journée ou après qu’un lâcher ait été fait. La taille de la bavette va donner la profondeur de nage du leurre qu’il faudra adapter à la profondeur de tenue des truites. Cette tenue dépend de l’heure de la journée et de la température de l’eau. Il ne faut pas négliger les crankbait évoluant en surface. Ils peuvent être décisifs sur des truites focalisées sur de la nourriture « naturelle » provenant de la surface. Et en plus c’est ultra ludique !
Une fois que les poissons deviennent moins réceptifs et accoutumés aux leurres très présents, il faut ralentir les animations et pêcher avec des leurres plus discrets, comme les reines des area.
Les ondulantes
Elles sont incontestablement le leurre roi des area. Il en existe de toutes les tailles, formes et couleurs. Très efficaces sur les truites, il s’agit de leurres denses, nageant, exerçant une incroyable attractivité sur les truites. Les truites attaquent ces ondulantes par instinct, agressivité ou alimentation. Il existe de nombreux modèles d’ondulantes pour répondre à l’humeur du moment des truites. De multiples variantes de formes d’ondulantes ont été créées, conçues pour travailler de différentes manières : en linéaire rapide, en linéaire très lent, des ondulantes à la nage planante et ample, différentes fréquences d’ondulation, des cuillères denses et compactes pour être travailler en jerk ou couler rapidement… Il faudrait un article entier sur les area spoon pour détailler leurs caractéristiques, nuances et subtilités. Toute la couche d’eau et toutes les mœurs des truites et habitudes alimentaires font l’objet d’une ondulante ou presque.
Les leurres bottom
Sous cet anglicisme se cache plusieurs types de leurres. Bottom signifie « fond » et désigne ici les leurres travaillant près du substrat. On retrouve des ondulantes, maladroitement appelée « bouton » ainsi traduit de par leur forme ronde (merci Vincent PETIT). Elle ne travail qu’à la verticale et à la tombée. Elles simulent la chute d’un aliment, un pellet ou un œuf de poisson. Elles peuvent être animées sur le fond en alternant tirée et « falling » (chute vers le fond). Dans le même esprit, les japonais ont conçu des micro lames et lipless. Ils descendent lentement vers le fond, mais en plus travaillent et nagent lors de tirées ou en linéaire très lent. Ils ressemblent beaucoup aux pellets servant à nourrir les poissons d’élevage.
En plus des leurres vibrants, on trouve des dart minnow. Des poissons nageurs sans bavettes qui s’animent par des « twitch » qui font « darter » le leurre. Ces leurres peuvent s’animer au fond en prenant régulièrement contact avec celui-ci. Les darts sont des mouvements rapides et amples de gauche à droite et de haut en bas. Grâce à leur nage vive et ample, ils ont la faculté de déclencher des attaques reflexes de truites quand les animations linéaires ne fonctionnent pas.
Les inclassables
Et il y en a tellement dans les gammes area! Les japonais rivalisent d’ingéniosité pour trouver les leurres qui à un instant T déclencheront les truites difficiles. Il est possible de trouver des leurres vraiment atypiques. Certains sont des pellets moulés, d’autres des scoubidous en perles, des imitations de grenouilles, popper sphériques… Il y en a pour tous les gouts.
Des couleurs spécifiques
Outre les formes de leurres peu employées, nous avons des coloris là aussi peu utilisés en France. On constate ainsi, en analysant les leurres japonais que la très grande majorité des leurres estampillés « area » arborent des coloris aux nuances roses ou « pellet ». Le rose est assez réputé en effet pour plaire aux truites arc-en-ciel (mais pas seulement), surement car cette couleur leur rappelle leurs congénères et leur est familière. Du point de vue des truites, c’est une couleur agressive, très visible, gênante(?) à éliminer et j’avoue moi-même avoir du mal à vraiment savoir ce qui fait l’efficacité de cette couleur : alimentaire ou incitative ? Un peu des deux surement mais quoi qu’il en soit, c’est une couleur de base et il faut absolument posséder des leurres roses !
Pour ce qui est des coloris « pellet », il s’agit tout simplement de la nourriture distribuée à ces poissons élevés en captivité. Les leurres de couleurs « pellet » seront donc facilement associés à de la nourriture pour ces truites de réservoir. Par coloris « pellet » on entend des nuances de marron à vert olive, souvent mates. Les peintures avec une gouttelette assez marquée sont aussi très employées pour imiter le plus fidèlement possible un pellet. Là encore ces coloris sont assez peu utilisés en France, ils sont pourtant très intéressants et pas seulement sur les poissons d’élevage… Les puristes japonais enlèvent souvent les yeux de leur poissons nageurs pour vraiment simuler un pellet, plutôt qu’un vague petit poisson marron…
Un matériel léger et adapté
Nous avons évoqué les leurres et les coloris issus de l’area fishing japonais. Il s’agit de leurres pertinents chez nous, bien que peu utilisés. Outre les leurres, les japonais ont adapté leur technique et leur matériel. Les cannes sont très sensibles et paraboliques, en adéquation avec l’usage de crankbait et d’ondulante. Le recours aux hameçons simples sans ardillon justifie aussi l’emploi de cannes très progressives, pour amortir les coups de tête et sauts des truites et ainsi éviter les décrochages. Ensuite, les grammages de leurres utilisés, moins de 5 grammes, va de paire avec l’usage d’une canne ultra light. Ces cannes sont assez courtes, moins de deux mètres, car on ramène les leurres canne basse de manière linéaire, notamment pour les ondulantes. Une canne longue serait un peu plus gênante dans cet exercice. Les cannes de plus de 2m se prêtent cependant bien à l’utilisation de leurres « bottom », conduits et animés canne haute. Si l’on pousse le raisonnement japonais à l’extrême, avec l’usage d’hameçon simple, il faut absolument, outre l’emploi d’une canne d’action très parabolique, utiliser un moulinet au frein très précis, serré au minimum. Ce dernier va jouer le rôle de fusible et libérer du fil à chaque mouvement du poisson. Le frein est très peu serré. J’avais des doutes sur ce réglage de moulinet, mais il faut bien avouer que cela facilite la prise en gueule du poisson et amorti mieux les sauts des poissons, notamment sur les truites arc-en ciel de 30cm particulièrement sauteuses. Le moulinet libérant du fil à chaque impulsion, il est difficile pour le poisson de s’aider de la résistance de la ligne pour prendre appui et déclencher des sauts. Le taux de décrochage s’en voit très significativement réduit. Toujours concernant le moulinet, il n’est pas nécessaire d’employer un fort ratio. Pour ma part, j’utilise des ratios élevés seulement pour les pêches à vue avec peu d’animations : je lance, mouline peu ou pas du tout, ramène rapidement le leurre grâce au fort ratio et relance aussitôt. Dans cette recherche d’amortissement maximum, on emploiera un nylon fin (10 à 18/100), beaucoup plus élastique qu’une tresse ou un fluorocarbone. Pour les poissons de 30 à 40 cm maximum, la nouvelle gamme de cannes Illex Lake Master va faire rapidement figure de référence. Elles permettent l’emploi de tous les leurres « area ». La série des Pepper est quant à elle toute indiquée sur les pêches légères de gros sujets puissants. L’épuisette avec un filet caoutchouc est un accessoire indispensable du pêcheur en réservoir. Les déplacements étant minimum sur les area japonais, ceux-ci n’hésitent pas à poser avec eux des boites volumineuses souvent équipées de porte-canne et de plusieurs cannes.
Transposition à nos réservoirs
Revenons sur le vieux continent, en France. Chez nous la pêche en réservoir est très souvent réservée à la pêche à la mouche. Heureusement quelques-uns sont praticables au leurre. Même si la transposition trait pour trait de la pêche en réservoir au japon à celle de la pêche en France n’est pas possible, il est bon de s’inspirer de ce que les japonais ont pu créer et des codes de l’area fishing. On vient de le voir, les règles de pêche qui régissent les réservoirs japonais sont très contraignantes. Pour développer les produits spécifiques à cette pratique, les japonais ont du concevoir des leurres avec un cahier des charges très restrictif en adéquation avec la règlementation des réservoirs. Outre ces règles qui conditionnent la conception des leurres, il faut également prendre en compte que la pêche en réservoir s’adresse à des poissons très sollicités, subissant une énorme pression de pêche presque perpétuelle sur ces pièces d’eau. Ces poissons sont souvent capturés et relâchés plusieurs fois et deviennent très méfiants, ce qui ne facilite pas leur pêche au leurre.
En France, les règles sont moins contraignantes et diffèrent d’un réservoir à l’autre. La plupart autorisent l’emploi de leurres souples par exemple. J’ai naturellement voulu tester l’approche « area japonaise » sur nos « réservoir français ». La réflexion et l’approche technique est assez similaire sur de nombreux points. Tout d’abord, on pêche les mêmes espèces de poissons, mais c’est surtout la méfiance et « l’éducation » des poissons qui est assez comparable. La chance que nous ayons, c’est que nos poissons sont plus gros. Une chance certes, mais ces poissons sont d’autant plus méfiants et un matériel light à ultra light est souvent soumis à rude épreuve… Après plusieurs essais, j’ai pu largement constater que les crankbaits et les ondulantes étaient ultra pertinents sur les poissons de réservoir. Les crankbaits sont particulièrement efficaces sur les poissons actifs et agressifs, tandis que les ondulantes font la différence sur les phases de calme, lorsqu’aucun autre leurre ne déclenche d’attaque.
Area game pour tous
L’area fishing est une approche issue de la culture japonaise de pêche de la truite en réservoir. Elle a ses règles et ses codes et dicte une manière de pêcher assez peu courante chez nous. Il s’agit d’une pêche pour tous, les débutants en quête de sensations fortes comme les techniciens à la recherche de stratégies et de comportements complexes.
Des règles contraignantes
C’est dans la contrainte que le génie se dessine. Les codes et règles de pêche en réservoir sont ultra contraignants, afin de préserver au maximum les poissons qui seront graciés. La plupart des réservoirs exigent la pratique du no-kill ou avec des quotas très limitants. Ainsi, dans presque toutes les areas japonaises on retrouve les mêmes règles qui conditionnent la pêche et la conception des leurres des gammes area :
Obligatoire :
- Leurres (pas de mouches ou appâts), hameçons simples sans ardillon, épuisettes à mailles caoutchouc.
Interdit :
- Mouches, appâts naturels, leurres souples (!), lest sur la ligne, imitations d’œufs de poisson, hameçons triples, leurres métalliques de plus de 5 grammes, leurres durs de plus de 10cm, interdiction de faire entrer en contact le poisson avec le sol même dans l’épuisette…
- Dans certains area (pas tous), les spinners (cuillères tournantes) sont proscrites.