Chaque fin d’automne, on voit fleurir sur les réseaux sociaux les démarches en faveur d’ouvertures de parcours de pêche de la carpe de nuit, et les décisions qui ferment certains de ces secteurs. Parler de pêche de nuit a été, est, et sera toujours synonyme de débats enflammés entre les « pro » et les « anti »… les arguments fusent, les aberrations aussi.
Certains pratiquants prennent leur carte de pêche en fonction des initiatives d’aappma en faveur de la pêche de nuit, d’autres en boycotteront pour les raisons inverses. Entre les accusations de pêche au vif la nuit, les clichés selon lesquels les carpistes peuvent pêcher plus longtemps que les autres, se cachent bien souvent des prises de position d’un autre âge. En face, très souvent, il y a une attente avec trop peu d’investissements en retour.
Au manque de linéaire dédié, une maxime remonte très souvent : « Chez nous il n’y a rien, on ne fait rien pour les carpistes ».
Mais derrière ce constat, et cette pratique spécifique de la pêche, se cachent bien des subtilités. Obtenir de la pêche de nuit sur un territoire ne se fait pas d’un claquement de doigts. Qu’en est-il de la pêche de la carpe de nuit ? Quelle est son histoire ? Comment se décide l’ouverture de ces secteurs de pêche de nuit ? Autant de questions auxquelles je vais essayer de donner quelques éléments de réponse non exhaustifs.
Petit historique de la pêche de nuit en France…
Avant toute chose, je suis parfaitement conscient de ne pas avoir toutes les références en termes de pêche de la carpe de nuit, il se peut donc que j’ai oublié certains points, dates et autres éléments dans ces quelques lignes. La pêche de nuit, dans les mémoires, est liée à l’anguille. La légende voulait que l’anguille se pêche jusqu’à minuit. La pêche de la carpe, comme toute autre espèce, était autorisée dans une plage horaire allant d’une demi-heure avant le lever du soleil jusqu’à une demi-heure après le coucher du soleil. Il faut remonter à 1669 et Colbert pour toutefois trouver une première allusion à l’interdiction de pêche de nuit ! Une ordonnance des Eaux et Forêts, et qui avait pour objectif de permettre aux agents d’exercer facilement les contrôles pendant le jour. Plus récemment, l’histoire retient que le premier lac français du domaine public à avoir été ouvert à la pêche de la carpe de nuit est le célèbre « lac de la ZUP » à Chalon-sur-Saône. Cette ouverture date du début des années 90, et a marqué de son empreinte le milieu de la pêche de la carpe en France. Le cadre réglementaire à l’époque était assez flou, mais la législation relative à la pratique de la pêche de la carpe de nuit a évolué.
Désormais, le Code de l’Environnement contient deux articles principaux concernant les horaires de pêche à la ligne : l’article R436-13 relatif aux heures légales mentionnées précédemment, et l’article R436-14 qui liste les autorisations qui peuvent être accordées par arrêté préfectoral.
L’alinéa 5 concerne plus spécifiquement la pêche de la carpe en mentionnant que le préfet peut signer une « autorisation de la carpe à toute heure dans les parties des cours d’eau et plan d’eau de 2e catégorie et pendant une période qu’il détermine. Toutefois, depuis une demi-heure après le coucher du soleil jusqu’à une demi-heure avant son lever, aucune carpe capturée par les pêcheurs amateurs aux lignes ne peut être maintenue en captivité ou transportée. »
Cette dernière précision est intrinsèquement liée à l’histoire de la pêche de la carpe en France. Il faut remonter à 2006, et aux actions menées à l’époque par l’UNCM (Union Nationale des Carpistes en Mouvement), en vue de lutter contre le trafic de carpes qui transitaient du domaine public vers le domaine privé. De cette mobilisation est née une évolution d’un article de la Loi sur l’Eau et les Milieux Aquatiques (LEMA). Depuis cette date, l’article L436-16 interdit en effet pour un pêcheur amateur de transporter des carpes vivantes de plus de 60 cm, mesure qui vient compléter l’article du Code de l’Environnement précédemment cité. Comme on peut le voir, la pêche de nuit a une histoire complexe. De nos jours en France, la pêche de la carpe de nuit connaît d’importantes disparités sur le territoire. Certains départements ont fait le pari d’une ouverture maximale de leurs linéaires, d’autres y sont farouchement opposées. Du coup, de là à se dire que sa mise en place nécessite quelques connaissances, il n’y a qu’un pas…
La naissance « administrative » d’un parcours de pêche de nuit…
Ouvrir un parcours de pêche de nuit est un travail de longue haleine, qui demande une préparation spécifique et connaît des étapes majeures. Soyons réalistes, par endroits, cela peut s’apparenter à courir un marathon avec un parpaing dans chaque main tant les préjugés peuvent être nombreux… La plupart du temps donc, la pêche de nuit est située sur le domaine public fluvial. Sur les lacs de barrages, on est plus dans une de démarche où les négociations se feront avec le concessionnaire (le plus souvent EDF). Sur les plans d’eau, il faut un accord du détenteur du droit de pêche, qu’il s’agisse d’une personne privée ou parfois de la commune propriétaire.
Les cours d’eau domaniaux sont découpés en lots. L’État demande aux associations de pêche, détentrices du droit de pêche, de louer ce droit à l’état. Pour ça, l’AAPPMA doit être détentrice des baux de pêche, sur les lots visés. Il faut savoir que tous les cinq ans, la location des lots de pêche est renouvelée et pour se faire, un dossier de candidature doit être constitué pour justifier la demande de location. Il nécessite un bilan des actions de gestion qui ont été menées, les alevinages et toutes les mesures de surveillance des milieux aquatiques.
Certaines fédérations louent elles même ces fameux lots de pêche, pour ne pas pénaliser les AAPPMA. La constitution des dossiers est facilitée et encadrée afin d’alléger le travail de ces bénévoles et proposer des dossiers encadrés et solides et simplifier la gestion de ces lots par les AAPPMA.
Pour créer un parcours de pêche de nuit donc, l’AAPPMA fait un vœu auprès de la Fédération Départementale, de mise en place d’un parcours de pêche de nuit. Il arrive que des pêcheurs fassent des démarches directement auprès de la Fédération Départementale de Pêche, mais cette dernière reviendra invariablement vers l’AAPPMA concernée par le projet afin que les demandes se fassent dans de bonnes conditions. Ces vœux donc, soutenus par l’AAPPMA, doivent ensuite être validés en Conseil d’Administration (CA) de la fédération Départementale de Pêche. Une fois que l’étape du CA est franchie, ces vœux devront par la suite être lus et approuvés en Assemblée Générale (AG) de la Fédération Départementale.
Ces étapes sont indispensables. C’est pour cela qu’en règle générale, un tel vœu doit être planifié, le dossier doit être solide et la demande doit se faire en règle générale avant l’automne, et de préférence même avant le mois d’octobre. Cette deadline n’est pas anodine du tout ! En règle générale, les Commissions Techniques de la Pêche (CTP) ont lieu en octobre, organisées et coordonnées par la Direction Départementale des Territoires (DDT). C’est là que la Fédération va défendre ses vœux.
En règle générale, une CTP est constituée de membres de la FDAAPPMA (membres du CA et Directeur), des membres des associations de pêcheurs aux engins et filets, des membres de l’AFB (Agence Française de Biodiversité), de l’ONCFS (Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage), de la DDT ainsi que les représentants d’organismes comme le Conseil départemental, les services fiscaux ou l’ARS (Agence Régionale de Santé). Une fois le vœu argumenté et validé, la DDT va rédiger un arrêté réglementaire permanent relatif à la pêche en eau douce. Cet arrêté est tout d’abord provisoire et soumis à la consultation du public, en ligne via le site de la DDT (la durée est de l’ordre de quelques semaines en moyenne). Si l’arrêté ne soulève aucune remarque, il est signé par le Préfet et devient applicable au 1er janvier de l’année suivante.
Pour information, une DDT peut, sur la thématique de la pêche de nuit, faire un courrier adressé aux mairies des Communes concernées pour solliciter leur avis. Toutes les DDT ne le font pas, mais cette démarche reste toute de même une réalité.
Sur le domaine privé, il faut l’accord des propriétaires pour entamer des démarches visant à ouvrir des secteurs de pêche de nuit. On entre alors dans la constitution de conventions pluriannuelles en vue d’établir et pérenniser ces parcours. Ce qu’il faut bien retenir, c’est que pour aboutir de manière pérenne, un projet d’ouverture de pêche de nuit doit suivre toutes ces étapes. On est sur une notion d’enjeu réglementaire, c’est-à-dire que ces demandes de parcours spécifiques se font sur la base d’une éthique dans la pratique de la pêche et ne relèvent que très rarement d’outils de gestion. En gros, la carpe peut se pêcher de jour ; mais la pêche de la carpe de nuit se réfère avant tout à une éthique spécifique.
L’importance de l’initiative locale avant la prise de décision.
Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que pour obtenir des avancées de ce type, il est indispensable au préalable de constituer des dossiers solides, on ne le répétera jamais assez. Une initiative soutenue par des pêcheurs n’aboutira pas si l’AAPPMA ne fait pas le souhait auprès de la Fédération Départementale, de créer un tel parcours spécifique. C’est donc tout l’enjeu des démarches amont. On entre dans le domaine du relationnel et de l’investissement. Si vous souhaitez voir avancer la pêche de nuit, il faut vous rapprocher des AAPPMA. Le soutien de la Fédération Départementale sera dans de nombreux cas un atout majeur, mais en matière de démarches, rien ne vaut un dialogue efficace et diplomate.
Obtenir un secteur de pêche de nuit est parfois un travail de très longue haleine. Bien avant les vœux, il sera donc indispensable aux personnes volontaires de se rapprocher de leurs AAPPMA respectives pour les solliciter. Je ne saurai trop conseiller de prendre le temps et de privilégier le dialogue au rapport de force.
N’hésitez pas à demander une réunion pour débattre de votre projet. Vous avez la possibilité de présenter cette pratique à travers un weekend thématique par exemple ; et en profiter en la faisant découvrir à de jeunes pêcheurs pour présenter les différents aspects de la pêche de la carpe à votre AAPPMA pour faire changer leur vision de cette pratique. Pour cela pas de mystères, il faut être irréprochable lors de ces manifestations. Si on veut avancer en terrain miné, il faut montrer patte blanche.
Il faut également garder en tête qu’un secteur de nuit ouvert n’est en aucun cas la garantie qu’il sera maintenu, en partie ou dans sa totalité. Pour être garants de la pérennité de telles avancées il est indispensables aux pratiquants locaux de rester proches de leurs AAPPMA afin d’apporter un relationnel et un conseil au besoin. En aucun cas un parcours de nuit ne donne de privilège par rapport à d’autres pratiquants sur les berges, qu’il s’agisse d’autres pêcheurs ou de simples promeneurs.
Car une fois que l’arrêté réglementaire a été voté, il devient indispensable de penser à l’après et de communiquer afin d’informer sur ces parcours de nuit. Cette communication passera par la mise en place de panneaux explicatifs, de publications sur les réseaux sociaux ou par le biais de la presse spécialisée, d’une information auprès des gardes locaux. Bref, une fois le projet signé, il faut assurer le SAV…
Enfin, il faut garder en mémoire que chaque discipline a ses brebis galeuses ; à nous d’être assez intelligents pour prévenir du mieux que nous pouvons les éventuelles dérives. Ces parcours sont des zones qui sont généralement fréquentées de façon régulière par des pêcheurs avec une éthique, mais les débordements existent de temps en temps et comme souvent ce sont ceux là qui sont retenus malgré toutes les avancées positives à côté… Par exemple, nous avons eu le cas dans l’AAPPMA à laquelle j’appartiens. Des jeunes pêcheurs irrespectueux ont entraîné par leur comportement la fermeture d’une portion de secteur de pêche de nuit sur un parcours qui était en place depuis des années. Alcoolisation importante, tapage nocturne, feux au sol à proximité de la terrasse d’un hôtel le matin, abattage d’arbres pour alimenter le feu et j’en passe ; ces idiots par leur comportement ont entaché l’image des pêcheurs et il a fallu faire preuve de beaucoup de diplomatie pour limiter les dommages collatéraux. Nous avons été contraints d’interdire cette pratique sur 150 m suite à des dégradations inadmissibles et des états d’ébriété avancés et ce, sans aucun remords, que les membres décisionnaires soient pêcheurs de carpes ou non. C’est hélas le prix à payer parfois pour garder encore opérationnelles les autres zones de pêche sur le territoire de l’AAPPMA.
Enfin, oui, en effet, les membres des bureaux de certaines AAPPMA resteront catégoriquement opposés à toute démarche de création de parcours spécifiques de pêche de la carpe de nuit. À vous de démontrer que tout n’est pas à jeter dans le monde de la pêche de la carpe, même si ça reste parfois très, très, très compliqué (j’en fais l’amère expérience auprès des derniers réfractaires du département…) ! J’ai choisi d’aborder ici le thème de la pêche de la carpe de nuit, mais les démarches seront similaires pour d’autres disciplines de la pêche. La mise en place d’un parcours no kill par exemple, suivra exactement la même procédure.