Nous sommes au mois de Mai, et ma saison de pêche est sur le point de vraiment démarrer. Ceci étant, aux États-Unis, et plus spécifiquement à New York où j’habite, le passage entre l’hiver et l’été peut se faire de façon assez brusque. Le printemps peut être quasi inexistant, et c’est quelque chose avec lequel il faut composer. Cette année, je rêve de pêcher un grand fleuve qui s’appelle la Connecticut River, mais je ne sais trop quand y aller.
Les températures peuvent changer d’un jour à l’autre et poser des congés en fixant une date tient plus du pari que d’un choix intelligemment calculé. Je prends le risque de partir trop tôt et je décide que ma session se déroulera du 14 au 17. Je suis persuadé qu’il y a de beaux poissons à attraper, je ne sais pas réellement par où commencer, mais peu importe, il faut que j’y aille, j’y crois !
Un grand fleuve américain
Le 14 Mai au petit matin, je pars avec ma femme en direction de ce grand fleuve. Pour vous donner une idée, je pense que l’on peut le comparer au Grand Rhône, mais avec en plus des marées puissantes. La semaine précédente, il faisait encore froid, il a même neigé ! Pour ces quatre jours, ils annoncent près de 30 degrés, avec des pluies et des orages violents (notamment une alerte aux tornades), et je pense que le mieux à faire est de trouver une baie et d’éviter la rivière elle-même. Le courant est certainement surpuissant et je me méfie des variations rapides du niveau de l’eau, l’alerte aux tornades me suffit, inutile d’en rajouter. J’ai repéré sur Google une baie d’une petite cinquantaine d’hectares, je ne sais pas si c’est là qu’il faut aller, mais ça me semble tenir la route. Je pense que ça limite les dangers, que ça simplifie la pêche, et que c’est un potentiel refuge pour les carpes si besoin était. C’est donc là que je décide d’aller !
Après quelques heures de route, j’arrive sur le secteur que je convoitais. L’endroit est relativement accessible, pas besoin de jouer au Warrior, et je m’installe sur un poste assez confortable. Il n’est pas nécessaire de camper, je ne pense pas que ce soit permis de toute façon, on dormira directement dans la voiture. Je prends mon bateau, et je pars sonder les fonds pour savoir un peu mieux à quoi j’ai à faire. J’écris « un peu mieux » puisque j’avais fait quelques recherches auparavant sur les sites de navigation pour avoir une vague idée de l’endroit où j’allais pêcher. Malheureusement, ou heureusement, ce que je découvre ne correspond absolument pas à ce à quoi je m’attendais ! Je pensais trouver une pente douce qui descendait sur un plateau avec approximativement 2 mètres de fond un peu partout, et je tombe sur une grosse cassure qui passe de 2 à 4 mètres très rapidement à environ 20 mètres du bord, suivie d’une pente douce sur une vingtaine de mètres allant de 4 mètres à environ 6 mètres, et qui se termine en fond plat et uniforme sur plus de 100 mètres. Bon, ça fait un peu « option surprise du chef », mais pourquoi pas faire avec !
Je m’adapte et je décide de pêcher dans la pente douce après la première cassure, et à la fin de cette même pente douce, avant d’arriver au plateau dans les 6 mètres. Au menu, je mets deux cannes avec des bouillettes, l’une près, l’autre loin, histoire de « tâter » le terrain, et mon troisième montage pêche sur un lit de maïs, décollé de quelques centimètres du sol, ce qui devrait théoriquement les exciter. Tout est assez rapidement mis en place, je n’attends pas de miracle pour cette journée, j’ai beaucoup amorcé, la nuit devrait apporter plus d’informations. Je découvre l’endroit au fil des heures, l’eau semble monter et descendre d’une dizaine de centimètres seulement entre chaque marée, et je suis assez confiant. Cette nuit, ils prévoient 4 à 5 heures de pluie non-stop, ça devrait faire son petit effet. C’est sur cette note que se termine ma première journée, il est temps pour moi d’aller se coucher…
La pluie arrive
Comme prévu, la pluie se met à tomber, je suis fatigué, et mes yeux se ferment rapidement. Hélas, j’ai du mal à dormir. Ma voiture n’est pas confortable, mais surtout je me sens angoissé. Le sol est relativement plat, le niveau de l’eau varie, j’ai vu dans l’après-midi qu’il y avait des branches qui avaient été déposées par une précédente montée des eaux à un niveau bien plus élevé que celui du toit de mon véhicule et j’avoue ressentir le besoin de vérifier de temps en temps que tout va bien.
C’est ainsi que la nuit passe, sous le son des clapotis, et qu’au petit matin je suis capot. Rien de bien grave en soit, mais quand même. Mon égo ne le prend pas bien, j’étais assez confiant, et il faut que je change la donne. Je décide alors de me tourner vers une approche complètement différente, de pêcher de nouveaux spots, uniquement à la graine, de ne plus décoller mes appâts, et de réduire les quantités d’amorce. Je place deux montages directement sur la grosse cassure, l’un en haut, l’autre en bas, accompagnés de quelques louches de maïs, et le troisième en plein au milieu de la pente douce entouré d’un léger amorçage de zone. Je ne sais pas si c’est ce qu’il faut faire, mais c’est une option crédible, ça se tente.
Le reste de la journée passe et je n’attrape rien. Aujourd’hui j’ai tout recommencé à zéro, je suis conscient que les spots que j’avais amorcé la veille vont peut-être ralentir un peu les choses, il n’y a pas de raison de s’affoler. Ce soir, ils prévoient de violents orages et une alerte aux tornades avec des vents pouvant être destructeurs. Si je dois attendre un peu avant d’avoir ma première touche et que ma femme et moi pouvons rester « au chaud » dans la voiture le temps que tout ça se passe, je n’en ferai pas un drame !
Alerte aux tornades
La nuit tombe, les barres d’orages défilent, il pleut des cordes, les murs d’eau blancs tombés du ciel avancent lentement, les éclairs traversent l’horizon et nous permettent d’y voir comme en plein jour, mais tout va bien. Pas de tornades à déclarer, pas de dégâts, la nature se calme, et une pluie constante s’installe. Je peux alors me relaxer et m’endormir.
Une fois n’est pas coutume, j’ai du mal à me laisser aller. Alors que cela doit faire une petite heure que je me suis assoupi, j’ouvre un œil, et je vois une grosse lumière rouge passer à mille à l’heure devant ma vitre. Qu’est-ce que c’est ce truc, j’en sursaute ! Encore dans les vapes, alors qu’il pleut des trombes d’eau dehors, je vois qu’un type s’est garé à moins d’un mètre de moi et qu’il vient de balancer un énorme bouchon lumineux, j’hallucine !
Il est presque 2h du matin, il fait un temps pourri, il y a de la place pour se garer sur plus de 500 mètres, et le mec vient pêcher par-dessus mes cannes !
Là, ça va loin quand même ! J’ouvre ma portière, et je lui dis que je suis en train de pêcher et que j’apprécierai qu’il aille un peu plus loin. Très sympa, il me répond qu’il est désolé et qu’il n’y a pas de problème. Il ramène sa ligne, démarre sa voiture, fait une rapide marche arrière, et va se garer littéralement 2 mètres plus loin !!! Que dire ??? Le gars s’installe à 2h du mat sous une pluie battante, il jette par-dessus mes cannes alors que je suis le seul à pêcher à des kilomètres à la ronde, et lorsqu’il déménage il ne se déplace que de 2 mètres, c’est juste surréaliste ! Le tout cumulé me laisse penser qu’il n’y a pas grand-chose à faire et que ça ne vaut pas le coup de s’embrouiller. Je lui demande gentiment de lancer de l’autre côté, il me dit qu’il n’y a aucun problème, et je retourne me coucher…
« out of the line »
Une heure plus tard, quelqu’un tape à ma vitre comme un sourd. Je sursaute une fois encore ! Que se passe-t-il ? C’est la même personne ! Il me regarde, j’ouvre ma porte, et je lui demande ce qu’il se passe. Il me dit alors que mon bateau est super cool et qu’il voudrait savoir où acheter le même. C’est quoi ce délire ? Le mec me réveille à 3h du matin pour savoir d’où vient mon bateau ! Je lui réponds qu’il vient d’Allemagne, et je me rendors.
Une heure plus tard, rebelote ! Il tape à ma vitre pour cette fois-ci me dire que mes cannes sont cool et qu’il ne les avait pas vues. Alors que ma femme à envie que je l’envoie « bouler », je reste courtois. D’une, on dort là et je n’ai pas envie qu’il y ait un problème, de deux, je crois qu’il n’est pas bien méchant et qu’il ne se rend pas bien compte que ce qu’il fait est un peu « out of the line ». Je laisse tomber, je retourne me coucher, en croisant les doigts pour qu’il ne nous réveille pas une nouvelle fois.
A 5h du matin, j’enregistre une petite tirée. Je me réveille immédiatement, je vérifie d’abord qu’il ne m’a pas croisé, puis je comprends que c’est probablement un poisson qui vient de « déplacer » mon montage ! Au passage, je constate que l’eau est considérablement montée en très peu de temps. Mon rod pod qui était sur la berge a maintenant les pieds dans l’eau.
Même si ce ne sont que quelques bips, je me sens libéré, ça commence à bouger. Ça fait approximativement 48h que je pêche sans voir le moindre signe d’activité, la météo et mon voisin m’ont fatigué, et je me demandais si je n’allais pas remballer dans la matinée. Je sors de ma voiture, je sais qu’il y a des poissons dans les parages, ça va mieux ! Au moment où j’ouvre ma portière, le gars à côté de moi ouvre la sienne et me dit : « vous dormez beaucoup hein » ! Putain, il m’épuise…
Enfin le premier départ
Seulement quelques minutes plus tard, j’enregistre enfin mon premier départ, sur l’un des montages déposés directement sur la cassure. Je prends mon temps pour combattre, je ne veux pas perdre le poisson. Tout se passe bien et la première carpe de la session est là. Elle doit peser autour des 8 kg et je suis content, ne sachant pas vraiment à quoi m’attendre, c’est un fish tout à fait décent !
Ce matin, j’enregistre deux touches supplémentaires qui se soldent également par la captures de deux autres carpes, dont une magnifique torpille, longue, avec un dos très épais. Il semblerait que les poissons commencent à s’intéresser à mes amorçages, même si le reste de la journée n’apportera rien de plus.
On prend les mêmes et on recommence. La nuit suivante est très calme, pas le moindre bip, et c’est au petit matin que j’ai une nouvelle touche. Cette fois-ci, le combat est un peu diffèrent. Le poisson ne se bat pas vraiment, il semble lourd, et il part en travers. Malheureusement, après seulement quelques secondes, tout s’arrête. Il vient de se réfugier dans un obstacle, et il n’y a rien que je puisse faire. Je pars en bateau, je me positionne à l’aplomb de l’endroit où ma ligne est coincée, et à la première pression mon fil coupe net. Le combat se solde par une casse et je retourne sur la berge, frustré !
Je refais un montage, je le replace, et j’ai rapidement une nouvelle touche. Même style de combat, mais cette fois-ci la carpe vient rouler son dos à la surface. Exactement au même moment, à seulement quelques mètres, un autre poisson saute, c’est un big fish ! Je suis assez surpris. Il semblerait que des poissons se déplacent et suivent celui que je combats, mais ce n’est pas tout, celui que je viens de voir fait largement plus de 15 kg, ce qui est assez rare aux Etats-Unis !
Tout se passe pour le mieux et la carpe finit dans l’épuisette. Ce poisson est exactement du même calibre que celui qui a sauté juste à côté, c’est hallucinant ! Je suis aux anges, je viens d’attraper le fish de ma session, ce qui est tout du moins ce que je pense à ce moment précis !
Une petite heure plus tard, j’ai un autre départ, sur le même spot. Je ne rentrerai pas dans les détails, mais je vous confesse que je suis au petit coin et que le niveau de stress monte d’un coup ! Je cours, je ferre, la carpe prend un peu de fil, et se réfugie elle aussi dans quelque chose. Je prends mon bateau, et à mi-chemin je sens qu’elle est à nouveau en train de nager. J’arrive rapidement au-dessus d’elle et le combat s’engage. La canne est bien cintrée, je vous avoue d’ailleurs que de combattre en bateau avec des Magnum X5 de chez Carp Spirit est un plaisir, la ligne tourne autour de l’embarcation, et la belle finit par se montrer. Le spectacle qui se joue sous mes yeux est alors incroyable, d’immenses nageoires dansent sous la surface, et j’ai devant moi une grande carpe voilée ! Elle entre finalement dans mon épuisette et je n’en reviens pas… Elle est magnifique!
Suite à la capture de ce spécimen de rêve, peut-être même une carpe record, j’attrape une autre carpe et il est maintenant temps pour moi de plier mon matériel et de rentrer. Quelle session ! Après avoir passé 48h sans la moindre action, à me poser des dizaines de questions, j’ai finalement réussi à mettre en place une approche qui a permis de débloquer la situation. Le résultat est tout simplement incroyable avec non seulement la visite d’un big fish, ce qui est déjà suffisamment rare aux US pour être signalé, mais surtout avec la prise de ce spécimen hallucinant aux nageoires démesurées… Quel pied !