N’avez-vous pas remarqué ? Il y a de plus en plus de communes dans nos lacs ! De grosses communes même ! Ne serait-ce qu’au Der par exemple avec son nombre impressionnant de communes géantes. À Orient… Chez nous dans le sud de la France, ce phénomène assez récent s’intensifie.
Au cours de ces dernières années, il y a un phénomène assez inattendu que nous rencontrons dans les eaux que nous pêchons : c’est la proportion de plus en plus importante des captures de grosses carpes communes. Il y a quelques années, les miroirs étaient largement majoritaires. Dans le quart sud-est de la France, il n’était pas évident d’attraper une commune de plus de 20 kg. Aujourd’hui, c’est l’exact opposé. On en est parfois à se demander si toutes les carpes miroirs n’ont pas disparu. Évidemment, ce phénomène a un impact considérable sur la pêche. Comment une telle tendance s’explique-t-elle ? Où sont passées toutes ces miroirs ? Ce sont à ces questions que nous allons essayer de répondre dans cet article.
De plus en plus de carpes communes
Cela fait maintenant quelques années que la proportion de carpes miroirs diminue au profit des carpes communes dans les lacs du sud-est de la France. Nous avons remarqué que cette tendance apparaît lorsque le lac a subi une forte pression de pêche et que celle-ci diminue brusquement. L’exemple le plus criant est le lac de Saint Cassien. Il y a une dizaine d’années, les carpes communes étaient présentes dans le lac, mais elles ne constituaient pas l’essentiel des captures, loin de là. La carpe nommée Chardonnay était alors une des plus grosses communes du lac. La pression de pêche était énorme, il arrivait, parfois, qu’une grosse commune soit capturée, mais cela était ponctuel. Petit à petit, à cause de la législation notamment, la pression de pêche a diminué et la capture de jolies communes est devenue plus fréquente. Mon frère et moi attrapions régulièrement des poissons de 20 kg et quelques spécimens connus oscillaient entre 27 et 30 kg. Mais, à cette époque (en 2012), on prenait encore énormément de carpes miroirs. Je me souviens d’une session où Mat et moi pêchions à l’entrée du bras ouest. Deux Allemands étaient en face de nous et 2 amis étaient postés à la pointe de Kevin Ellis, 300 mètres sur notre gauche. En une nuit nous avons attrapé 6 communes de 20 kg + toutes équipes confondues (2 par équipe en somme). Cette recrudescence des communes avait alors été un sujet de discussion. Tout le monde était ravi. Dans le sud, il y avait peu de jolies communes et ces nouvelles captures étaient les bienvenues. Deux ans plus tard, la répression à Saint Cassien a considérablement augmenté, occasionnant une diminution drastique de la pression de pêche. L’« invasion » des communes s’est accélérée. Au début, certains amis ont réalisé de véritables cartons, mais ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui. Le lac est devenu très capricieux et beaucoup de poissons mis au sec sont des communes. Alexis, un très bon ami et un vrai connaisseur du lac, m’expliquait que les dix derniers poissons dont il a eu écho étaient des communes. Tout simplement inconcevable il y a 10 ans en arrière. C’est à se demander si toutes ces miroirs sont encore en vie. Et je peux vous assurer qu’elles le sont ! J’en ai la certitude, car ces poissons sont régulièrement observés, pendant la période de fraie. Attention, je ne suis pas en train de dire qu’il n’est plus possible d’attraper une miroir à Saint Cassien ! Mais ce qui est sûr c’est que la proportion des captures a très nettement tourné à l’avantage des communes et que le poids de ces dernières a littéralement explosé.
Alexis, un très bon ami et un vrai connaisseur du lac, m’expliquait que les dix derniers poissons dont il a eu écho étaient des communes. Tout simplement impensable il y a 10 ans en arrière !
Ce qui m’interroge encore plus est que ce phénomène ne se cantonne pas au lac de Saint Cassien. Nous observons cette tendance sur d’autres lacs de notre région que ce soit de grands ou de petits espaces. Il y a une gravière proche de notre domicile où la pêche de nuit a été interdite récemment. De ce fait, la pression de pêche a fortement diminué. Il y a quelques jours, nous décidions d’y faire une petite pêche rapide. Première capture, une commune, deuxième capture une commune à nouveau. Au total nous avons pris plus de communes que de miroirs alors qu’il y a deux ans, la proportion était 80 % de miroirs pour 20 % de communes.
L’explosion des carpes communes a été un véritable bonheur dans un premier temps. Prendre une commune de 20 kg était rare dans le sud-est et, lorsqu’il a été de plus en plus facile d’en attraper, on s’en est tous réjouis. Mais aujourd’hui j’avoue que sur certains lieux, je commence à regretter mes petites miroirs qui, somme toute, offrent une palette de diversité bien plus importante que les communes.
Comment expliquer ce phénomène ?
Ce phénomène n’est pas facile à expliquer. Nous en avons parlé plusieurs fois entre frères et avec des amis et il faut avouer qu’il n’y a aucune certitude. Cependant, Mat et moi avons bien notre petite idée. Prenons l’exemple d’un lac qui contient à la base autant de communes que de miroirs. 50 % de miroirs et 50 % de communes du même poids. Le lac est pêché régulièrement et il y a, par conséquent, beaucoup de nourriture artificielle dans l’eau. Nous avons remarqué, ainsi que beaucoup d’autres carpistes, que les miroirs ont tendance à aller vers les appâts artificiels assez rapidement, plus facilement que les communes. Les miroirs se jettent donc sur les bouillettes, leur poids augmente. Plus leur poids augmente et plus elles ont besoin de manger. Ainsi elles mordent souvent et représentent la majeure partie des captures. Pendant ce temps, on entend peu parler des communes. Bien sûr, il arrive d’en prendre, mais à un poids en moyenne bien moins élevé que celui des miroirs. Ce sont les miroirs qui dirigent et influencent le groupe. Elles s’imposent, elles se nourrissent en premier. En somme, ce sont les patronnes de l’espèce. Résultat des courses, à proportions égales, on attrape plus de miroirs que de communes.
Pendant que les miroirs deviennent petit à petit dépendantes de la nourriture artificielle, les communes, quant à elles, ciblent principalement la nourriture naturelle. Elles deviennent efficaces pour dénicher moules, escargots et autres écrevisses. Évidemment elles grossissent bien moins rapidement que les carpes miroirs, mais elles acquièrent des compétences que ces dernières utilisent moins.
Les grosses miroirs ont des difficultés à trouver à manger, elles sont moins incisives et perdent petit à petit leur place de leader dans le groupe.
C’est là que le tournant s’opère. La pression de pêche diminue et avec elle le nombre de bouillettes dans l’eau. Les grosses miroirs ont des difficultés à trouver à manger, elles sont moins incisives et perdent petit à petit leur place de leader dans le groupe. Les communes ont de moins en moins peur de venir se nourrir sur les quelques amorçages restants et par conséquent, les carpistes voient le nombre de captures de communes augmenter.
Puis pour finir, la pression de pêche devient très faible et le phénomène s’accentue de manière exponentielle. Les miroirs n’ont plus à manger. Les communes, en revanche, qui ont toujours été habituées à trouver de la nourriture naturelle, continuent de grossir et imposent leur leadership au niveau social. La tendance s’est inversée : ce sont elles qui dirigent maintenant. Ce sont elles qui dominent les miroirs et donc ce sont elles qui occupent en priorité les différentes niches alimentaires. Nous attrapons donc les communes en premier, tout simplement, car elles se nourrissent en priorité dans le groupe.
Tout cela est en fait une histoire de dominant/dominé au sein d’une même espèce, à la même manière que deux chiens se disputeraient la même gamelle.
Les lacs deviennent difficiles
Nous avons remarqué un second phénomène couplé avec celui décrit précédemment. Les lacs où la proportion de communes explose deviennent bien plus difficiles à pêcher. Notamment les grands lacs. C’est un fait ! Les belles pêches se font de plus en plus rares et les capots sont légion. C’est un vrai casse-tête. Je pense que cela s’explique de la manière suivante. Nous avons vu précédemment que les carpes communes voient leur avènement grâce au fait qu’elles savent très bien se nourrir de nourriture naturelle, se nourrir de manière autonome. Ainsi, elles sont moins sensibles à l’amorçage que nous leur proposons, aux pièges que nous leur tendons. Parfois elles vont être attirées par quelques bouillettes et parfois elles préfèrent se cantonner à la nourriture naturelle qu’elles ont l’habitude d’absorber. Sachant que les miroirs, de leur côté, mordent moins aux appâts, car elles ont moins leur place dans la hiérarchie, il est donc normal que le nombre de touches, sur ce genre de lac, diminue fortement.
La situation peut-elle s’inverser ? Difficile à dire. À mon avis, seule une nette augmentation du nombre de pêcheurs et de la quantité d’appâts dans l’eau pourrait à terme inverser cette tendance. Et surtout, dans les lieux à faible densité de poissons, un rempoissonnement conséquent en miroirs serait absolument nécessaire ! Les miroirs ont besoin de brassage génétique avec des souches de haute qualité pour conserver leurs caractéristiques et, je le crois, leur domination sur les communes.
Conclusion
J’ai bien conscience que cet article ne va pas toucher l’ensemble des lecteurs, car ce phénomène n’a pas lieu dans toutes les régions, dans tous les lacs. Il y a même des régions où, de manière ancestrale, il y a toujours eu plus de communes que de miroirs. Mais j’ai décidé de parler de ce sujet, car il est toujours passionnant de s’intéresser au caractère et aux habitudes de nos poissons préférés. Pour résumer, cette tendance vient du fait que génétiquement, les carpes communes sont plus « sauvages » que les miroirs et qu’elles n’ont donc pas réagi de la même façon à la pression de pêche.
Que nous réserve l’avenir ? Affaire à suivre.