Je crois qu’il y a un point sur lequel tous les carpistes s’accorderont : il y a de plus en plus de grosses carpes en France. Alors qu’il y a 10 ou 15 ans prendre un poisson de 25 kg relevait de l’exploit, la capture d’une carpe de 30 kg ne surprend aujourd’hui plus personne. C’est un fait, les captures de gros poissons se banalisent, cela pour une raison simple : le poids moyen des cheptels a explosé, en particulier ces 5 dernières années. Quelles sont les raisons de ce phénomène ? Pour mon frère et moi, elles sont multiples et nous allons essayer de les détailler dans cet article.
Les ingrédients pour qu’une carpe grossisse
Si l’apport de nourriture exogène joue un rôle prépondérant dans la prise de poids des poissons, il ne suffit pas à expliquer à lui seul l’explosion pondérale des différents cheptels. Des facteurs naturels favorables sont tout autant essentiels à la prise de poids chez les carpes. Tout d’abord, il faut qu’elles aient le potentiel génétique pour devenir grosses. Comme chez tous les êtres vivants de la planète, il existe des différences génétiques entre les populations de carpes, comme il existe des différences entre les individus d’une même population. Beaucoup de carpes ne feront jamais 20 kg. Les petites communes sauvages de rivière, en particulier, ont souvent du mal à dépasser les 15 kilos. Mais un bon patrimoine génétique ne suffit pas pour obtenir des grosses carpes. Il faut également qu’elles évoluent dans un écosystème équilibré. Les capacités physiques des poissons et donc la quantité de nourriture qu’ils sont susceptibles d’ingurgiter sont déterminés par la qualité de l’écosystème au sein duquel ils évoluent. L’eau doit être saine et bien dosée en oligoéléments. Ceux-ci permettront au squelette du poisson de se fortifier et donc d’accepter une masse pondérale plus importante. La qualité de l’eau détermine également la qualité et la quantité de nourriture naturelle qu’elle renferme. Plus la nourriture est abondante, plus les cheptels comptent de gros individus. C’est mathématique.
Nourriture artificielle et no-kill
Outre les facteurs naturels, les facteurs humains sont à prendre en compte. Le no-kill est l’un des principaux. Le maintien en vie des carpes leur permet d’atteindre leur poids maximal. Les poissons pris et relâchés continuent de grandir. De plus en plus de pêcheurs de carnassier se mettent également au no-kill et on observe, concernant les populations de brochets par exemple, le même phénomène. Les stocks de brochets se reconstituent petit à petit et l’on remarque également une augmentation considérable de la taille et du poids des captures. Concernant la carpe, le no-kill existe depuis des années et participe donc depuis des années à l’explosion de la moyenne pondérale des cheptels.
Mais selon nous, c’est bien l’apport constant de nourriture artificielle qui joue le rôle principal dans ce phénomène. Les bouillettes sont maintenant le fruit d’un travail nutritionnel poussé. Elles sont de plus en plus digestes et de plus en plus énergétiques. Elles sont aussi souvent de plus en plus riches, notamment en farines grasses. Et je ne parle pas de pellets… Pour résumer, les carpes peuvent désormais manger gras et digérer facilement. Faites mangerdu Mac Do tous les jours à un humain et vous allez voir le résultat ! Sans surprise il aura pris plusieurs dizaines de kilos en quelques mois. Idem pour les carpes. Elles grossissent plus vite en raison de la richesse nutritive de nos bouillettes et en raison des fortes quantités amorcées. On assiste à un cercle vicieux. Lorsque la pression de pêche augmente sur un lac, les poissons mangent de plus en plus de bouillettes et se mettent ainsi à grossir. Les poissons devenant de plus en plus gros, ils attirent de plus en plus de pêcheurs en quête de trophées. En conséquence, la quantité de bouillettes apportée au milieu aquatique augmente. Les poissons voient et mangent des bouillettes tout le temps. Leurs besoins alimentaires croissent. Leur poids explose. Elles deviennent aussi plus faciles à capturer. Elles attirent donc encore plus de monde et ainsi de suite.
De plus, nous avons remarqué une autre tendance. Les carpistes amorcent bien plus aujourd’hui qu’il y a 10 ans. Il y a de plus en plus de marques d’appâts, et aussi de plus en plus de consultants. Ceci n’explique pas tout, mais je ne compte plus le nombre de carpistes qui arrive en session avec 100, 200 voire 300 kg de bouillettes estampillées « xxx baits » dans le coffre. Généralement, ce sont des bouillettes de qualité. Inutile de vous décrire l’impact de tels amorçages sur les cheptels. Lorsque nous avons commencé à pêcher avec mon frangin, je me souviens que nous achetions des pots de bouillettes de 200 grammes. Les amorçages massifs à l’époque se faisaient à la graine, au maïs principalement. Même si les quantités étaient importantes, les graines sont bien moins riches que les bouillettes. Mais aujourd’hui, beaucoup de carpistes n’hésitent pas à benner 25 kg de pellets et 15 kilos de bouillettes par jour, et ce pendant une semaine. Il ne faut donc pas s’étonner de l’obésité des poissons, mais aussi de l’insignifiance de la capture d’une carpe de 25 kilos. Depuis 2010 au moins, il s’en fait tous les jours en France. Même en hiver. En 2011, nous avons pris à nous deux 10 carpes de ce poids, dont trois de plus de 30 kilos, et pas seulement en gravière !
Quelques exemples
Nous avons assisté à différents scénarios en ce qui concerne la prise de poids des carpes.
– Le premier scénario est une prise de poids constante au cours du temps. Certains poissons, souvent des mâles d’ailleurs, prennent entre deux et trois kilos par an depuis plusieurs années. Leur prise de poids est souvent accompagnée d’un allongement du squelette. Ce sont donc des poissons qui grossissent et qui grandissent. Ils ont une belle morphologie, bien proportionnée. Souvent, ces poissons rares deviennent de vrais poissons record. Ils dépassent fréquemment les 30 kg et flirtent parfois avec les 35 kg.
– Le second scénario est une prise poids subite. Dans les plans d’eau où les cheptels sont connus, on observe souvent ce phénomène. Le poisson star du lac pèse 25 kg depuis quelque temps. Il se fait attraper deux ou trois fois par an. Subitement, il disparaît. Plus personne ne le capture pendant presque un an. La moitié des carpistes croit cette carpe morte. Lorsque qu’un heureux veinard tombe dessus un an plus tard, le poisson pèse 30 kg et a pris quelques centimètres. Il se refait ensuite attraper de nouveau deux ou trois fois par an.
– Le troisième scénario est la prise de poids explosive. Ce phénomène s’observe souvent chez les femelles. Elles grossissent énormément en quelques mois, mais ne grandissent pas. Et cette prise du poids ne s’explique pas seulement par la frai. Pour nous, l’expérience la plus marquante a été la capture d’un poisson de 26 kg que nous avions pris 6 mois plus tôt à 18 kg. Une prise de poids de plus d’un kilo par mois, en dehors des périodes de frai. À Cassien, même chose (du temps où l’on pouvait encore y pêcher). J’ai pris un poisson au mois de juillet à 23 kg qui a été repris en décembre à 30,6 kg, puis à 31,2 kg en janvier par un autre carpiste.
Conclusion
Tous les facteurs décrits dans notre article concourent à l’explosion du poids des carpes, mais encore, concourent à réduire le nombre de carpes « sauvages ». Même les grands lacs peu pêchés peuvent être squattés par quelques carpistes durant des mois, bennant des centaines de kilos d’appâts. Elles finiront tôt ou tard par confondre cet apport exogène avec une source d’alimentation naturelle potentielle, comme c’est le cas dans de très nombreux lacs en France. Idem pour les rivières, qui se voient à certains endroits saturées de nourriture artificielle.
Vous l’aurez compris, les carpes en France n’ont pas fini de grandir. Est-ce une bonne ou une mauvaise chose ? À chacun son opinion. La mienne est faite : j’espère voir un jour une 40kg du public faire surface au bout de mon hameçon !